(À M-C O.-L.)
Annik avait toujours eu des jobs un peu étranges.
Elle avait été une saucisse prise entre deux pains, le temps de l'ouverture d'un stand de patates universitaire.
Elle avait aussi été momentanément engagée afin de frapper à toute les 9 secondes avec un petit bâton sur des pots de moutarde quand une chaîne de production avait eu un défaut avec un système qui le faisait automatiquement. Quand le pot de moutarde faisait "Plouc!" au lieu de "Ploc!", cela voulait dire que l'opération de vissage du bouchon supérieur avait fait défaut et qu'un peu d'air pouvait circuler et endommager le produit à court terme.
Bref, Annik, toujours étudiante, ne s'en faisait guère, dans deux ans, elle serait journaliste. Ces études le lui promettaient, pensait-elle naïvement.
Mais pour le moment, elle avait besoin d'un peu de sous, ne serais-ce que pour être en mesure d'éponger l'augmentation du tarif d'électricité annoncé il y avait 4 jours qui ferait sauter sa facture de plus de 100 nouveaux dollars par mois. En consultant les petites annonces elle tomba sur celle-ci:
"Besoin d'une lectrice pour mes écrits érotiques. Textes peu conventionnels, doit avoir l'esprit ouvert et une voix agréable. Aucune rencontre nécessaire. Courriel d'abord, téléphone ensuite, vous me lisez le texte au téléphone. Le plaisir pourrait devenir une habitude auditive. Charme mes oreilles pour un peu d'oseille :)" -Jules ou Jim.
Annik lui écrit à l'adresse courriel qu'il avait laissé.
Jules ou Jim lui a envoyé son texte:
Ooooh tu me semble si délicieux...tu reposes dans ma main.
Tu parais simplement savoureux...tu éclateras dans ma bouche.
Tu es comme du bonbon...juteux...aigre...mes lèvres pulpeuse t'enveloppent.
Slurp...urp...ma langue te fais glisser dans ma gorge.
Gallup! Pup!
Mon visage s'approche de ta luette.
Je glisse et plonge dans tes intestins.
Je m'annonce d'un pet divin.
Je sors entubé dans les toilettes.
Je nage dans le St-Laurent.
Désir flottant, désir flottant.
(...)
et bien...pensa-t-elle...
Y a des poète qui font le vide au premier degré.
Y a pas de sot métier.
Une fois le choc initial passé, ce serait de l'argent facilement gagné.
Pour le rôle qu'elle allait jouer, elle enfila un costume en cuirette.
Ça ferait plus net.
Elle plongea (enfin pas au premier degré...) appelant Jules ou Jim et lui lu au téléphone sa prose digesti...(érotique?)
Elle ne força rien, ne se donna aucun style, juste sa voix, toute simple et féminine. Sans effets. Une voix lisse et claire.
Il aima beaucoup, lui envoya 500$ par virement virtuel moins d'une heure plus tard et lui promit un nouveau texte (et un nouveau chèque) pour le lendemain.
Elle était contente. Argent facile. Sans même avoir à bouger de chez soi.
Sans même voir le plouc qui vous payait.
Le 7 minutes le plus payant de sa vie.
Pour se mettre dans l'ambiance, elle l'avait appelé, assise sur le bol (fermé).
Ça l'avait inspirée. L'écho de la salle de bain créait aussi un effet particulier.
Une acoustique sonore intéressante.
On sonna à sa porte. C'était le gars de l'appartement voisin. En lui voyant le sourire coquin, elle comprit tout de suite.
Elle savait les murs en papier. De la salle de bain c'était pire, il y avait une trappe d'aération qui lui faisait parfois entendre des décompressions physiques dans les toilettes de la part de son voisin dont elle se serait bien passé.
Il l'avait entendue lire, elle répondait en cuirette...
Il était là son voisin. Avec un visage coquin. Il voulait connaître la suite de son histoire digesti...érotique, ou encore pensait-il rédiger un nouveau scénario avec elle? Ve...venait-il de lui envoyer 500$ virtuellement?
Nooooooon...c'était pas sa voix, elle l'aurait reconnu. Elle l'entendait chanter dans la douche ou parler au téléphone sur son bol de toilette à lui.
Annik ne pouvait que se l'imaginer assis sur un bol faisant de la musique avec son cul.
"Gallup! Pup!" dit-il, les joues rosées avec des yeux de jeune pervers.
"Slurp, urp!" répondit-elle, excédée, avant de lui refermer la porte au nez.
Pute imaginaire, sans plus.
Elle ne ferait pas la pute.
De toute façon on ne dit pas "faire la pute"
On ne dit rien.
Mais on le pense.
Ou alors on la fait pas.
Puis là, on y pense pas.