Marguerite Duras joue des mots comme cette « Madame française, qui joue du piano dans la pièce attenante » (L’Amant de la Chine du Nord). Et à propos de piano,
L’intrigue : Un meurtre dans le café assez simple à élucider : un homme a tué sa maîtresse, meurtre passionnel selon les rubriques journalistiques. Cette élucidation n’est pas celle qui intéresse Mme Anne Desbaresdes. Dès le cri de la femme tuée, et l’arrêt brutal de ce cri, Mme Anne Desbaresdes s'interroge. Le cri n’est pas celui d'une femme qui subit la violence d'un crime. Lorsque, devant la foule, la police procède à l’arrestation de l’assassin, ce dernier est indifférent à la présence de tout ce monde. L’amant tueur a des postures amoureuses à l'égard du cadavre de sa maîtresse. Anne Desbaresdes assiste à une scène d’amour, d’empressement amoureux. Le sang de la bouche de la femme dont l’amant s'est barbouillé par ses baisers évoque inconsciemment à Anne Desbaresdes la passion amoureuse.
Au fil de ses questions à Chauvin, Mme Anne Desbaresdes cherche à élucider non pas le meurtre mais la passion amoureuse, celle qui a amené les amants à prendre la décision du crime. Peu à peu il ne s'agit plus du meurtre mais de quelque chose qui ne se dit pas, qui jamais n'est défini, qui s'élabore dans l'évolution de la relation entre Chauvin et Mme Anne Desbaresdes : le désir qu'ils ont l'un de l'autre, le désir sexuel et la question de son accomplissement, de son aboutissement, de la jouissance, comme dépossession de l'être, comme perte de soi. La jouissance lui fait peur même si elle veut la "connaître". La jouissance est peut-être comme l'ivresse due à la consommation itérative et inhabituelle, pour Anne Desbaresdes, de vin rouge. Ou quelque chose qui lui ressemble, qui lui fait pressentir le plaisir et la perte de soi. Et peut-être plus que la perte ? Comme si l’acte sexuel et l’acte de mourir des mains de son amant étaient au fond la même chose. Les questions et les réponses ne lui suffisent plus, Anne Desbaresdes demande à Chauvin de témoigner de la vie du couple. Voire de faire comme s'il était l'amant. Elle finit ainsi par amener Chauvin, vis à vis d'elle, dans la même disposition : passer à l’acte. Mais de quel acte ? A la dernière page Chauvin dit : " Je voudrais que vous soyez morte ", elle répond : " C’est fait." ! Chauvin connaissait donc Mme Anne Desbaresdes. Il avait, pour elle, une fascination d’homme du peuple à l'égard d’une femme riche, libre (les seins nus, la fleur entre les seins,..) et il connaît très bien sa maison : il évoque cet intérieur avec la précision maniaque d’un amant qui a déjà visité les lieux et s’apprête à les re-visiter. Mme Anne Desbaresdes est, vis à vis de Chauvin qui se confond de plus en plus avec l'amant assassin, dans une disposition qu'elle prête à la victime : une proie sexuelle pour un homme ! Elle est hypnotisée par le mystère du désir de l’homme, par celui du désir de la femme qui s’y soumet, qui y succombe pour finir et, qui, pour cela l’appelle de ses vœux. Elle est dans une peur hypnotique de ce que les deux désirs, quand ils s'accordent, ont de dangereux. La mort, peut-être ? Enfin, le mystère de la jouissance féminine lui fait peur. Seule l'ivresse par le vin rouge lui permet peu à peu d'en concevoir l'idée et d'en tenter l'approche pour, à la fin, y renoncer. Le cri de la femme tuée prend alors tout son sens : jouissance et dépossession, confondues avec la mise à mort. Chauvin rôde autour de la maison d'Anne Desbaresdes. Elle le sait et sait pourquoi. Elle est la raison de cette approche et de cette attente, elle est la proie d’un homme qui est dans le désir d’elle, désir très animal, un désir d’instinct d’homme, désir d’homme qui l'investit femme en marge de sa société. Le désir d'un homme est devenu instinct de meurtre. L’ivresse du vin désinhibe, elle ressemble, mais elle ne fait hélas que ressembler, à la jouissance qui fait si peur. Mme Anne Desbaresdes finit par friper la fleur mise entre ses seins que Chauvin, dans son instinct d’homme qui désire une femme, avait bien repérée et dont il avait bien mesuré le sens métaphorique. Elle renonce au désir de l'homme et à la jouissance, comme défaite mortelle, donc impossible. Alors que Chauvin pénètre dans le parc et la maison en pleine nuit, Mme Anne Desbaresdes fait le choix de la chambre de son enfant et vomit le vin de l'ivresse. L’homme qui rôdait est condamné à retourner à la ville et à la nuit. L’attouchement des mains comme des lèvres en guise de baiser le lendemain sont ceux de deux êtres morts. De deux cadavres.
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