J'avais entamé ce roman il y a quelques mois et j'avais été incapable de le poursuivre. Je l'ai repris la semaine passée et cela a été une révélation. Je l'ai dévoré en quelques jours.
Cette lecture rentre dans le chalenge amoureux de L'Irrégulière. J'ai décidé de l'intégrer dans la catégorie : "Hymne à l'amour". Ce tome de La recherche n'est pas tant un hymne à l'amour qu'un vrai traité, une véritable analyse de l'Amour.
Jolie reprise de Florent Mothe.
L'œuvre de Proust est centrée sur l'existence, la mémoire, la vie intérieure, les sentiments, l'art. Et il est un sentiment qui est présent du début à la fin: l'amour sous toutes ses formes. Que ce soit l'amour-jalousie de Swann pour Odette, l'amour idolâtre pour un artiste, l'amour familial, l'amour-jalousie du Narrateur, l'amour-souffrance de ce pauvre Marcel...
Il existe trois formes d'amour (déclinables à l'infini, certes, mais d'emblée, on en a trois...): Eros: le désir amoureux. C'et l'amour possessif, passionné et lié à l'érotisme et la sexualité.
Philia: l'amitié. Cette force désigne l'amour entre les individus.Agapê: l'affection. C'est une sorte d'amour courtois, voire divin.
Ces trois formes d'amour peuvent se décliner selon des degrés différents: la tendresse, la passion, l'attirance, le coup de foudre, l'amour fou, l'érotomanie (degré suprême qui en devient une pathologie...).
Depuis quelques tomes, notre Narrateur est épris d'amour pour Albertine. Il la veut, la désire d'autant plus que ses sentiments ne sont pas partagés. Rappelons-nous qu'elle lui refuse un baiser à la fin d' A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Evènement qui le traumatise, qui le dépite.. Dans Sodome et Gomorrhe, leur relation évolue. Il s'éloigne d'elle et ne sentant ainsi plus désirée, Albertine se rapproche de Marcel. Puis, elle titille sa jalousie en "folâtrant" avec Andrée et fait monter le désir chez notre homme. Plusieurs sentiments ambivalents vont alors naître: le mépris pour la tendance gomorrhéenne d'Albertine, l'excitation de sa relation lesbienne, la jalousie, etc
Où en sont-ils dans La Prisonnière?
Albertine vit chez le Narrateur. Cette union n'est pas véritablement validée par la mère de celui-ci, ce qui le chagrine au plus haut point. Peu de personnes apprécient Albertine, la taxant de légèreté, de frivolité. Dans ce roman, Marcel Proust décortique à merveille la relation et le sentiment amoureux. Ce tome apparaît comme une table de dissection: le Narrateur théorise dans des monologues intérieurs l'Amour; il l'analyse, l'étudie. Il expérimente le sentiment et l'acte d'amour avec minutie et exactitude. L'amour et l'habitude
Le Narrateur comprend que l'Albertine possédée est complètement différente de l'Albertine fantasmée, comme si l'habitude ternissait l'image forte de la première rencontre. Il ne peut plus retrouver celle dont il était tombé amoureux le premier jour."Ces effigies gardées intactes dans la mémoire, quand on les retrouve, on s'étonne de leur dissemblance d'avec l'être qu'on connait; on comprend quel travail de modelage accomplit quotidiennement l'habitude."L'amour renaît dès que le fantasme de l'absence est là.
L'âme humaine est d'une complexité et celle de Marcel, n'en parlons pas!!
Ma vie en l'air de Jeanne Cherhal.
L'amour-possession
Ce qui plait à notre Narrateur dans sa relation avec Albertine, c'est le fait de la posséder. Il devient tyran. Pour reprendre les mots du film Jeux d'enfants (avec Marion Cotillard et Guillaume Canet): le Narrateur devient "tyran" et Albertine "un flan". Marcel enferme Albertine dans une cage dorée. Il la gâte, lui paie tout, lui offre tout ce qu'elle désire et ce qu'il désire pour elle. Elle se laisse entretenir un peu comme le personnage d'Irène dans Hors de prix (avec Audrey Tautou).
Marcel peut apparaître parfois comme un "psychopathe" notamment lorsqu'il la regarde dormir et profite de l'état d'inconscience de la jeune fille pour la chevaucher.
