Ceviche, carnaval et l’hyper-ponctualité du gringo
Leçon #1: apprendre à déstresser
“Prends la combi sur la rue Arequipa et débarque au centre commercial Risso, on s’attend là bas à 13h30″ avait dit Claudia, la sympathique péruvienne rencontrée à la Kasa Roja, une galerie d’art dans Miraflores. C’est tout ce qu’on savait, Matt l’Américain, Stéphanie l’autre québécoise et moi. Bon, normalement, ça aurait été assez d’information, mais en débarquant de la combi, dans le doute, on demande à plusieurs passants qui nous indiquent tous des directions opposées. En voyage au Pérou, on apprend rapidement une chose: personne ne va jamais dire “je ne sais pas” quand on demande une direction. Ils indiquent simplement la gauche ou la droite, même s’ils n’en n’ont aucune idée. Faut le savoir .
Donc, on marche, on tourne en rond. Et forcément, pas d’internet sur mon téléphone pour la contacter (oui, j’aurais dû acheter un forfait). Alors comme des vrais gringos stressés par le temps, on commence à “capoter”. Parce que chez nous, quand t’arrives 30-40 min en retard à un rendez-vous, c’est généralement pas trop apprécié. Et on a beau te répéter “mais non au Pérou, la notion du temps est différente, tu dois toujours calculer au moins 30 min-1h de retard”, toute ta vie on t’a dit qu’il fallait arriver à l’heure. C’est comme ça, un cerveau, ça se déprogramme pas si facilement.
Alors après avoir cherché Claudia dans les entrées potentielles du centre commercial, Stéphanie dit: “hey y’a pas du wifi au McDo?” Pour une fois que ça sert à quelque chose cette cochonnerie de fast food. Je commande une bouteille d’eau pour demander le mot de passe et on s’assoit. Moi, dans ma tête de Montréalaise, je suis persuadée que Claudia est déjà partie après nous avoir attendus et pire, qu’elle doit être frustrée.
Mais… je suis dans les patates. Je regarde mes messages et je ris. Au contraire, elle va arriver plus tard que prévu. Là, s’enchaîne un échange de messages entre “j’arrive” et “mais quand?” parce que “j’arrive” en péruvien, c’est pas un vrai “j’arrive”, c’est un demi “j’arrive”. Puis, elle arrive, plus tard, fraîche comme une rose et nous fatigués d’avoir stressé pour rien. Drôle, et classique.
Claudia nous a promis de nous emmener manger un bon ceviche au marché à côté de chez elle. Direction le Mercado Lobatón, un marché dans Lince (Jesus Maria) qui existe depuis plus de 70 ans. On passe devant les fruits, les légumes, les canards suspendus par le cou et poulets par les pattes, puis on arrive devant la Cevicheria Nancy. Il y a beaucoup de monde et pas de place pour s’asseoir. Je ne comprends rien à l’organisation du truc, qui attend quoi, où passer la commande, mais Claudia gère comme une championne.
On finit donc par avoir devant nous un combo #2 avec chicharron de pescado (poisson frit), arroz con mariscos (riz aux fruits de mer) et un ceviche (35 soles).
Après quelques bouchées, elle me dit, “t’as déjà goûté la chicha de jora? Tu dois y goûter, c’est obligé!”. À ne pas confondre avec la chicha morada, une des boissons préférées des Péruviens à base de maïs mauve, la chicha de jora est une boisson de maïs fermenté, préparée avec épices, eau et sucre. L’arrière goût me rappelle la bière, mais avec un côté bien plus léger et sucré.
Pendant qu’on mange, Matt disparaît avec ma caméra à travers le marché, et ça donne ça:
Puis on quitte le marché en direction du Carnaval Huanuqueño, la fête de Huánuco, une ville du centre du pays, qui est un véritable mélange entre la selva et la sierra, la jungle et la montagne. C’est toute une communauté festive qu’on découvre. Après avoir acheté de la bière – parce qu’aucune fête péruvienne qui se respecte n’est célébrée sans bière- on se dirige vers le centre du parc.
Là, c’est la fascination totale. Je n’écoute plus grand chose de la conversation, je regarde avec un sourire béat la “Danza de los Negritos”, une danse typique de leur région avec ses costumes flamboyants. Au Pérou, les danses ont toujours une histoire, une trame. Dans ce cas ci, c’est l’histoire des esclaves africains travaillant dans les haciendas de Huánuco. Il y a plusieurs personnages, mais celui qu’on voit dans la mini vidéo ci-dessous (merci, batterie de me lâcher au bon moment) est le Corochano, l’Espagnol, avec un masque blanc, une longue barbe et une grosse moustache, ainsi qu’un nez rougi par l’alcool. Il joue des tours et fait peur au public. On s’en doute, c’est pour le rendre grotesque.
Puis, les personnages viennent chercher le public pour l’emmener danser. Je suis surprise, les gens dansent tout naturellement, en faisant des petits sauts délicats au rythme de la musique. J’ai comme l’impression que si je me lançais, j’aurais l’air d’une bûcheronne dans un troupeau de jeunes gazelles. L’histoire de ma vie.
Puis le traditionnel laisse place moderne avec le chanteur de Huánuco Pelo d’Ambrosio. Tout le monde chante et a l’air heureux, c’est beau à voir. Ça boit, ça boit, ça n’arrête plus.
Après quelques heures, quand le soleil tombe, on commence à danser autour de l’arbre planté au milieu du parc où sont accrochés des “cadeaux”. Comme certains sont plus motivés que d’autres, ça part d’un côté et de l’autre, on se salit et on rit. Et hop, un coup de hache, puis un autre, jusqu’à ce que l’arbre tombe. La coup de la fin est marqué.
Ce que Claudia ne sait pas, c’est qu’elle vient de m’offrir un des meilleurs souvenirs que j’aurai de ce voyage au Pérou. Une expérience authentique, sans aucun touriste, à laquelle je n’aurais jamais eu accès sans elle. Gracias chinita.