Si le président a certes changé de gouvernement (et quel changement !), il n’a malheureusement pas changé de situation économique. Il y a un mois, la fausse décontraction d’un Moscovici compulsivement incolore avait déjà bien du mal à camoufler le surplace navrant de l’économie française. Quelques semaines plus tard, le nouveau ministre de l’économie aura beau frétiller de sa vigoureuse chevelure bouclée, le constat économique reste globalement le même : le piétinement continue.
Et les réformes (dont les annonces, toutes aussi pétaradantes et médiatisées que vides de contenu) se succèdent sans pour autant convaincre ni les Français, ni (et c’est plus grave) le reste des Européens qui commencent à trouver les petits entrechats français assez pénibles à financer. À peine arrivé en poste, Arnaud du Redressement a fait comprendre que les réformes, c’était bien joli mais pas facile et qu’avec la marge de manœuvre dont il dispose, un petit arrangement à l’amiable serait préférable. Tant que c’était lui, du reste, personne ne s’en est offusqué ; tout le monde a déjà jaugé l’asticot, et chacun connait certainement dans sa famille ou celle du voisin l’adolescent un peu revêche, facilement rebelle, qui sévit avec ses caprices et ses petites saillies un peu déplacées. Par analogie, les emportement de Montebourg rappellent ce temps où, encore jeune, on avait certes une grande gueule, mais surtout de petits bras, pas un rond et une mobylette pourrite.
En revanche, lorsque Michel Sapin, l’énarque aux relents de comptable provincial avec patch en cuir sous les coudes intégrés, déclare lui aussi qu’il va falloir à la France un petit délai pour aménager la baisse des déficits et engager les réformes indispensables au retour de la croissance, là, les dents grincent et les mines se ferment. Le refus, du reste, ne se fait pas attendre. Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, a ainsi déclaré sans la moindre ambiguïté :
« Si je m’en réfère au pacte de stabilité et de croissance, un nouveau délai pourrait seulement se justifier par des événements économiques inattendus et défavorables avec des conséquences pénalisantes pour les finances publiques. Je ne vois pas de tels événements économiques inattendus et défavorables depuis le mois de juin dernier. Au contraire, la zone euro connaît actuellement une reprise qui va se renforçant. »
Il aurait pu ajouter « sauf pour la France qui continue à pédaler dans un dessert lacté épais et paralysant », mais cela aurait pu entraîner des petits désagréments diplomatiques. Néanmoins, le délai demandé par Sapin est donc clairement refusé. Ni une, ni deux, les deux ministres de l’Économie et des Finances ont décidé d’aller expliquer leur position … aux Allemands.
Et c’est vrai qu’il peut y en avoir besoin. D’abord, deux ministres là où la France n’en avait jadis qu’un seul, qui suffisait amplement à saboter l’économie française, on peut s’étonner : difficile d’imaginer qu’à deux, ils seront plus efficaces pour donner de grandes orientations au paquebot Bercytanic dont la soute, consciencieusement déchiquetée sur 30 à 40 ans, engouffre les déficits et la dette à gros bouillon tous les jours. D’autant qu’on sait que nos deux acolytes ne s’entendent pas exactement comme des larrons en foire. Montebourg, bouillant littéraire dont les capacités à manipuler les chiffres restent à prouver, est probablement une assez bonne antithèse de Sapin, bivalve froid et calculateur à l’énarchie profondément chevillée au corps. Là où, en Allemagne, les deux ministères, traditionnellement séparés, permettent une tenue rigoureuse des comptes, en France, on s’attend d’emblée à la cacophonie. Ne soyons pas méchant, l’avenir nous permettra de juger, mais il n’en reste pas moins qu’on sent déjà quelques flottements : le voyage français à Berlin avait tout d’abord été annoncé pour Sapin seul, avant que Nono ne s’invite.
Quoi qu’il en soit, nos deux ministres vont avoir fort à faire pour convaincre les économistes, les politiciens et les patrons d’Outre-Rhin de toute la bonne volonté de la France en matière de réforme, mot devenu tabou depuis plusieurs décennies. En effet, on apprend parallèlement au déplacement des Laurel et Hardy de l’économie française que la puissante fondation Bertelsmann vient de publier une étude sur l’état de la France, ce pays « pas compétitif » selon leurs experts (non, vraiment, sans blague ?) ; et si le classement qu’ils établissent sur 41 pays de l’OCDE place la France 14ème en terme de performance des politiques publiques (ce qui est honorable lorsqu’on voit le résultat), il la place aussi 28ème pour la qualité de sa démocratie et 27ème pour la capacité de son exécutif à mener des réformes.
