Le pouvoir n'a toujours pas entendu les signaux de détresse d’une France en partie atomisée. Et pendant ce temps-là, le PCF subit des reculs...
Incontrôlables. Aux âmes, citoyens? Autant la confusion des sentiments nous prête parfois quelque envie d’empathie, autant la confusion des registres, qui tient de la tricherie, nous donne des pulsions colériques et des envies de révolte. Devant les signaux de détresse d’une France en partie atomisée, sachant que pas mal de recours possibles ont été noyés dans le désastre, nous restons stupéfiés par l’absence de lucidité de ceux qui nous gouvernent et de ceux qui les entourent, hypnotisés par le carcan libéralo-européen devenu seconde peau. Bientôt deux ans d’enfer pour ceux qui portent la gauche au cœur, et bientôt deux ans de gestion austéritaire pour ceux qui ont osé affirmer qu’il la défendrait, cette gauche, en mai 2012. Dans les coulisses du pouvoir, depuis le second tour des municipales, la même rengaine: Normal Ier va changer à la marge pour ne rien changer, nous dit-on, car toute son action est désormais dictée par le calendrier européen, l’acceptation du budget de la France par Bruxelles, par exemple, dans quelques semaines.
Méfiez-vous chers lecteurs: s’il faut y voir une forme de contrainte dont il paraît difficile de sortir du jour au lendemain, n’oubliez jamais que Normal Ier et ses éminences grises ne bougeront pas de ce fameux «cap» contraignant, car ils sont convaincus qu’il s’agit de la bonne et de la seule voie – même si, pour la plupart des citoyens, cette politique économique et sociale ne se différencie guère du modèle nicoléonien et continue d’enfoncer les classes populaires dans la précarité, le désœuvrement, le désespoir en toutes choses, à commencer par « la » politique et l’action publique. C’est à désespérer, en effet, car si rien ne change radicalement, la situation sociale, dramatique et inquiétante, va devenir progressivement incontrôlable. Qui en doute?
PCF. L’avantage de la situation pourrait consister à dire que l’heure est plus que jamais à la recomposition d’une gauche de transformation la plus élargie possible, que les circonstances sont presque réunies pour en entrevoir la possibilité, et que, enfin, ce serait la condition des conditions pour continuer à «penser» et réorienter la gauche vers sa raison d’être, le combat social, l’égalité, la justice. De bien grandes phrases, n’est-ce pas, alors que tout semble noir, bien assombri, et que nous tentons quand même, presque malgré nous, de ne pas trop faire bande à part pour ne pas rompre la chaîne dont nous ne sommes qu’un maillon. D’autant que la réalité voisine souvent avec les choses qui inquiètent un peu, beaucoup, car elles nous concernent particulièrement: nous parlons là du sort des villes communistes. Le constat global est connu. La vague bleue n’a épargné aucune formation de gauche, même si elle a fait voler en éclats le Parti socialiste municipal. Autant le dire, le Parti communiste n’a pas échappé au drame, en dépit de la résistance de ses élus au premier tour, souvent contrariée au second tour. Certes, les communistes reconquièrent deux villes importantes avec Aubervilliers et Montreuil, mais ces deux exemples, associés à quelques autres plus modestes, ne corrigent pas, loin s’en faut, le mouvement général des pertes – comment les nommer autrement? Le total s’avère cruel. Le PCF perd en effet une cinquantaine de villes de plus de 3500 habitants et en regagne 5, soit un déficit d’environ 30% des communes avant l’élection. En outre, il concède 7 villes de plus de 30000 habitants sur 28, et 19 villes de plus de 10000 habitants sur 81. Au regard du contexte politique marqué par une effroyable désaffection du «peuple de gauche», nous aurions tort de parler de «saignée», mais tort également de masquer l’échec, car il faut remonter à 1983 et 1989 pour constater un tel recul. Entendons-nous bien : nous n’évoquons pas là seulement un échec pour les élus en question, mais bien un échec pour les populations concernées, puisqu’elles ne seront plus protégées par les politiques locales de solidarité et de résistance à l’austérité. Pour le PCF, quoi qu’il en soit, ce recul, même relatif, dans les municipalités interroge non pas sur la stratégie globale – les cas spécifiques sont tellement différents d’une ville à l’autre qu’il est assez impératif de ne pas tenter de définir des «raisons» nationales – mais bien sur l’impact encore trop modeste du Front de gauche dans son ensemble, toutes forces confondues, dans ce que nous pouvons appeler l’affermissement nécessaire de l’espérance sociale comme possibilité concrète. C’est assez simple au fond. Ce «peuple de gauche», joliment nommé, est déboussolé, perdu, anéanti. Plus grave, les gens de peu ne croient plus à rien et ils ont sincèrement peur que le monde ne change jamais, que le socialisme (comme concept de rupture avec le capitalisme) n’advienne jamais. Ils savent qu’ils n’ont jamais rien obtenu qui n’ait été arraché. Maintenant, la grande question est : comment leur redonner le goût et l’exigence de lutte?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 avril 2014.]