Comment en es-tu arrivé à faire de la musique ?
Romain Thominot : La musique, ça commence par des cours de guitare avec un professeur ayant une approche assez sauvage. Je n’ai pas appris le solfège. J’ai commencé par les groupes scolaires avec lesquels tu fais des reprises. Ensuite, j’ai composé un peu mais ça restait un loisir, mes chansons n’avaient pas d’âme. Au fil des années, la musique est devenue une nécessité, un besoin. J’ai avorté mes études scientifiques, il y a eu un stage à la Cartonnerie, une salle de spectacle à Reims où j’ai rencontré les deux musiciens qui m’accompagnent aujourd’hui. On a répété pendant plusieurs mois afin de donner aux morceaux enregistrés à la maison et de facture assez informatique une dimension plus acoustique pour le live. La difficulté était de mêler justement la batterie acoustique aux rythmiques électroniques.
Tu as commencé par t’enregistrer chez toi ?
Je commence toujours par enregistrer des démos chez moi, juste avec le macbook. La voix, les guitares, les rythmiques électroniques. Kevin, le claviériste, est ingénieur du son et a un studio où nous faisons les prises de voix définitives. L’EP a été enregistré chez moi, à la Cartonnerie et au studio Le Chalet, à Reims. J’ai commencé le mixage à la maison et nous l’avons achevé en studio avec Kevin.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce projet ?
Il est né du rapport troublant que j’entretiens avec l’actrice Ingrid Bergman. « Grindi Manberg » en est l’anagramme. A travers ses traits, je retrouve ceux d’une personne que j’ai connue. Le projet existe depuis deux ans et demi. Il y a eu le stage à la Cartonnerie, quelques rencontres, l’appui de l’association Oxal’art et à ce moment, je me dis qu’il faut que je le fasse. J’ai besoin de ça, j’ai besoin de faire des chansons. On peut toujours essayer d’expliquer les choses mais ça finit par devenir banal.
Comme tu en as parlé, j’ai l’impression que la Cartonnerie fait beaucoup à Reims ?
La Cartonnerie offre à certains artistes émergents un accompagnement précieux et j’ai eu la chance d’en bénéficier. Par exemple, il n’aurait pas été possible de payer l’attaché de presse sans cet accompagnement. Outre l’aide financière, on a eu la possibilité d’y effectuer des résidences pour travailler le set. Cet accompagnement est très appréciable et s’avère nécessaire quand on fait un type de musique qui s’échappe des sentiers battus (rires).
Ressens-tu le fait que Reims est devenue une scène confirmée et non plus émergente ?
Je viens d’Épernay, à côté de Reims, et jusqu’à ce projet, je n’avais pas fait de musique à Reims. Je n’ai pas la sensation d’appartenir à la scène rémoise même si certains, les Bewitched Hands ou les Shoes, m’ont soutenu à travers les réseaux sociaux ou dans leurs interviews respectives. Je ne les connais pas très bien et nous n’avons pas fait de musique ensemble. Je dis que le projet vient de Reims car c’est là qu’il s’est développé scéniquement, qu’il a pris forme. A Reims, la scène se développe notamment grâce à l’action de la Cartonnerie ou d’associations comme Oxal’art et c’est ce qui nous lie les uns les autres.
A ton avis, cet emballement autour de Reims te profite ?
Cela ne peut qu’être bénéfique mais il ne faut pas trop en abuser. Balancer ça en accroche d’un article, ça devient vite un gros listing un peu facile et pas toujours approprié. En fait, les liens sont faibles, on ne fait pas tous la même musique. Et ce n’est pas parce que Yuksek et Brodinski ont du succès et s’exportent que Grindi Manberg va décoller. Leur musique est beaucoup plus mise en avant et grand public.
En parlant de ça, comment définirais-tu ton genre musical ? Sur soundcloud, il y a écrit électro-pop…
Ah (Rires) ! Je pensais que j’avais changé ça. Il y a des sonorités électro mais ce n’est pas du Brodinski non plus. L’électro, c’est un vaste terrain. C’est pareil quand on dit « pop », ça englobe Britney Spears, Michael Jackson, Blur, les Beatles…
Finalement, de la New-Wave peut être ?
J’ai du mal avec les étiquettes musicales et à me définir avec. Je pense que c’est une pop alternative. New-Wave, c’est cool comme nom mais je ne me sens pas proche musicalement de Lescop, par exemple, dont on définit la musique ainsi également. A moins que ce ne soit de la cold-wave… Le mieux, c’est d’écouter. Par contre, c’est certain que je ne fais ni du hip-hop, ni de la musique classique, ni du métal. On peut suivre cette logique pour définir le style. En ce moment, j’aime les synthés, notamment le Juno avec lequel je joue sur scène mais ça finira par changer.
