En désignant la France comme responsable du dernier génocide du 20ème siècle, Paul Kagamé, au nom d’une vieille tactique vainement éprouvée, perpétue la domination symbolique que l’ancien colonisateur exerce sur l’inconscient de bien des dirigeants africains.
Relayé par tous les médias nationaux et internationaux, le courroux calculé de l’éternel prétendant à la présidence française et nouveau champion de la droite, Alain Juppé, appelant «le Président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son Armée, l’honneur de ses diplomates », pourrait presque faire sourire s’il ne s’agissant de l’ancien ministre des affaires étrangères sous l’indifférence duquel les trois terribles mois du génocide se sont déroulés exterminant le million d’innocents rwandais. Ce n’est donc pas Alain Juppé qui viendra donner des leçons « d’honneur » aux dirigeants politiques actuels et sa dénonciation de « la falsification historique » est une farce d’un politicien avide de jouer les héros.
En vérité, si Alain Juppé peut reprendre le sempiternel refrain occidental de l’indignation face à « la falsification historique », c’est que Paul Kagamé se révèle être un bien piètre dirigeant.
En effet, vingt ans après un génocide qui a déchiré une conscience africaine entretenue dans la fraternité artificielle et bon marché, on aurait attendu du président Kagamé une analyse plus juste et plus efficace de l’avenir du continent.
En lieu et place, il nous a servi l’antienne éculée du complot et de la manipulation menés par l’ancienne puissance coloniale. Cet invariable refrain qui fait de l’homme africain, un objet, une marionnette aux mains d’un occident, éternel et unique « acteur » de l’histoire du continent. Quoi de si différent au fond avec le discours d’un ancien président français soutenant à Dakar que « le drame de l’homme africain c’est qu’il n’est pas rentré dans l’histoire » ?
Que la France ait à faire son travail de mémoire et de justice ne devrait pas préoccuper outre mesure les officiels rwandais.
Son soutien aveugle au régime hutu de Habyarimana, la poursuite pendant le génocide des programmes de formation et d’armement de l’armée régulière hutue et l’influence néfaste des réseaux parallèles de la diplomatie française (Barril, Grossouvre, etc) ont certainement joué un rôle dans la diffusion et la bonne appropriation d’une information pertinente et donc dans la lenteur de la réaction française et internationale. C’est ce que l’ancien président Sarkozy avait semblé reconnaître, quoi que du bout des lèvres, lorsqu’en 2010 il évoquait à Kigali « Des erreurs d’appréciation, des erreurs politiques ont été commises ici et ont eu des conséquences absolument dramatiques…Ce qu’il s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable ».
La tenue récente du premier et unique procès en France contre un génocidaire (procès Simbikangwa condamné à 25 ans de prison) est certainement le début d’un examen judiciaire des responsabilités et manquements de la France à ses idéaux. Et il faut aussi exiger la levée du secret défense, comme le demande l’association Survie, qui autorisera la déclassification et la publication de tous les documents diplomatiques, financiers, militaires et politiques relatifs à son action au Rwanda avant, pendant et après le génocide.
Mais enfin, si cela permettra à la France de corriger et de perfectionner son modèle démocratique, il reste que l’Afrique devra se poser aussi des questions essentielles pour ne plus revivre de telles catastrophes.
Où étaient les organisations d’intégration régionale et continentale ? Pourquoi il a fallu attendre que l’opération Turquoise soit lancée pour que les africains soient informés de l’ampleur du drame ? Qu’ont fait les chefs d’Etats africains du rêve panafricaniste de Kwamé Nkrumah ?
Dans une langue de bois de diplomates ventripotents, l’OUA avait, certes, demandé, à Tunis, «l’arrêt immédiat des combats» et une «solution rapide et pacifique au problème des frères rwandais ». Mais, l’Afrique, qui aurait pu envoyer une force d’interposition dès le début du conflit, a sagement attendu que l’ONU et les occidentaux interviennent pour ensuite rendre des conclusions extrêmement sévères à l’encontre des Etats-Unis, de la France, de la Belgique, des Nations-Unies et de l’Eglise catholique pour leur rôle passif dans le déclenchement des massacres, allant jusqu’à demander que les trois pays impliqués par son rapport versent des compensations financières au Rwanda (Commission d’enquête de l’OUA sur les circonstances du génocide rwandais de 1994, présidée par l’ancien président botswanais Kethumile Masire, juillet 2000).
Et voici que, au moment où l’histoire balbutie en Centrafrique, un aphasique dirigeant africain continue de pointer le doigt vers l’Occident oubliant donc cette leçon que l’existence africaine est une perpétuelle récidive. Si la première peine ne nous a pas fait grandir, une seconde peine à peine différente nous est infligée. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce que la leçon soit véritablement comprise.
Karfa S. Diallo