En cause selon eux : « la réticence des pouvoirs publics à décrire les problèmes franchement », ce qui est une façon polie de dire que les politiciens enfument le contribuable et le citoyen français depuis un petit moment à tel point que toute franchise est maintenant exclue. Pire, les experts expliquent même qu’« alors qu’elle se bat pour adapter son modèle économique et social à un monde changeant, les problèmes s’aggravent bien plus qu’ils ne diminuent. » Et pourquoi ce marasme français ? Parce qu’il y a pour eux, « culturellement, une méfiance fondamentale envers les marchés et une croyance largement répandue que l’action publique est un moyen efficace de guider l’économie et de résoudre les problèmes ».
Une situation qui s’aggrave ? Une classe politique infoutue de la moindre franchise ? Une méfiance culturelle contre l’économie de marché ?
Oh ! Zut et flûte, voilà que des Teutons portent des constats similaires aux miens, et, abomination supplémentaire, aux constats formés par les économistes anglais dont les parutions, dans l’hebdomadaire de la fourbe Albion, The Economist, ont régulièrement défrayé la chronique ici et ailleurs. (Et je ne mentionnerai même pas que parmi les experts du rapport allemand se trouve même un Français, l’universitaire Yves Mény, parce qu’on me dira que ce traître à sa patrie a été à l’évidence acheté par le capitalisme néolibéral apatride et que son opinion n’a donc plus aucune valeur)
Et la mise en face à face de ce rapport, de ces conclusions et de ces remarques avec les petits couinements ridicules de Claude Bartolone n’en est alors que plus savoureux : pendant que les économistes expliquent que la situation mérite un volte-face et beaucoup de courage, le président de l’Assemblée, aussi détendu du mobile et de la dépense publique qu’on peut l’être lorsqu’on a toujours vécu exclusivement de l’argent des autres s’empresse de demander … des délais, histoire de bien faire comprendre à tout ce petit monde qu’il serait judicieux de continuer avec calme et pondération ce qui n’a pas marché sur les dernières années.
Mais la réalité est têtue et malheureusement, ne se laissera pas faire par les petites admonestations caliméresques du président du Parlement, ou les roucoulades enrouées de l’être bicéphale de Bercy. La réalité, c’est que tout ce petit monde est coincé.
D’une part, l’Europe ne pourra plus guère lui fournir de délai, sans mettre en péril toute l’Union et sans faire grogner plus que de mesure le partenaire allemand. Tous les autres pays à l’exception de la France ont, à un moment où l’autre, fait des efforts, même s’ils ont été modestes, au moins pour tenter des réformes. Pour Sapin et Montebourg, le moment est venu de faire passer une amère pilule à tout le monde. En ont-ils l’étoffe ? Au vu de leur historique, on peut raisonnablement en douter.
D’autre part, les contribuables n’ont plus aucune marge de manœuvre en matière de ponction. Les entreprises ont tant perdu en compétitivité avec l’avalanche d’impôts et de taxes, le chômage a tant augmenté qu’il n’y a plus dans l’augmentation de la fiscalité aucun espoir de trouver des finances pour faire durer le plaisir. Quant à l’étape suivante, le chyprage violent des comptes bancaires, il est évidemment redouté par toute la classe politique et signera surtout l’échec complet de la politique hollandiste. Il ne peut en être question, même à demi-mot, avant un moment.
Enfin, en terme de réformes, les mensonges, les atermoiements et le populisme ont tant ancré dans le collectif français qu’il existait bel et bien une solution socialiste, solidaire, festive et citoyenne que toute autre solution, réaliste, pas du tout festive et franchement pas solidaire sera farouchement combattue par tous les tenants du merveilleux modèle social que le monde regarde nous mettre aux pieds avant que nous sautions dans l’eau boueuse et profonde. Autrement dit, les coupes claires dans les aides sociales (et les ponctions qui les abondent), les réformes massives dans la fonction publique et la réduction drastique du périmètre de l’État feront inévitablement sortir tout le peuple de ses gonds alors qu’il n’y a plus d’autres solutions.
On comprend dès lors que Hollande et sa troupe, plus prudents, cyniques et politiciens que réformateurs, se contenteront d’une série de pas microscopiques et d’effets de manche dont le seul but sera de limiter la casse sur leur petite personne. Pour le reste, c’est évident : ce pays est foutu.
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