"Cette impression de la posséder que je n'avais pas quand elle était réveillée."Son "amour" et son désir sont vraiment féroces dans cet acte d'assujettissement ultime. Albertine est ici plus que jamais réduite à l'état d'objet.
Cette scène se passerait aujourd'hui, on rechercherait chez Albertine des traces de LSD et notre Narrateur se retrouverait au poste...
L'amour-maladie
A plusieurs reprises, le Narrateur considère l'amour d'un point de vue clinique. L'amour est une maladie qui attaque l'esprit, le corps, les sens... L'amoureux est un malade selon le Narrateur et Proust. C'est peut-être un peu exagéré mais il y a quand même du vrai dans cette conception puisque le coup de foudre est aussi une manifestation chimique à la fois mentale, sensitive et physiologique. C'est le sentiment le plus complet, je pense."Mais la souffrance d'un tel amour est une de celles qui font qu'invinciblement que le malade cherche dans un changement de position un bien-être illusoire."
L'amour et la jalousie. L'amour la jalousie est un thème omniprésent chez Proust (et chez de nombreux auteurs comme Italo Svevo, Aragon, Calvino, John Barth, Zweig, Schnitzler...)
" La jalousie n'est souvent qu'un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l'amour."
Marcel aime être avec Albertine plus pour le fait qu'il la possède et la ravit à d'autres rivaux et rivales. On a souvent eu l'habitude de voir notre Narrateur jaloux, enviant aux autres ce qu'ils possédaient et que lui ne pouvait obtenir. Ici, les rôles s'inversent, il possède et croit rendre malheureux et jaloux tous ceux qui désirent Albertine et ne l'ont pas. Cependant, cette acquisition n'est pas une source de bonheur pérenne dans la mesure où d'autres jaloux pourraient séduire Albertine et la luit voler. Notre Marcel ne sait pas être heureux car il est toujours dans un intermédiaire entre la frustration de ne pas avoir ce qu'il veut et l'angoisse de perdre ce qu'il a.
On a envie de le baffer et de lui dire: VIS au lieu de te prendre la tête. Saisis le moment présent. Prends ce qu'il y a à prendre, vis ce qu'il y a à vivre. Un certain Patrick B te dirait qu'il faut "s'laisser aimer"...
Je le préférais à cette époque... Devenu trop lisse aujourd'hui et moins sincère. A l'époque, s'il avait envie de dire "merde" à un journaliste caméra allumée, il le faisait; aujourd'hui, il le ferait en prenant bien le soin que cela ne tourne pas, le cas échéant, il répondrait poliment avec un grand sourire une phrase toute faite et mièvre. Cela dit, cette chanson est magnifiquement sublimissime. Moi exagérer? JAMAIS!!!!!!!!!!!
La jalousie reprend le dessus lorsqu'Aimé lui dit qu'il avait aperçu Albertine. Comme Albertine ne lui avait pas révélé cet évènement, il pense qu'elle lui ment. Et si elle lui ment, c'est qu'elle a quelque chose à cacher. Ce qu'elle peut lui cacher: c'est forcément une relation adultérine. Ainsi raisonne le jaloux!
Le Narrateur est un Sisyphe de l'Amour. Zazie, Polygame.
La fin du roman est vraiment intéressante: le Narrateur, après avoir jubilé de sa comédie de la rupture, a un mauvais pressentiment. De nombreux éléments viennent ternir le tableau et sont annonciateurs de la perte d'Albertine. De nouveau, elle lui refuse un baiser comme par le passé à Balbec. Il interprète ce premier signal comme le début de la fin. Albertine va ensuite être beaucoup liée à la mort, et quand on connait le tome suivant "Albertine disparue", on se dit qu'elle va mourir (comme Bergotte et Swann). Ce mauvais présage angoisse le narrateur qui n'aura de cesse de se répéter "c'est trop tard". Albertine part, Albertine disparait mais elle est toujours vivante. Dans notre langue, on a beaucoup de mots équivoques lorsqu'on évoque le départ d'une personne. Proust joue sur les mots. Albertine est partie. C'est sur ces mots prononcés par Françoise que se clôt ce roman; ce sont ces mêmes mots qui inaugurent le roman suivant Albertine disparue, que je suis en train de dévorer car j'ai beaucoup aimé La Prisonnière (il m'aura fallu du temps pour le lire, l'aimer mais c'est chose faite!)