Derrière ce titre un peu facile se cache un parallèle sincère : A l’Est d’Eden s’est glissé en un rien de temps au rang de bible personnelle dans ma bibliothèque. Dans la Vallée de Salinas, vaste étendue californienne brûlée par le soleil, s’établissent les Hamilton et les Trask, deux familles que tout oppose. Étalé sur une cinquantaine d’années, ce récit consigne dans un paysage désertique la destinée d’une multitude de personnages, en soulignant à chaque fois ces moments où ils sont amenés à faire des choix qui vont conditionner leur existence.
Steinbeck, dans ce livre partiellement autobiographique, remonte aux origines : celles des USA, nation en pleine expansion en cette fin du XIXe siècle, se constituant d’Immigrés de toutes nationalités ; mais aussi à celles de la vie et de la pensée. Les thèmes de A l’Est d’Eden ne sont pas tellement la famille ou le travail, mais avant tout les notions primordiales de Bien, de Mal, et de Choix. Le titre de l’ouvrage n’a pas été choisi au hasard, il se rapporte à l’histoire de Caïn et Abel (l’Est d’Eden étant le lieu où fuit Caïn après le meurtre de son frère), dont la signification va être progressivement éludée par les protagonistes. Ce nom n’est pas non plus sans renvoyer à l’atmosphère primitive, brute, fondamentale du texte.
Pour moi, athée convaincue, la Bible est un monde étrange, complexe, trop souvent appliqué au premier degré. Et s’il y a bien un épisode du mythe chrétien qui m’a toujours consternée, c’est celui de Caïn et Abel : fils d’Adam et Eve, ils étaient respectivement agriculteur sédentaire et pasteur nomade. Un jour que Caïn fit « une offrande des produits de la terre à l’Eternel », Abel de son côté donna les premiers-nés de son troupeau. Seulement, si Dieu accepta le don d’Abel, il ne porta pas « un regard favorable » sur Caïn et son offrande, sans véritablement d’explication. Il s’en suivit le premier fratricide de l’humanité, condamné par l’Eternel.
Pourquoi vous faire un cours de catéchisme ? Simplement car le sens de tout cela m’échappait. Le déséquilibre et l’injustice serait donc innés ? Est-ce une excuse pour tous les hommes, descendants de Caïn, pour leurs péchés, de se dire inéluctablement mauvais ? Au fil de l’intrigue, prenante par ailleurs, Steinbeck fournit les réponses à ces questions.
Mythique et originel, ce livre ne constitue pas qu’une échappatoire au quotidien, mais également un mode de pensée et une ligne de conduite, que chacun est libre de suivre.
UN EXTRAIT
“There’s more beauty in the truth even if it is dreadful beauty. The storytellers at the city gate twist life so that it looks sweet to the lazy and the stupid and the weak, and this only strengthens their infirmities and teaches nothing, cures nothing, nor does it let the heart soar.”
“Il y a plus de beauté dans la vérité, même si c’est une beauté terrible. Les conteurs aux portes des villes déforment la vie pour qu’elle paraisse douce au paresseux, au stupide et au faible – et cela ne fait que renforcer leurs infirmités et n’enseigne rien, ne soigne rien, ni ne laisse le cœur s’élever. »
LE BON PLAN
Pour ceux qui auraient l’envie de lire cet ouvrage en anglais, le texte se comprend facilement et s’apprécie d’autant plus qu’il est vierge de toute altération par la traduction. Aussi, la version de Penguin Books (19€ sur Amazon) est une merveille sensorielle, un grand format avec des pages épaisses, grainées, tout juste séparées.
ET LE FILM?
Malgré la présence de James Dean, je n’ai pas tenu plus de dix minutes devant la version filmée de 1955, d’après moi trop éloignée du propos de Steinbeck. Alors… à vous de me le dire !
Louise Deglin
A l’Est d’Eden, John Steinbeck (1952).
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