Lorsque je visite un pays, encore plus si celui-ci se trouve en Afrique, j’essaie de toujours de ne pas m’arrêter au minimum syndical du tourisme. Après tout, peut-on estimer avoir visité une ville si on se limite exclusivement aux alentours de son hôtel et à quelques tours dans des quartiers huppés ? Attention, je ne dis pas qu’il faille nécessairement aller s’enfoncer dans des ghettos (où même les locaux ne vont pas souvent) pour être légitime… mais j’aime bien voir l’envers du décor, le dos de la carte postale. Ca me donne le sentiment d’avoir une approche plus réaliste d’un lieu et de ses habitants. C’est la raison pour laquelle dès que j’ai su que je partais pour Brazzaville, j’ai contacté une des plus anciennes lectrices de mon blog avec qui je papote sur Twitter depuis un bout maintenant, Barbara, qui est une pure brazzavilloise. Elle est venue me chercher un dimanche matin, et a gentiment accepté d’être mon guide durant le séjour (après m’avoir dit qu’elle m’imaginait plus grande de taille LOL). On a commencé par aller déjeuner à la sortie de la ville, dans un complexe nommé Elonda.
Le lieu était très sympathique, le service un peu long (à l’africaine quoi), et l’ambiance assez calme. J’en ai profité pour bavarder avec Barbara, qui m’a raconté comment sa famille et elle ont survécu à la guerre civile qui a éclaté en 1997..
C’est une chose de lire des récits, de regarder des documentaires… et ça en est une autre lorsque que quelqu’un qui a été au coeur d’un drame vous en parle avec ses propres mots. N’ayant jamais connu la guerre de près ou de loin, certaines choses échappent complètement à ma logique… Comment peut-on tuer son voisin du jour ou lendemain, juste parce qu’il est “nordiste” ? Comment peut-on massacrer une famille entière par pur agacement ? Des questions que je me suis déjà posée pour le génocide rwandais, et encore plus récemment pour la République Centrafricaine. Et Dieu seul sait le nombre d’heures de documentaires sur les guerres en Afrique que j’ai pu me farcir ces derniers mois… mais quand Barbara m’en parlait, j’avais l’impression de découvrir l’horreur que c’est. Je l’ai sentie encore émue par tout ça, j’ai donc limité mes questions, histoire de ne pas tomber dans une espèce de voyeurisme un peu déplacé. On a changé de sujet, et parlé de… l’entrepreneuriat des jeunes au Congo.
Comme je l’ai dit dans mon post précédent, il y a une certaine douceur de vivre qui émane de Brazzaville. Je sais, ça contraste avec ce que je viens d’évoquer dans le précédent paragraphe, mais voilà. Mon ressenti est que la population brazzavilloise aime les plaisirs de la vie que sont sortir, s’habiller, boire… bref, une société de consommation africaine de plus en plus portée sur les produits Lifestyle de toute sorte. En observant les femmes et les jeunes, j’ai remarqué qu’ils étaient aussi très portés sur les tendances internationales, un peu comme dans les autres pays de la région. Mais parallèlement à cela, j’ai eu l’impression que l’offre peine à palier la demande, et ce, à plusieurs niveaux. Bien évidemment, c’est un ressenti rapide qui vaut ce qu’il vaut, je n’ai ni les chiffres, ni la connaissance du marché hyper précise, mais mon intuition a été celle-là. En discutant avec Barbara sur le sujet, j’ai réalisé que j’étais plutôt dans le vrai. Brazza (et surtout Pointe-Noire) sont des villes où la culture de consommation précède l’offre. Du coup, cette dernière est souvent soit l’apanage du clan présidentiel (et de ses proches), soit l’affaire d’étrangers, notamment les “Westaf” comme on appelle là-bas les personnes issues d’Afrique de l’Ouest (plus précisément du Mali et du Sénégal). Cette communauté est très influente commercialement sur place, des lieux de loisirs aux services fournis aux entreprises. Pour en revenir aux jeunes de Brazzaville, de ce que j’ai pu comprendre de mes différentes conversations avec Barbara et d’autres, les jeunes entrepreneurs ne sont pas encore très mis en avant ou encouragés. Bien sûr, tout le monde ou presque connaît Vérone Mankou (surnommé le “Steve Jobs congolais”), mais à part lui, il semble que (et je ne fais que paraphraser ce qu’on m’a dit sur place), les jeunes congolais soient un peu “paresseux”. Autre chose qui est souvent revenue dans les discussions: le manque d’échange, partenariat et communication entre le peu de jeunes entrepreneurs que compte Brazzaville. Une fois de plus, une problématique que je pense régionale puisque le problème semble se poser à Libreville et j’ai pu concrètement voir cela à Douala.
