Interview avec The Waggs, ou comment faire danser les Rolling Stones avec Air

Publié le 05 avril 2014 par Dookiz @merseysideband

On a rencontré Charlo, batteur de The Waggs, jeune groupe versaillais qui vient de sortir son premier EP. On a beaucoup parlé, de leur musique bien entendu, mais aussi de leurs influences et de leurs projets. De Pink Floyd à Arcade Fire en passant par les Stones ou Black Keys… ce quintette fait preuve d’une vraie culture musicale comme on aime.

Une musique dansante sur des textes parfois plus sombres

A la première écoute, vos morceaux nous ont fait penser à dEUS, voire même à Janis Joplin.
C’est marrant parce que c’est pas tellement dans nos influences. Je ne suis même pas sûr qu’un de nous n’ait jamais vraiment écouté dEUS.

Des morceaux qui s’étirent un peu, la guitare assez noire…
C’est vrai que la guitare est volontairement noire ou agressive. A contrario on peut remarquer un synthé parfois électro, parfois kitsch, parfois vintage. En fait on s’est dit qu’on avait envie d’avancer sur deux pattes assez assumées : deux instruments utilisés dans leurs extrêmes. Cette recherche d’une identité sonore n’en est qu’à ses prémices mais l’idée reflète assez bien l’être humain qui est un tout. Un être capable du meilleur comme du pire, triste et joyeux à la fois et qui traverse des joies et des épreuves. Quelque chose de naturellement mêlé.

Ça se ressent dans vos morceaux, White Duke par exemple, musicalement enjoué mais assez sombre dans le texte. Justement, vous y racontez quoi ?
C’est un peu l’histoire qu’on vit tous. On approche de la trentaine, on commence à faire des choix. Et certains peuvent faire peur. Ils peuvent même nous entraîner au conformisme et à notre propre reniement. La mort du verbe être en quelque sorte. White Duke c’est ça. C’est une chanson sur la peur de suivre son propre chemin. On parle de quelqu’un qui pourrait nous ressembler, qui est faussement heureux dans sa médiocrité mais qui veut qu’on le laisse tranquille. Le morceau paraît donc très enjoué, mais c’est une fausse jovialité.

Justement, vous travaillez d’abord les textes ou la musique ? Comment ça se passe ?
Nous n’avons pas réellement de règles sur la création, du moment que nous nous retrouvons sur l’identité sonore et le thème du texte. Il nous arrive de dépiauter un morceau pendant plusieurs mois ou au contraire d’en boucler d’autres en trois répet. Globalement je propose au groupe des démos assez complètes mais il arrive aussi que l’idée vienne d’un riff de guitare ou de clavier trouvé en jouant ensemble. Les arrangements en groupe transforment ensuite le morceau de départ par un approfondissement important des sons, des rythmiques et des structures. Sur les textes, c’est le bassiste qui donne le plus souvent vie à des idées et des thématiques évoquées en amont ensemble. Il nous arrive aussi de découvrir entièrement le sujet du morceau avec les lyrics ce qui entraîne parfois de longs débats.

Les mecs qui jouent dans leur « piaule », début très logique donc…
Oui. D’ailleurs, au départ on se retrouvait le soir car on avait juste besoin de jouer et de « transpirer » ensemble comme d’autres ont besoin d’aller courir le soir pour décompresser. On se connaissait tous déjà plus ou moins et nous avions sensiblement les mêmes influences. Quoique… Je ne citerai personne mais il y en dont les influences ne sont pas très avouables dans le tout Paris.. Pour revenir à nos débuts, on aimait vraiment se retrouver puis petit à petit on s’est mis à ressentir un feeling assez impressionant aussi bien humainement que musicalement. Cela pouvait s’apparenter à un coup de foudre, les effusions affectives en moins, bien que nous nous aimons beaucoup. Et de plus en plus.

L’influence de la scène versaillaise

Vous venez de Versailles, ce qui semble pas mal vous influencer. Pourtant, c’est plus électro que rock à Versailles ? (Quoiqu’on a l’exemple de Housse de Racket, ils sont Versaillais, non ?)
Oui ils sont de Versailles, mais l’électro versaillaise à quelque chose d’assez pop et assez planant. On sent l’influence de groupe comme Pink Floyd notamment et à quelque exceptions près on n’est pas forcément dans une ambiance de dancefloor. De Versailles se dégage une ambiance particulière, assez rêveuse et mélancolique à la fois avec un côté bricolo sur le son. Si on aime cet esprit, on partage aussi une culture du rock. Quelque chose d’assez sauvage ou primaire qui fait du bien dans ce monde où le moindre pas est calculé. Le rock et plus généralement c’est une sorte de parenthèse, un trou noir où tout semble possible.

