C'était comme un mauvais scenario, si curieux qu'on ne pouvait y croire. Au lendemain d'une défaite électorale inouïe, François Hollande décide de nommer Manuel Valls, l'icône d'une gauche qui se rêve à droite, comme premier ministre. C'était la réponse imprévue de l'actuel locataire précaire de l'Elysée au besoin d'une inflexion sociale que tous ses proches reconnaissaient pourtant comme nécessaire.
C'était la goutte d'eau d'un vase largement trop rempli qui provoqua quelques ruptures politiques dans les sommets et ailleurs.
Dimanche soir, les mots manquent pour qualifier la défaite du parti majoritaire aux élections municipales. Ces dernières sont locales, mais la déculottée est nationale. Dans l'ampleur de la catastrophe, personne ô grand personne n'osa expliquer que c'était la faute des maires déchus et non du locataire élyséen: l'abstention fut massive (40%), et les listes socialistes à leur plus faible étiage depuis 20 ans. Si la guerre des dames à Paris propulsa la socialiste Anne Hidalgo à la tête de Paris aux détriments de l'ancienne égérie bobo-sarkozyste Nathalie Kosciusko-Morizet, l'humiliation électorale subie par le socialiste Patrick Menucci à Marseille (troisième en voix derrière le FN et l'UMP) a marqué les mémoires. Sonné, l'ancien candidat expliqua le lendemain que le "mariage pour tous" lui avait fait perdre des voix. Ou comment se tirer une balle dans le pied une seconde fois.
Marine Le Pen l'a un peu mauvaise. La président normalisée d'un Front national normalisé n'a pas la victoire qu'elle espérait: certes, elle ravit une quinzaine de mairies: le 7ème arrondissement de Marseille, 140.000 habitants, où la triangulaire UMP-FN-PS a fait merveille pour le quadra Stéphane Ravier; ou Fréjus, l'ancien fief de François Léotard repris par le jeune David Rachline, 26 ans et rondouillard, aussi souriant qu'admirateur des thèses d'Alain Soral. Certes, le FN place un bon millier de conseillers municipaux. Mais ses proches sont un à un défaits: son amoureux et assistant parlementaire Louis Alliot à Perpignan; son jeune énarque Florian Philipot à Forbach, son avocat-député Gilbert Collard à Saint-Gilles.
Dimanche soir, Ayrault n'était plus blafard, mais gris. Le lendemain, il passe deux heures à l'Elysée. Le Canard Enchaîné relate. L'ancien premier ministre défend sa cause contre un autre plus intriguant, Manuel Valls. C'est peine perdue. Lundi soir, Hollande apparaît brièvement à la télévision pour expliquer qu'il nous a "compris": justice sociale, redressement, pacte de solidarité, gouvernement de combat, blablabla et blablabla.
Et zou, ce sera Manuel Valls.
Mélenchon parle de "suicide politique."L'homme le plus à droite de la gauche incarnera ce changement de cap. Une "rupture", mais pas une révolution, nous assure ce dernier mercredi soir sur TF1. Il parait qu'il est populaire. Les écologistes refusent de rentrer au nouveau gouvernement. Quelques-uns de leurs élus osent encore penser qu'un strapontin plus gros vaut toutes les couleuvres. Taubira joue sa carte. Son départ signifierait la fin de l'illusion hollandaise. Elle a sa réforme pénale à faire passer.
Quoique corrézien comme lui, Hollande n'est donc pas Chirac. Il nomme son ambitieux ministre de l'intérieur à la tête du gouvernement là où Chirac avait hésité à l'égard de Sarko. On imagine qu'il cherche ainsi à faire coup double: neutraliser un concurrent pour 2017, et trianguler la droite qui ne sait comment s'opposer au plus compatible des ténors socialistes. Hollande clarifie. On sort du doute qui permettait dapplaudir Taubira ou Duflot, tout en détestant Valls ou Moscovici.
Mardi 1er avril, son décret de nomination paraît au Journal Officiel. Mais ce n'est toujours pas un poisson d'avril.
Mercredi 2, fin du suspense. Le gouvernement "resserré" est annoncé. Il y a 4 ministres de moins, deux nouvelles têtes et il manque encore la cohorte des secrétaires d'Etat. Ségolène Royal est là. Montebourg récupère l'Economie, en duo avec Sapin qui hérite du Budget. Le sénateur-maire de Dijon s'incruste à l'Emploi.
La France vote à droite, et donc Hollande lui a choisi le premier ministre de gauche le plus à droite. La France vote à droite, mais le gouvernement sera bien à gauche, soyez-en sûrs, nous assure-t-on. Les justifications les plus ridicules fleurissent ici ou là.
Les éditocrates décryptent les négociations de coulisses, le poids des uns, le choc des autres, qui ont présidé ou suivi la constitution de cette équipe. On parle méthode, casting, "process". On oublie le fond, l'essentiel, bref, la politique.
"Nous sommes tous Hollandais" justifie Valls sur TF1 mercredi.
"Valls doit faire du Valls" tranche Hollande en fin de semaine.
On est prévenu.
"Vallscinez-vous."
Quelles sont donc les "idées" de Manuel Valls ? Les "35 heures à déverouiller" ? Les Roms "sans vocation à s'intégrer" ? Une vraie TVA sociale ? La réforme du "socialisme dépassé" ? Davantage de flexibilité salariale ?
Jeudi, Michel Sapin, qui hérite des Finances, patauge à expliquer comment il s'y prendra pour obtenir un délai face à Bruxelles. Car Hollande lundi soir l'a dit: il faut que l'Europe comprenne que c'est dans son intérêt de laisser la France rétablir ses comptes à son rythme. Le pacte de responsabilité sera détaillé dans quelques semaines. Le détail des 50 milliards d'euro d'économies également. La France est une miraculée de la dette; à peine 50 milliards d'euros d'agios à payer chaque année grâce à des taux incroyablement bas (mois de 3%). Si nous étions au niveau de 1993, ces mêmes agios engloutiraient plus de 120 milliards d'euros.
Bref, tout change et rien ne change.
Il en est un qui continue cependant de nous amuser.
Au soir des élections municipales, Nicolas Sarkozy téléphone beaucoup. Il félicite beaucoup. La "vague bleue" lui doit beaucoup, du moins croit-il. Sarkozy téléphone trop. Vendredi 28 mars, les juges ont interrogé le patron des services secrets français. Sarkozy a appelé Patrick Calvar, directeur de la DCRI, à deux reprise depuis décembre dernier, à propos de l'enquête qui le vise sur les soupçons de financement libyens de sa campagne présidentielle de 2007.
Ami sarkozyste, reviens.
Valls à Matignon, Sarkozy en prison ?
Bon, Ben, ça y est. Je suis dans l'opposition. Merci, au revoir.
— Juan (@Sarkofrance) March 31, 2014
Crédit illustration: DoZone Parody