Le bataillon créole désigne ici les jeunes martiniquais qui rejoignirent l’armée française, durant la guerre de 14-18, pour se battre aux côtés de leur « mère patrie », ce lointain pays qu’ils appelaient « Là-bas ». De la guerre, ils n’en connaissaient ni le déclenchement, ni les enjeux, mais pour défendre l’honneur de la Martinique et de la « Fwans », certains d’entre eux s’enrôlèrent, comme Théodore, coupeur de canne, Ti Mano éboueur municipale, Ferjule ajusteur à la distillerie et Rémilien l’instituteur.
C’est dans un très beau français créolisé que Raphaël Confiant évoque cette guerre à travers les paroles des soldats, mais surtout de leurs proches, restés en Martinique, et qui voient revenir des corps mutilés ou des cercueils – quand il y en a un. Certes cette langue particulière m’a semblé difficile au premier abord, mais je me suis laissée porter par les nombreuses images qu’elle véhicule, les mots m’étaient inconnus mais leur sens évident.
On voyage de Martinique en France en passant par les lieux de célèbres batailles, la Somme, la Marne, Verdun et jusqu’au front d’Orient, le détroit des Dardanelles et la presqu’île de Gallipoli. La guerre en elle-même n’est évoquée véritablement que dans quelques épisodes, dont le plus marquant est peut-être celui des tranchées à Verdun. Dans ces épisodes, retranscrits dans des lettres ou des témoignages, on aperçoit les conditions de vie déplorables des soldats créoles, non seulement car ils doivent s’habituer à un climat totalement différent du leur, mais également car ils sont mis à l’écart par les officiers et autres soldats français qui considèrent que tout homme noir vient d’Afrique. Raphaël Confiant rend hommage à ces soldats martiniquais et à ce pan de l’histoire de la Première Guerre Mondiale qui m’était méconnu.
C’est aussi et surtout la vie en Martinique à cette époque qui nous est donnée à voir à travers des personnages hauts en couleur, dans leur langage, leurs superstitions, leurs traditions et leurs coutumes. Par certains aspects, le roman en devient même tragi-comique et c’est peut-être là tout le talent de Raphaël Confiant, de nous avoir donné à lire un roman sur un épisode tragique de l’histoire, sans tomber dans le pathos et le devoir de mémoire.
"Parle-moi de "Là-bas" ! Parle-moi surtout-surtout de la Marne, grand vent qui voyage sans répit de par le monde ! On dit que Théodore est mort dans une tranchée. Je ne comprends pas. Pourquoi l'armée de "Là-bas" se cachait-elle dans des trous au lieu de monter au front ? Pourquoi y attendait-elle que le Teuton fonde sur elle ?" (Man Hortense)
Lu dans le cadre du Prix Océans.