Syd Matters, également du coin, est un groupe que j’aime beaucoup et qui cherche un peu ce type d’équilibre entre douceur et agressivité, spontanéité et finesse des arrangements. Tiens, voilà d’ailleurs un groupe qui m’a foutu une claque en concert. Ça a l’air tranquille, et sur scène il y a une grosse différence. Avant d’aller au concert, tu n’imagines pas ça. Ils se déchaînent comme des dingues, finissent avec des bruits électro dans tous les sens. Ils laissent les guitares en larsen n’importe comment et quittent la salle. Grosse surprise.

Justement je trouve que c’est un peu ce qui manque dans les concerts d’aujourd’hui. Le fait d’avoir une vraie prestation différente de l’album. Mais donc revenons à The Waggs…
Puisqu’on a commencé à jouer ensemble pour nous défouler une fois de temps en temps, nous n’avons pas tous pris l’habitude d’être à nos instruments de base (batterie et basse notamment). En fait chacun s’est installé là où il était utile puis, finalement, a trouvé son identité ainsi avec ses qualités et ses défauts. Ne pas connaître les codes d’un instruments peut procurer une vraie sensation de liberté paradoxalement. C’est parfois balaise techniquement mais au niveau créatif le champ de possibilités paraît infini. Quand les premières compos sont apparues il y a un peu plus d’un an, les gens autour de nous ont eu l’air de trouver ça assez cool et on a senti que ça pouvait valoir le coup de creuser un peu l’affaire.

« Les gens », c’était vos potes ?
Oui, au départ c’est délicat de faire écouter une mauvaise maquette de repet à un inconnu dans la rue.. Les potes puis les potes de potes, etc ! On essaye de franchir les barrières au fur et à mesure. Aujourd’hui, ça sort un peu plus de notre sphère directe et les gens qui viennent ne sont plus uniquement nos potes qui viennent pour nous faire plaisir. On ne connait plus tout le monde même si il y a des fidèles et ça fait vraiment très plaisir. Voir plusieurs fois la même personne nous suivre, ça encourage à continuer et à travailler pour créer et s’améliorer.

Quel a été l’accueil de vos morceaux sur les premiers concerts justement ?
Au début, certains nous comparaient aux Doors, avec un clavier qui à l’époque était plus vintage faisant avec les moyens du bord. C’est toujours sympa d’être comparé à des groupes aussi mythiques mais ce n’est pas la même planète non plus. Et puis les comparaisons, sans nous agacer, nous donnent plutôt envie de s’en extraire et trouver notre propre identité. Finalement chaque comparaison nous permet d’ajuster notre son. Les concerts nous permettent de travailler cela justement car le ressenti du public, s’il n’est pas déclencheur d’une composition ou de nos envies, nous permet de nous remettre en question et d’avancer plus loin. Au fil du temps il nous est apparu l’envie de faire jouer sur la même scène les Stones et Air, les Velvet et MGMT. A notre manière bien entendu mais c’était l’idée. Confronter et mêler des ambiances assez autosuffisantes au premier abord.

Aller au bout, au delà des potes

Justement c’est ce qui m’a accroché dans vos morceaux. J’ai senti quelque chose d’assez original, bourré d’influences, assez différent de ce qu’on peut entendre en ce moment. Et comment vous gérez votre début de groupe. Vous avez des boulots à côté ?
Oui, on bosse tous à côté, plusieurs membres du groupe ont des enfants. Certains sont même chef d’entreprise… Mais secrètement, peut-être qu’on rêverait de pouvoir se lever tous les matins et de passer nos journées à créer de la musique plutôt qu’à « suivre des dossiers ». Si intéressants soient-t-ils. Déjà il s’agit d’aller au bout de notre projet, ce sera déjà énorme.

Aller au bout, c’est un album ?
Oui, un album dans lequel on espère pouvoir creuser un peu plus notre son et aller plus loin. Sur l’EP, il était important que se dégage une identité sonore sur des morceaux assez efficaces sans faire de compromis pour autant. Nous avons été aidés d’un ingénieur du son aussi doué que barré qui nous a permis de donner une autre dimension à notre son et à nos morceaux. Il a souhaité passer quelques jours avec nous dans une maison de campagne pour nous enregistrer et s’imprégner de notre état d’esprit. Les choses étaient plus claires pour nous ensuite.

Concerts à venir

Vous avez des concerts prévus prochainement ?
Oui, l’OPA le 23 avril et le Bus Palladium le 24 mai. On jouera de nouveaux morceaux, ainsi que 2 autres qui ne sont pas sur l’EP et qu’on est en train de travailler. Jouer dans ce type de salle va changer aussi bien d’un point de vue logistique que d’un point de vue sonore. Finies les galères sur 2 jours à préparer le matos et tout remballer en catastrophe pendant que tes potes que tu as à peine eu le temps de saluer boivent des coups. Cela dit, on a passé de très bons moments dans des lieux plus atypiques, confinés et très souvent hypers accueillants.

Et vous arrivez bien à reproduire en live tout votre travail sur le son de l’EP ?
On aimerait. Pour le moment nous n’avons fait qu’un live depuis mais nous travaillons au maximum pour que le rendu soit à la fois fidèle et surprenant. Nous avons hâte de jouer lors des prochaines dates et que le public puisse en juger par lui même.

