Honneur aux Verts
On a presque tout entendu depuis que la direction d’Europe-Ecologie-Les-Verts a refusé la proposition de Manuel Valls de s’occuper d’un grand Ministère de l’écologie et de la transition énergétique, préférant laisser la place à Ségolène Royal : « immaturité politique », « faute politique grave », « absurdité », « boulette royale »… Ce sont des paroles curieuses tant cette décision nous est apparue particulièrement salutaire et politiquement juste.Du moins depuis notre point de vue de citoyens et d’électeurs occasionnels de sensibilités diverses à gauche, donc depuis un point de vue fort éloigné des querelles d’appareils et des combinaisons politiciennes. Non pas que nous croyions qu’une telle décision soit elle-même dépourvue d’arrière-pensées politiciennes — en démocratie, il n’y a pas de politique non-politicienne —, mais parce qu’elle est un peu plus que cela : un bol d’air effectivement salutaire pour toutes celles et ceux qui étouffent dans le climat politique délétère d’aujourd’hui, entre écœurement après deux ans de gouvernement dit « socialiste » et gueule de bois après le 21 avril municipal que vient de connaître ce qu’on appelle encore, faute de mieux, la « gauche ».
C’est pourquoi nous aimerions les remercier en explicitant tout le bien que cette décision a pu nous faire, et sans doute, au-delà de ce petit « nous », à une partie non négligeable de ce que nos gouvernants adorent nommer en période électorale le « peuple de gauche ».
Refuser de participer à un gouvernement Valls est d’abord une doublement bonne nouvelle à court terme. Une bonne nouvelle pour la gauche dite morale, cette gauche qui n’a aucun désir de se mêler des tripatouillages du pouvoir et ne soutient, à l’occasion, certains représentants des démocraties libérales que pour des raisons négatives — pour empêcher que n’advienne encore pire ou pour transformer une défaite en déroute quand elle n’aperçoit plus de lumière à gauche. Il est donc salutaire pour elle de voir qu’au-delà du Front de gauche et du NPA, il existe encore des partis qui refusent de vendre leur âme et leurs idées pour un plat de lentilles à un premier ministre dont toute la compétence depuis vingt ans se réduit à importer les idées de droite et d’extrême-droite dans les zones affaissées des cœurs de gauche. Et une bonne nouvelle pour les élections européennes à venir au cours desquelles nombreux sont celles et ceux qui se sentant encore et de gauche et européens pourront voter sans souci de se renier.
Mais c’est surtout une bonne nouvelle à long terme. D’abord, écologiquement, parce que l’exigence dirimante de transition énergétique est une affaire extrêmement importante et de grande ampleur qui exige un tout autre changement de cap politique que celui de diriger un ministère de l’écologie sous une présidence Hollande, un gouvernement Valls, et un ministère de l’économie confiée à Arnaud Montebourg, c’est-à-dire de diriger un ministère de l’écologie sans aucune marge de manœuvres. Ensuite, stratégiquement, parce que l’état de déliquescence actuelle de la gauche de gouvernement exige bien davantage pour se relever qu’un simple nouveau Parti radical-socialiste peint en vert, supplétif et impuissant : l’élection d’Eric Piolle à Grenoble, à partir d’une alliance improbable Verts-Front de gauche, a ouvert de nouvelles possibilités qu’on aurait tort d’étouffer trop vite. Enfin, tactiquement, parce que la politique de ce nouveau gouvernement, voué d’avance à l’austérité et au saccage de tout ce qui compte encore de services publics pour payer le pacte de responsabilité, ne pourra que faire rimer écologie et désastre social comme économique — qu’EELV y participe n’aurait pas été de bonne augure politique pour l’enjeu décisif des années à venir : parvenir à concilier transition énergétique, réduction du chômage et justice sociale.
C’est de ce dernier point de vue que ce refus fait à Valls nous apparaît le plus déterminant, car c’est bien moins là une affaire de morale ou de confort de sa conscience que de juste calcul politique au sens de Machiavel, c’est-à-dire d’un calcul qui ne peut se concevoir sans but global clairement défini, sans conscience des rapports de force et sans élaboration d’une stratégie au long cours.
A cet égard, on se souvient de Daniel Cohn-Bendit prônant lors d’un congrès en 2001, au nom d’un « il faut savoir être machiavélien », le vote pour l’inversion du calendrier électoral entre législatives et présidentielle, vote qui conduisit non seulement au 21 avril 2002 mais à l’accentuation d’une présidentialisation de la vie politique française à tous égards désastreuse. C’est aujourd’hui l’un des plus sévères critiques à l’égard de la direction d’EELV et nous aimerions donc lui rappeler, ainsi qu’à tous ceux qui l’accompagnent dans cette désespérance factice de ne pas toucher aux commandes, cette irrésistible vérité politique : il est toujours bon de lire Machiavel mais c’est encore mieux de le comprendre.La revue Vacarme