La normalisation comptable internationale IFRS visant à renforcer la comparabilité des états financiers pour mesurer la performance économique réelle des entreprises n’en finit pas de faire débat.
Une polémique qui prend de l’ampleur
D’un côté, le cadre conceptuel des principes comptables américains US-GAAP édictés par le FASB (Financial Accounting Standards Board), à dominante américaine et incluant des représentants de la SEC (Securities Exchange Commission), des principaux cabinets d’audit anglo-saxons, de sociétés américaines cotées, banques ou encore du CFA (Chartered Financial Analyst Society) (cf. note 1). Une vision de la comptabilité destinée aux actionnaires, qui prend en compte la règle de la fair value, la valeur de marché de l’entreprise, variable par définition dans le temps en fonction des conditions de marché.
De l’autre, le cadre des normes internationales IFRS conçues par l’IASB (International Accounting Standards Board), fondé à Londres et composé de 16 membres géographiquement répartis « équitablement » (cf. note 2) :
- 4 Etats-Unis,
- 4 Asie/Océanie,
- 4 Europe, 1 Afrique,
- 1 Amérique du Sud et
- 2 « autres ».
Les travaux de l’IASB sont supervisés par les 21 membres (6 Amérique du Nord, 6 Europe, 6 Asie-Pacifique, 3 autres) de l’IFRS Foundation, où l’on voit également l’influence anglo-saxonne et présidée depuis 2012 par Michel Prada, ancien Président de l’Autorité des Marchés Financiers en France.
La soumission de la France
La France a adopté ce référentiel IFRS par une décision de convergence dès 2005, abdiquant de fait une tradition historique de principe de prudence et de calcul de valorisation d’une entreprise sur le long terme pour une vision économique à la «valeur de marché » mesurée à l’instant T (cf. note 3). Cette approche économique reposant sur une présentation détaillée des comptes financiers et des engagements stratégiques (contrats – projets – clients) des entreprises cotées.
Les IFRS sont aujourd’hui appliquées par 120 pays (cf. note 2) alors que la convergence mondiale devait être effective en 2011. Le report d’application des IFRS par les Etats-Unis en juin 2011 et la volonté de la FASB d’imposer une nouvelle « période de transition » de 5 à 7 ans (cf. note 4) remet en lumière les contradictions idéologiques et leurs sous-jacents, les questions de gouvernance, l’influence politique, et de distorsion de concurrence avec le modèle US-GAAP : la normalisation est redevenue (restée ?) un enjeu de puissance dans lequel la définition des règles, des normes conduit de facto à une position dominante.
L’influence déterminante des Etats-Unis
Les Etats-Unis, qui n’appliquent pas les IFRS, sont un acteur majeur de la gouvernance de l’IASB avec 25% des voix, ce qui affaiblit la position européenne. De plus, parmi les principaux contributeurs financiers, les grands cabinets d’audit américains représentent près de 29 % du financement de l’institution auxquels s’ajoutent les 6 % des Etats-Unis (contre 34% pour les pays européens, Commission Européenne comprise). La France, quant à elle, ne contribue qu’à hauteur de 3,9%. Il faut noter qu’aucune grande entreprise française n’est présente parmi les bailleurs de fonds (cf. note 2).
Par le jeu des financements, de l’implication des entreprises nationales et des firmes comptables, les Etats-Unis exercent donc une influence politique majeure au sein de l’IASB, sans contrepartie, qui leur permet de défendre leurs intérêts économiques et financiers de manière unilatérale.
Les normes IFRS obligent les entreprises à fournir une très grande profondeur d’informations financières, économiques et stratégiques pour justifier leurs choix comptables, ce qui n’est pas
le cas des entreprises américaines, soumises aux US-GAAP. Les acteurs économiques américains bénéficient donc d’un avantage considérable en ayant accès aux données stratégiques fournies par les entreprises européennes cotées sur les marchés américains d’une part, mais aussi sur celles qui sont auditées par un cabinet américain par le biais de l’application du Patriot Act en 2001 et de la loi Sarbanes-Oxley depuis 2005.
Une réaction européenne ?
L’Europe a pris conscience de sa vulnérabilité dans le jeu des rapports de force qui prévalent dans la conception des normes comptables. La Commission Européenne a récemment chargé l’ancien Président de la BEI, Philippe Maystadt, de mener une réflexion pour renforcer la mise en place des normes IFRS et restaurer la souveraineté de l’Europe au sein des instances de normalisation (cf. note 5).
Colette Aubry
Sources
(1) : Rapport Annuel 2012 FASB
(2) : Rapport Annuel 2012 IASB
(3) : France Culture – Interview Michel Haas Président Autorité des Normes Comptables 6 décembre 2012
(4) : SEC 26 Mai 2011
(5) : Commission Européenne – Communiqué 4 Février 2014