Et vous compter jouer des reprises en live ?
Au début on jouait davantage de reprises faute de compositions. Aujourd’hui on essaie quand même de retravailler un morceau comme dernièrement  Shine A Light des Rolling Stones.

MGMT, Arcade Fire et Radiohead

On n’a pas beaucoup parlé de vos influences…
On est aussi à l’aise avec l’époque des années 60/70 et notamment des groupes comme les Stones, les Velvet Underground ou encore les Pink Floyd, qu’avec les groupes plus actuels comme les Black Keys, MGMT, Arcade Fire ou même Radiohead qui a bercé notre adolescence.

MGMT, même le dernier album ?
Nous n’aimons pas tous autant ce groupe mais pour ceux qui l’apprécient et s’en inspirent dans le groupe, on est plus dans l’approche du premier comme la recherche d’hymne au clavier. Mais on aime beaucoup le deuxième aussi, on peut l’écouter 50 fois sans s’emmerder. Il y a quelque chose de très intéressant dans la superposition des couches musicales. Tame Impala est un peu dans la même veine avec quelque chose d’assez brutal, il y a aussi beaucoup de clavier mais également une grosse basse qui va chercher dans des notes surprenantes. J’aime bien Vampire Weekend qui a réussi ce mélange de pop et musique du monde (pourtant la musique du monde c’est vraiment pas mon délire). Mais le mélange est super bien intégré. Comme quoi rien ne se crée, tout se transforme… Et puis on est presque unanimement fans d’Arcade Fire aussi.

Ah ben parlons-en car j’ai toujours eu du mal avec les premiers albums, mais j’ai adoré Reflektor.
Reflektor, c’est l’apogée ! Il plonge dans plein d’univers, justement aussi un peu musique du monde. Ils l’ont enregistré en Haïti, ont passé du temps là-bas. Et c’est ça qu’on aime bien, sur leur côté travaillé, le mélange d’influences. Ils brassent plein de choses, mélangent tout ça pour sortir un album hyper riche et cohérent. On aime ce type de démarche no limit. On met des choses dans une boîte, on mélange le tout et on en sort un Ovni. On n’en est pas encore là mais y parvenir serait un vrai accomplissement. En termes d’influences, certains dans le groupe ne sont pas insensibles à Archive probablement pour cette capacité à explorer et  à se réinventer sans se renier.

Se réinventer, explorer, c’est un peu ce que Radiohead a fait avec Kid A et Amnesiac, non ?
Oui un peu. Radiohead c’est justement un groupe qu’on aime bien pour sa recherche musicale. Pour arriver à Kid A, ça demande une certaine maturité. C’est un peu le Reflektor d’Arcade Fire. Quand t’en arrives là, tu sais où tu vas, ce que tu veux faire. Et puis c’était après le carton du pourtant « osé » OK Computer…C’était une vraie prise de risque.

Justement, que pensez-vous de la prise de risque dans un monde musical où il est déjà difficile de se faire une place ?
C’est justement ce qu’on raconte dans White Duke, la prise de risque… Dans l’album sur lequel on travaille, on veut justement aller plus loin. Si nous avons déjà essayé d’explorer des choses, la déstructuration des morceaux, des ambiances, des styles est un véritable objectif pour nous. Mais pour le moment, nous n’avons exploré qu’en substance cet aspect en restant sur des mouvements plutôt efficaces et codés. C’est aussi notre objectif en live. Déstructurer, faire voyager et surprendre. Le chemin est encore long…

De la blogosphère aux maisons de disques

Comment vous vous y prenez pour faire votre promo ?
Tirer son épingle du jeu n’est pas simple. Depuis l’éclosion d’internet, les groupes émergent de partout et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. C’est un peu à celui qui sera le plus malin. Les blogs sont un très bons relais entre le début d’une aventure de copains et un accès à des professionnels. Les maisons de disques notamment semblent attendre que les groupes acquièrent déjà une certaine autonomie avant de s’intéresser à eux. Moins de place au coup de cœur, le travail de communication est devenu primordial. C’est  dommage mais c’est comme ça. Aussi, il ne faut pas nier l’existence d’une certaine intelligentsia musicale existe et c’est un petit monde. Certains groupes sont de vrais phénomènes un jour puis peuvent être jetés en pâture du jour au lendemain. La liberté d’esprit et de paroles ne semble pas toujours au rendez-vous.

Contrairement aux petits blogs indépendants, qui peuvent dire ce qu’ils veulent sans être lié à quiconque…
Heureusement, c’est d’ailleurs pour ça qu’on est venus frapper à la porte de Merseyside. Le blog est super beau, les articles sont sérieux et actualisés régulièrement. Un blog vraiment sérieux et convivial. On est content que notre musique ait fait écho chez toi et que tu nous donnes l’occasion de nous exprimer plus longuement.

Concerts de The Waggs