Phénomène mondial observé depuis le milieu des années 1990, le déclin des abeilles, insectes pollinisateurs indispensables à la survie de 84 % des végétaux cultivés en Europe, n'avait jamais été précisément évalué au sein de l'Union. C'est désormais chose faite avec l'étude « Epilobee », dont les premières conclusions devaient être présentées lundi 7 avril à Bruxelles.
Les résultats de cette
enquête, menée dans dix-sept Etats membres, montrent que les pays du nord de l'Europe sont frappés par des mortalités très supérieures à celles qui touchent le pourtour méditerranéen. En cumulant les mortalités hivernales et estivales, la Belgique apparaît comme le territoire le plus touché, avec un taux de mortalité de 42,5 %, suivie de près par le Royaume-Uni (38,5 %), la Suède (31,1 %), la Finlande (29,8 %) et la France (27,7 %). Ces résultats confirment la mauvaise santé des pollinisateurs.A l'inverse, le problème semble moins inquiétant qu'attendu dans plusieurs pays du Sud comme la Grèce (9,1 %), l'Italie (7,6 %) ou l'Espagne (16,3 %). Dans ce tableau disparate, la France apparaît comme le pays où la mortalité est, de loin, la plus élevée au cours de la saison apicole : 13,6 %, contre moins de 10 % dans tous les autres pays étudiés. La production de miel y a chuté de moitié depuis les années 1990.
UN RAPPORT DE 30 PAGES SANS LE MOT « PESTICIDE »...Financée par Bruxelles à hauteur de plus de 3 millions d'euros et pilotée par l'Agence de sécurité sanitaire française (Anses), l'étude est de dimension inédite. Elle a mobilisé plus de 1 300 inspecteurs qui ont visité à trois reprises, entre l'automne 2012 et l'été 2013, près de 3 300 ruchers totalisant quelque 32 000 colonies d'abeilles.
« Epilobee est originale par son envergure et par sa volonté d'appliquer des méthodes harmonisées à l'échelle de l'Europe, se félicite Axel Decourtye (Réseau des instituts des filières agricoles et végétales).
L'abeille est restée trop longtemps orpheline d'un réseau de surveillance fonctionnel. Grâce à ce dispositif, l'ampleur des problèmes que nous connaissons en France est révélée une nouvelle fois : environ un tiers des colonies suivies meurt dans l'année ! »Le moratoire partiel sur quatre insecticides problématiques, décidé par Bruxelles et entré en vigueur en décembre 2013, est trop récent pour avoir eu un impact sur les résultats.A chaque visite, les mortalités ont été relevées, mais aussi la présence des principaux pathogènes de l'abeille comme les parasites varroa ou noséma.En revanche, aucune mesure de pesticides n'a été faite dans les ruches analysées. Un point qui suscite des critiques acerbes dans la communauté scientifique :
« Cette étude est un peu étrange, ironise l'apidologue David Goulson, professeur à l'université du Sussex (Royaume-Uni).
Ils dépensent plus de 3 millions d'euros pour étudier la santé de l'abeille et ne mentionnent même pas le mot “pesticide” ! »De fait, le mot est absent des trente pages du rapport publié.
« Le protocole choisi ne considère qu'une seule catégorie de facteurs pouvant causer des troubles de l'abeille : les agents pathogènes et les parasites, renchérit l'apidologue Gérard Arnold, directeur de recherche au CNRS.
Si on ne recherche que des agents infectieux, on ne risque pas de trouver des résidus de pesticides. Ce choix estpolitique, pas scientifique. »« Nous nous sommes accordés avec la Commission pour élaborer, sur les deux premières années, une méthode d'évaluation robuste de la santé des colonies, afin de pouvoir comparer les pays, répond Gilles Salvat, directeur de la santé animale à l'Anses.
Si nous avions d'emblée effectué un très grand nombre de prélèvements et d'analyses supplémentaires, le coût aurait été prohibitif. A l'avenir, des études plus ciblées seront faites. »MORTALITÉ ET AFFAIBLISSEMENT DES COLONIESEn l'état, les résultats semblent déjà exclure la responsabilité unique des pathogènes naturels dans les mortalités relevées.
« En France, les maladies recensées lors de la visite estivale des ruches sont à un niveau très bas : 1,5 % pour le germe de la loque américaine, 1,2 % pour le varroa et moins de 1 % pour la noséma », estime un chercheur qui a requis l'anonymat. Ce dernier regrette aussi que l'environnement des ruchers sélectionnés ne soit pas précisément décrit (zone de grandes cultures, etc.), ce qui rend impossible la recherche de liens éventuels entre les mortalités et les types d'agriculture pratiqués près des ruches.En outre, M. Arnold relève que seule la mortalité des colonies a été retenue, un choix qui minimise la gravité de la situation.
« Il faudrait aussi prendre en compte l'affaiblissement des colonies, dit le chercheur,
car des populations faibles donnent peu de récoltes, ce qui est préjudiciable pour les apiculteurs. »
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Journaliste au Monde