A propos de Pelo Malo de Mariana Rondón, de Eastern Boy de Robin Campillo et de La Braconne de Samuel Rondière
Samuel Lange Zambrano
Joli pêle-mêle de films très différents mais réussis sur le lien filial et la transmission cette semaine sur borokoff, à commencer par Pelo Malo de la Vénézuélienne Mariana Rondón. C’est un beau film noir, une chronique familiale intimiste et bien sentie mais sombre, très sombre. Apre et tendue, l’histoire se déroule à la fin du règne et de la vie d’Hugo Chavez, au moment où il est déjà très malade. A Caracas, ville de tous les dangers, en tous cas connue pour sa violence, Junior (extraordinaire Samuel Lange Zambrano), 9 ans, vit avec son petit frère de 2 ans et sa mère (Samantha Castillo) qui a du mal à joindre les deux bouts. Entre mère et fils, le torchon brûle. Les rapports entre Junior et sa mère sont durs, à l’image du caractère que s’est forgée cette jeune femme qui doit élever seule ses deux enfants. Peu aidée par les circonstances de la vie, la jeune mère doit se battre pour s’en sortir. Elle aimerait pouvoir compter sur Junior, lui faire confiance, mais n’y arrive pas. Elle et son fils ne s’entendent pas. La mère rêverait que Junior se comporte en homme, qu’il prenne la place du patriarche dans la famille mais elle se heurte à un mur de déceptions.
Samuel Lange Zambrano, Samantha Castillo
Surtout, elle ne comprend pas son fils, cet enfant au physique si particulier, au corps mince, à silhouette fine et élancée, au visage longiligne, au regard à la fois vif et si singulier. Elégant, Junior déambule entre les barres d’immeubles en chantant. Rêveur, il ne pense qu’à se lisser les cheveux – il déteste ses cheveux bouclés, hérités de son père, et préfère les cheveux de sa mère – tout en se projetant dans des déguisements et un personnage de rock star. Ce qui rend folle d’inquiétude sa mère qui s’effraie des penchants « homosexuels » de son fils qu’elle envoie régulièrement consulter, pour se rassurer qu’il n’est pas atteint par une « déviance sexuelle ». On pense de loin à Tomboy de Céline Sciamma dans le côté transgenre de cette histoire et de cet enfant. Dans cet affrontement douloureux avec sa mère, Junior trouve refuge chez sa grand-mère paternelle, figure douce et apaisante qui lui apprend – en catimini – à chanter et à danser, ce qui ne fera qu’attiser la fureur de la mère lorsqu’elle le découvrira… Pelo Malo est un film dur mais touchant. Très bien interprété, filmé à hauteur d’enfant, il décrit avec justesse le dilemme, la souffrance et la colère à la fois de Junior, obligé de renoncer à ses rêves les plus profonds pour reconquérir le cœur de sa mère…
Olivier Rabourdin, Kirill Emelyanov
Autre son de cloche, avec Eastern Boys, second long métrage de Robin Campillo après Les revenants (2003).
A Paris, Daniel (Olivier Rabourdin, faux air de Kevin Spacey, non ?) erre Gare du Nord, à la recherche d’un garçon. Il tombe sur Marek (Kirill Emelyanov), un jeune de l’Est qui semble se prostituer. Sous le charme, Daniel l’invite chez lui pour le lendemain. Mais Marek ne vient pas seul. Avec une bande de jeunes Russes, il dévalise son appartement, devant un Français subjugué avant de rester stoïque, impuissant face à cette bande de l’Est qui menace de le dénoncer s’il appelle la Police, comme ils sont venus (les malins) accompagnés d’un mineur, caution parfaite pour le faire chanter…
Très bien filmé, scénarisé et interprété, Eastern Boys décrit la misère de deux êtres que tout semble opposer au départ, de leur âge à leur parcours en passant par leur pays respectif. La manifestation la plus directe de cette misère, la forme la plus visible, la plus apparente ou la plus palpable (on serait tenté de dire la plus primitive) qu’elle prend, passe par le sexe. Mais le sexe est ici le reflet d’une misère humaine et d’une souffrance beaucoup plus grande et plus profonde chez les deux hommes. Un malaise dont les origines varient et divergent sensiblement chez Marek et Daniel. Pour Daniel, ému par le sort de Marek, c’est la solitude qui semble lui peser le plus sans que l’on connaisse son histoire en détails ni même le travail qu’il exerce. Marek quant à lui a perdu toute sa famille, tuée en Tchétchénie.
Patrick Chesnais et Rachid Youcef
A la solde d’un petit caïd russe qui lui a confisqué son passeport, le jeune Ukrainien a besoin de repères et d’une bouée, de quelqu’un à qui se confier et se rattacher (s’enraciner), lui qui se sent paumé et comme un prisonnier à Paris. Dès lors, Daniel devient de plus en plus pour lui comme la figure d’un père, un père qui semble le subjuguer et dont il admire la générosité, la bonté d’âme (il faut voir les yeux fascinés avec lesquels Marek regarde Daniel). Robin Campillo quant à lui se garde bien de porter un jugement sur cette misère et sur ces deux personnages de solitaires un brin perdus et désespérés. Evitant le pathos et la commisération, il préfère observer avec finesse le rapprochement entre ces deux-là et les liens affectifs et de protection mutuelle qui s’instaurent, se tissent entre eux, avec le danger que cela représente et qui pèse constamment. Un film assez juste et équilibré, assez émouvant pour le conseiller. Fortement. Campillo développe l’idée d’une forme de solidarité, de main tendue vers l’autre et d’humanisme qui vont à l’encontre de l’individualisme de notre époque. Sans tomber dans la complaisance ni une bienveillance « niaiseuse », il signe là un très beau film, à la fois inspiré et maîtrisé…
Enfin, La Braconne est le premier long-métrage de Samuel Rondière, qui en signe aussi le scénario. Polar à la mise en scène assez sèche et épurée, La Braconne se déroule dans la périphérie de Tours et s’articule autour de la rencontre de deux truands que tout sépare à priori. Danny (Patrick Chesnais, plus audible que d’ordinaire) est un vieux détrousseur de parking fatigué et qui doit une forte somme d’argent à deux malfrats locaux. Sur sa route, il croise Driss, un jeune voleur minable, habitué à se faire casser la figure. Danny décide de « former » Driss au racket et à l’extorsion. Mais rien ne se passe comme prévu entre les deux caïds, le vieux braqueur se heurtant au caractère nerveux du jeune homme, à son éducation, à son parcours et à son milieu (la cité) qu’il avait sous-estimés. Pourtant, peu à peu les deux hommes se rapprochent. La Braconne manque de rythme et tension dans la mise en scène mais ces défauts sont compensés par la confrontation réussie entre Chesnais et Youcef, tous deux très bons dans leur rôle et qui s’entendent à merveille. Derrière cet apparent polar désabusé (à l’image du personnage de flic joué par l’inénarrable Jean-Michel Fête), on retrouve (encore) une histoire de filiation et de père manquant (ou de fils manqué) pour un gamin des cités aussi paumé qu’attachant. Au-delà d’un scénario pétri de qualités, c’est surtout le duo parfait Chesnais / Youcef que l’on retiendra…