Puisque j’évoquais un journal à propos du livre de Thomas Vinau, je me suis replongé dans un autre journal, celui que publia Jean Cayrol en 1969, après avoir écrit chaque jour pendant six mois, nourrissant son écriture de sa vie quotidienne et des informations lues dans la presse ou vues à la télévision. Ce sont ses poèmes quotidiens écrits de juin à décembre 1968, et le monde a changé depuis. Qui peut encore y comprendre quelque chose, lorsque l’urgence de l’information télévisée en continu ne laisse plus la place à la parole tenue ?
En voici quelques vers :
On est mal équipé dans l’écriture,
on se défend mal, à tort,
car, comment secouer les phrases,
leur donner pointe et silence,
détonateur et finesse de plume,
intimité ou cri des météores ?
(…)
La ponctuation s’affaiblit,
les rimes se durcissent, ce n’est plus
qu’une motte de paroles,
argile qui ne garde que des empreintes ténues.
(…)
… la page écrite
qui ne s’en tient qu’à ce qu’elle dit,
avec ses mille fourmis retardataires
qui n’ont mis en réserve que des on-dit.
(…)
Il est dix heures.
On annonce un vol humain dans un très proche avenir,
la lune banlieusarde s’attend à être dérangée
à force de l’avoir été dans les sonnets
et dans le journal de bord des navires.