As-tu des influences particulières dans ta musique ?
J’en ai beaucoup. Quand je compose, j’ai tendance à fuir les références et je suis inhibé par mes influences. Je sais que je ne réinventerai pas la musique mais je ne veux pas tomber dans la facilité. Cela m’amène sans doute vers des mélodies torturées, parfois un peu trop. Parfois, ça ne mène à rien. En ce moment, je suis obsédé par David Bowie. Life On Mars, pour ne citer qu’elle, est une chanson assez exceptionnelle. J’en suis presque complexé ! J’aime aussi beaucoup Alain Bashung. Je ne sais pas si son œuvre m’influence mais mélodiquement, vocalement c’est un artiste qui me touche beaucoup. Elliott Smith est un des artistes que je vénère le plus. Plus récemment, il y a Deerhunter, Grizzly Bear ou Kendrick Lamar, même si je n’ai pas une grande culture hip-hop. Hier, j’ai commencé à bosser sur un morceau et j’aimerais beaucoup qu’il pose sa voix dessus (rires) !
Pour en revenir à l’EP, il t’a fallu combien de temps pour le faire ?
Certains morceaux ont plus de deux ans comme Mimosa Cure. La dernière chanson de l’EP a été écrite l’été dernier. Il y a eu tout un travail de production, durant trois ou quatre mois, sur les anciennes et nouvelles chansons pour obtenir une certaine cohérence. Ce travail a connu la difficulté de travailler sur des chansons un peu trop anciennes qui, pour certaines, n’étaient plus en moi. J’aimerais beaucoup pouvoir composer une chanson, la produire et l’enregistrer presque dans l’instant, c’est à ce moment là que c’est le plus pertinent.
Donc, cela part d’un projet solo pour s’élargir en studio quand tu fais le travail de production et sur scène ?
Le travail de studio reste assez solitaire à part dans sa finalisation. Sur scène, nous sommes un groupe. Avec Odilon, le batteur, on travaille beaucoup pour trouver la rythmique acoustique que l’on peut mêler à l’électronique, jusqu’à essayer parfois de n’utiliser que la batterie acoustique. D’autres chansons sont entièrement acoustiques car déjà écrites ainsi.
Ce n’est pas trop difficile de faire jouer tes compositions par d’autres musiciens ?
Ils sont très compréhensifs, talentueux et au service du projet. Je suis parfois un peu trop exigeant mais c’est dur de composer un morceau et de passer outre le fait que le résultat en live ne correspond pas toujours à celui que tu as en tête.
As-tu beaucoup de morceaux transformés pour la scène ?
C’est toujours le même morceau mais il prend une dimension différente en live. Je ne me rends pas compte vu que je suis sur scène mais, d’après ce qu’on me dit, le son en face est plus massif et plus brut.
Et la setlist est composée que de morceaux de l’EP ?
On joue d’autres morceaux, on a un set d’une heure. Il y a de quoi faire un album (rires). On enregistre de nouveaux titres, j’écris de nouvelles chansons. Sortir un album aujourd’hui, ça aurait seulement un sens artistique car sans label, ça n’a pas vraiment de sens économiquement, on n’en vendrait trop peu.
Et l’autoproduction ?
On a la matière et l’accès aux studios. Le côté promotion est plus délicat. On ne pourrait pas aujourd’hui payer à nouveau les services d’un attaché de presse.
Un label en particulier te plairait ?
Évidemment, il y aurait ceux où ont signé des artistes que j’admire mais il s’agit plutôt de labels anglais. En France, il y a le label Pop Noire avec Savages. On ne fait pas vraiment la même musique mais j’aime beaucoup le nom « Pop Noire » qui pourrait s’appliquer à l’univers de Grindi Manberg. Ce label n’est d’ailleurs pas tout à fait français.
Sans transition aucune, je reviens sur le côté cinématographique dont tu m’as un peu parlé. Faire des musiques de film, ça t’intéresserait ?
Enormément ! Ça me plairait vraiment. Je n’en ai pas encore eu l’opportunité, je n’ai pas fait les rencontres pour le moment. J’aurais plutôt envie de rencontrer une sorte d’alter-ego cinéaste avec lequel je pourrais travailler en osmose comme David Lynch et Angelo Badalamenti. J’ai aussi envie de continuer à faire des courts-métrages comme le premier clip de Mimosa Cure que l’on a tourné l’été dernier dans un théâtre.
Pour terminer, si tu as quelque chose à ajouter ?
Guillaume des Shoes bosse sur un remix de Mimosa Cure qui devrait sortir prochainement !