Même si la France est un paradis, il y a toujours une proportion non nulle de personnes qui, aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, s’emploient obstinément à casser la merveilleuse mécanique qui y a été mise en place. Oui, vous avez bien lu : alors que le pays est pourtant un havre de paix et de bonheur, où les rivières de lait et de miel viennent humidifier doucement les petons jolis de ses habitants, des fourbes s’ingénient à saboter l’harmonie française. Incroyable ? C’est pourtant le cas, par exemple, d’un certain Denis Le Saint…
Ce Denis Le Saint, qui ne recule donc devant aucun blasphème, c’est le patron de Devaud, une entreprise suspicieusement impliquée dans les fruits et légumes. Le fourbe patron, confronté comme bien d’autres au charme pourtant citoyen et festif de l’impôt, a sans doute trouvé la note trop salée et a décidé, de façon scandaleuse, d’en détourner le sens.
En effet, il existe un article du code général des impôts (dont la justesse et la pertinence ne sont plus discutable) qui permet, dans la grande mansuétude du législateur, de réduire ses impôts en utilisant certaines particularités du don. L’article 238 bis , dit « dispositif mécénat » prévoit ainsi qu’une « réduction d’impôt de 60% est accordée aux entreprises qui effectuent des versements notamment à des œuvres ou organismes à intérêt général ayant un caractère philanthropique, social, humanitaire, dans la limite de 5‰ du chiffre d’affaires. »
Autrement dit, au travers d’un don dont le plafond est très finement calculé, une entreprise capitaliste tournée vers le profit peut s’acheter une bonne conscience citoyenne en participant un peu à l’atténuation des souffrances des classes ouvrières qu’elle provoque en existant. Mais attention : la magnanimité du législateur a des limites et cette forme honteuse de redistribution directe est strictement encadrée :
« Pour les dons en nature, le montant déductible est égal à la valeur en stock pour les biens qui figurent dans un compte de stock (article 38nonies de l’annexe III du C.G.I.,) et au prix de revient du temps passé des différents services ».
Pour le cas qui nous occupe, il s’agit donc de prendre le prix de revient des marchandises (des fruits et des légumes, ici) qu’il convient de retenir pour le calcul de la réduction de l’impôt juste et nécessaire. Seulement voilà : le fourbe patron a choisi, pour ces biens à donner, des fruits et des légumes plus tout à fait aussi frais que ceux qu’il réserve pour la vente traditionnelle, avec une marge (probablement énorme) et un profit (probablement immoral).
Oui, vous avez bien lu : cet homme ne recule donc devant aucune bassesse. Tout d’abord, il a choisi, en toute connaissance de cause, d’utiliser la facilité que le CGI lui offre pour diminuer son impôt, ce qui constitue déjà, en soi, une démarche immorale et anti-citoyenne. Rappelons que chaque citoyen et chaque entreprise de France se doivent de maximiser leur impôt afin d’assurer à la collectivité un avenir solide. Les optimisations fiscales, l’utilisation des facilités et des niches sont moralement hideuses. Mais Denis Le Saint est allé un cran plus loin : il a, en plus de ce coupable penchant à l’optimisation, choisi de donner des denrées qu’il n’aurait pas pu vendre.
Oh !
C’est immonde ! En faisant cela, il déduit donc de son impôt des biens qu’il n’aurait pas vendus à hauteur de 100% du prix de revient, et non de 50%, qui est la règle en vigueur dans ce cas. C’est, bien évidemment, ignoble ! Qui peut savoir combien de petits Nathan ou de petites Lolas, combien de familles ce patron sans scrupules aura privés d’une allocation, d’une aide parentale ou du précieux conseil d’un fonctionnaire dévoué que l’administration n’a pu fournir faute de moyens, par le détournement que ce capitaliste assoiffé de profits a ainsi utilisé ?!
Non parce qu’il faut comprendre qu’on commence comme ça, tranquillou, à aider son voisin, à filer un coup de main aux Restos du Cœur, pour déduire les dons des impôts, et, de fil en aiguille, rapidement, la société s’organise et se rend compte qu’elle n’a nul besoin des suceurs intermédiaires pour organiser tout ça. Et ça, il faut bien comprendre que c’est rigoureusement interdit. Un peu plus, et on tombe dans la charité, l’hideuse charité directe des individus libres entre eux, cette charité dont on sait tous que bien organisée, elle commence par soi-même ce qui est d’un égoïsme sans borne ! C’est véritablement la porte ouverte à tous les comportements individuels généreux, et, qui sait, à ce libéralisme sans foi ni loi !
Mais rassurez-vous. Je sais qu’à ce point, l’effroi vous saisit. La société est menacée ? La charité pourrait gagner sur l’Etat ? Que nenni, le Fisc veille ! Ouf, l’entreprise a subi un bon petit contrôle bien senti, qui accompagne à l’évidence toutes les tentatives d’optimisation (et puis quoi encore). S’y ajoutera la nécessaire psychorigidité des fonctionnaires de la Ponction Publique Citoyenne, qui permettra de bien claquer les fesses sales du patron et, par voie de conséquence, celles de l’association caritative mouillée par ces pratiques douteuses.
Et puis, quoi de mieux que d’utiliser le redressement d’un Crédit Impôt Recherche qui a déjà prouvé moult fois son efficacité ? Après tout, si vous imaginiez que l’État pouvait ainsi distribuer de l’argent ou, pire encore, diminuer les impôts simplement pour favoriser la charité ou la recherche, c’est qu’une petite dose de réalisme vous manque cruellement !
La conclusion, je la laisserai au fourbe patron, dépité de s’être ainsi fait attraper par la justice étatique, son bras séculier et son glaive vengeur qui ne peut pas s’embarrasser d’à peu près et d’entreprises profitables.
D’un côté on s’inscrit dans la vie locale et sociale et de l’autre coté on se fait sanctionner !
Après tout, nous sommes en plein emploi, éliminer les capitalistes et leurs entreprises doit donc rester un objectif de tous les jours. Ce n’est pas Arnaud du Redressement qui dira le contraire !
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