LUI ? (d'après Maupassant)
Oui,
Voilà,
Je me marie.
Tu ne comprends pas ?
Tu me crois devenu fou ?
Non. Je n’ai pas changé du tout.
Huit maris sur dix
Sont cocus, ont leur vie
Définitivement enlacée
Ou bien à l’amour libre, ils ont renoncé.
Je suis incapable d’aimer une seule femme
Quand pour toutes les autres je me damne.
L’accouplement légal est une bêtise.
Je voudrais avoir mille bras, mille flancs,
Mille lèvres et mille…tempéraments
Pour étreindre mille femmes exquises.
Tu me prends pour un infâme,
Un misérable
Qui préfère les autres femmes
À celle dont je vais devenir le mari…
Tu me trouves déraisonnable ?
Pourtant, c’est ainsi : je me marie !
En fait, je me marie
Pour ne plus être seul.
Tu me trouves veule ?
Tu ne saisis pas mon état d’esprit :
Eh bien, rester seul me fait peur !
J’ai peur de la peur.
Ris si tu veux
Mais je suis inguérissable. C’est affreux.
J’ai peur du trouble de mes pensées,
De ma raison bouleversée.
J’ai peur
Parce que je ne comprends pas ma peur.
Je parle, j’ai peur de ma voix.
Je marche, j’ai peur de qui est derrière moi.
N’est-ce pas terrible d’être ainsi ?
Autrefois je n’éprouvais rien de ceci.
J’allais et venais sereinement
Et rentrais tranquillement.
À l’époque, si l’on m’avait dit
Qu’une maladie de peur
Devait me saisir à cette heure,
J’aurais bien ri.
Tout a commencé l’année dernière
Et de façon bien singulière
Par un soir humide d’automne.
Après le départ de ma bonne,
Je suis sorti
Pour aller voir un ami.
Ne l’ayant pas trouvé, j’ai erré
Jusqu’à minuit.
En rentrant, je fus surpris :
Ma porte avait été poussée
Alors qu’en partant, je l’avais fermée.
Un homme était installé
Dans mon salon !
J’ai immédiatement pensé :
Il est sans doute de mes relations.
La concierge avait dû ouvrir
Et lui dire :
‘’Restez au chaud et attendez.
Votre ami ne va pas tarder.’’
Il dormait devant mon feu.
On n’y voyait guère dans la pièce.
Je me suis demandé : ‘’Qui est-ce ?’’
Je n’apercevais que ses cheveux.
Inquiet,
Je me suis avancé.
Personne ! Le salon était vide !
C’était une hallucination stupide !
Je ne constatais pas de faits anormaux.
Je ne ressentais aucun trouble côté cerveau.
Mes yeux seuls m’avaient abusé,
Avaient trompé ma pensée.
Rassuré, je me mis au lit
Et le sommeil m’envahit.
Pourtant, depuis ce jour, j’ai peur :
Angoisses, appréhensions, frayeurs…
J’ai beau me raisonner, je n’en peux plus.
Je ne supporte plus la solitude.
Pourrai-je avoir un jour la certitude
Qu’Il ne se montrera plus ?
Je me suis dit : ‘’ Allons, c’est assez !’’
Mais il reste toujours dans ma pensée.
Il est derrière la porte, sous le lit
Ou dans l’armoire. Il est ici !
Il est là parce que je suis seul,
Uniquement parce que je suis seul !
Mais si nous étions deux chez moi,
Je sens qu’il n’y serait plus… Tu vois ?