Quand tes yeux conquérants, étonné, je regarde,
J'y vois, dedans à clair tout mon esprit écrit,
J'y vois dedans mon amour lui-même qui me rit,
Et m'y montre mignard le bonheur qu'il me garde.
Mais que de te parler parfois je me hasarde,
C'est lors que mon espoir desséché se tarit ;
Et d'avouer jamais ton oeil, qui me nourrit,
D'un seul mot de faveur, cruelle, tu n'as garde.
Si tes yeux sont pour moi, or vois ce que je dis :
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui je me rendis.
Mon Dieu, quelle querelle en toi-même se dresse,
Si ta bouche et tes yeux se veulent démentir !
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les départir,
Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.
Michel de Montaigne