La rousse la plus flamboyante, la plus sulfureuse de l'édition française, avait récemment raconté sa vie dans L'enfant du 15 août. Un livre désormais testamentaire puisque Régine Deforges vient de mourir à 78 ans. J'ai un souvenir attendri de ses deux premiers romans, Blanche et Lucie, inspiré par ses grands-mères, et Le cahier volé, par une aventure traumatisante de sa jeunesse. Mais elle fut probablement meilleure éditrice de livres érotiques qu'écrivaine du genre. Et ses plus gros succès restent La bicyclette bleue, avec ses suites - 10 volumes au total. Arrêt sur une rencontre d'il y a vingt ans, au moment où paraissait Rue de la Soie, le cinquième de la série. Régine Deforges, quand elle a commencé à écrire La Bicyclette bleue, ce roman vaguement inspiré d'Autant en emporte le vent - inspiration qui fit l'objet de bien des procédures juridiques toujours pas terminées aujourd'hui [en 1994, donc] -, ne savait pas du tout vers quoi elle se dirigeait. Une trilogie s'est formée, avec 101, avenue Henri-Martin puis Le diable en rit encore. Six ans plus tard, Noir Tango est venu faire la transition avec un cycle suivant dont Régine Deforges dit maintenant: "C'est le premier volume d'un cycle qui en comprendra deux ou trois." Les amateurs de feuilletons ne s'en plaindront certes pas, dans la mesure où tous les ingrédients du grand roman d'aventure sont une fois de plus réunis ici pour le plus grand plaisir de ceux qui aiment ça: des dialogues enlevés au cours desquels on en apprend long sur l'histoire de l'époque dont il est question - les années 1947-1949, soit le nœud d'un conflit qui ne cesse de croître entre les indépendantistes du Vietnam et les Français qui sont encore, à l'époque, des colonisateurs. Rue de la Soie, le premier volume en question, nous permet donc de retrouver les personnages de François Tavernier et Léa Delmas, mariés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et aussitôt séparés puisque François doit partir en mission diplomatique semi-secrète vers l'Indochine. La situation n'est pas simple, et le temps qui passe ne la rend pas plus limpide. Heureusement pour Régine Deforges: "La vie quotidienne, ce n'est pas très marrant à raconter. J'aime l'épopée!" Cette épopée, on peut d'ores et déjà le dire, devrait nous conduire jusqu'à Dien Bien Phû, ce qui représente encore un lourd travail de recherche documentaire avant même l'écriture. "Je n'imagine jamais la somme de travail que ça peut représenter. On a un peu l'impression que je ne doute de rien..." Dans le domaine purement romanesque, Régine Deforges en est à émettre des hypothèses sur l'évolution de ses personnages. "Leur évolution psychologique doit se faire par rapport aux aventures dans lesquelles je les ai jetés. Ainsi, il faut que Léa devienne moins capricieuse, moins infantile. Elle ne peut pas continuer à être aussi sautillante dans les maquis du Viêt-minh..." En parlant avec l'auteur, on devine que son roman se construit au fur et à mesure, qu'elle se laisse guider par le plaisir de raconter une histoire et d'accompagner ses héros jusqu'au bout de leur destin. Elle glisse d'ailleurs, en confidence, qu'elle n'avait pas tout à fait terminé d'écrire ce volume au moment où il devait être imprimé, et qu'elle a donc dû finir en catastrophe. "Ça ne se voit pas trop?" demande-t-elle avec un peu d'inquiétude dans la voix. Non, puisqu'on est prêt, quand elle aura eu le temps de s'y mettre, à repartir avec elle pour un autre tour de roue, même si la bicyclette bleue est maintenant bien loin.