Après notre déjeuner à Elonda, nous sommes reparties vers la ville, et Barbara m’a emmenée dans un des endroits les plus courus des expatriés sur place: , un restaurant/bar avec piscine, détenu par une française. Et à ce sujet d’ailleurs, voilà un autre élément très intéressant que j’ai remarqué à Brazzaville: il n’y a pas de quartiers de riches. Vous savez, dans la plupart des grandes métropoles africaines, on remarque de plus en plus qu’il y a des refuges pour millionnaires qui poussent, souvent sur le modèle des “gated communities”. Ces ilots de privilégiés sont souvent composés de locaux qui ont réussi (ou volé des milliards, c’est selon), ou d’expatriés (commerçants ou cadres de grandes sociétés étrangères). A Brazza visiblement, les choses sont un peu plus… nuancées. Bien sûr, il m’est arrivée de voir plusieurs villas de standing regroupées au même endroit, mais assez souvent, 100 mètres plus loin, je voyais des maisons plus modestes. BIEN PLUS modestes. D’après ce que quelques habitants de la ville m’ont dit, il règne un semblant de mixité sociale dans Brazza, même si bien sûr, chacun sait qui est qui. Je suis bien tentée de les croire, parce qu’ayant parcouru la ville du nord au sud et d’est en ouest, je ne me souviens pas être arrivée dans un quartier où j’ai pensé “Ca y est, on est chez l’élite“. Après, peut-être que ces riches ont un coin à eux qui m’a échappé, allez savoir.
Changement d’ambiance: nous sommes ensuite allées au bord du Djoué, un cours d’eau qui se jette dans le fleuve Congo. Quand nous y sommes arrivés, le soleil se couchait, une brise soufflait légèrement, des enfants nageaient.. bref, le décor était presque tiré d’un film de découvertes. On est resté là un moment, à respirer l’air frais et à voir des gens traverser le fleuve à bord d’une pirogue, avant de repartir.
Parlant de fleuve et de traversée… Une des fixations que j’avais pour ce voyage, était de traverser le fleuve Congo. A vrai dire, ma fixation était sur le fleuve en lui-même. Celui-ci a joué un tel rôle dans l’Histoire de l’Afrique, il a été au centre de tellement d’enjeux, j’avais vraiment envie de l’approcher. Malheureusement, on m’a tellement découragée de faire cette traversée par “Le Beach“, je n’avais pas de visa pour la RDC, bref, j’ai remis ça à la prochaine fois. Comprenant ma déception, ma chère Barbara a tout de même décidé de m’emmener à “La Cataracte“, une espèce de dernière frontière entre Brazza et Kinshasa. Ce petit No Man’s Land m’a rappelée “la Base ELF“, un endroit cher à mon enfance. On y a trouvé des gens qui pique-niquaient, d’autres faisaient leur lessive, certains dansaient.. c’était assez drôle à observer comme spectacle. Ce qui était encore plus drôle pour moi, c’était de voir Kinshasa de l’autre côté. Me dire que j’étais à 10 minutes à peine d’une autre capitale africaine, que je pouvais voir depuis le bord de la rive, c’était très particulier.
On a fini la soirée dans un lieu mythique de la ville, “La Détente“. Autant vous dire que c’est sûrement un des meilleurs moments que j’ai eu à passer ces derniers temps. Mon imaginaire au sujet des deux Congos a toujours été bercé par la Rumba et le Soukous. Pas ceux des artistes actuels, mais ceux des Pépé Kallé, des Zaïko Langa Langa, des Tabu Ley Rochereau, des King Kester..
Ces titres qui duraient 10 minutes, chantés en live, en lingala avec parfois quelques formules toutes faites dites en français en plein milieu de la chanson.. Preuve en est qu’à chaque fois que je vois des photos d’époque du Congo, j’ai immédiatement un vieux morceau de Rumba qui commence à jouer dans un coin de ma tête. Alors ce dimanche soir à la Détente, l’espace de quelques chansons, j’ai eu l’impression de remonter à une époque que je n’ai pas connu. Celle d’après l’indépendance, l’âge d’or, ce moment où les congolais (et les africains dans l’ensemble) ont cru qu’ils allaient enfin pouvoir (re)prendre le contrôle de leur destinée, ce calme avant l’orage.. J’étais là, assise avec ma bouteille que je buvais à la locale (comprenez, sans verre, directement à la bouteille), pendant que des couples de “vieux beaux” s’enlaçaient. A chaque fois que le groupe de musique entamait un nouveau titre, des monsieurs (moyenne d’âge des clients de la Détente = la cinquantaine) se levaient, approchaient des “mamans” impeccablement vêtues de pagnes colorés, et puis sans se dire un mot, ils se mettaient à danser l’un contre l’autre. J’avais la sensation d’être une petite souris là-dedans, et paradoxalement, je me sentais très à ma place. Derrière notre table, des gens regardaient ceux qui dansaient et discutaient discrètement en descendant leurs bières. En fait, j’ai vécu dans une photo de Jean Depara, et j’ai adoré l’expérience.
Le lendemain, n’ayant pas pu me lever assez tôt pour me rendre à la faculté de Brazzaville pour un cours, j’ai attendu que Barbara en sorte pour venir me chercher. Comme la veille, on a attaqué la journée par un déjeuner. Elle m’a emmenée dans un des restaurants les plus en vue de la ville, le bien-nommé “MAMI WATA“. Et avant que vous ne posiez la question, le proprio comme la cuisine servie ne sont pas camerounais.
Ce qui fait le charme principal du lieu, c’est bien évidemment, son emplacement au bord du fleuve Congo. A mon arrivée sur la terrasse, j’ai surtout bloqué mon regard sur une chose…… les immeubles d’en face.
Naïvement, je croyais qu’il s’agissait d’un prolongement de Brazzaville jusqu’à ce que j’apprenne qu’en fait, ce que je voyais en face, était une partie de Gombé, le centre-ville de Kinshasa. Je sais que personne ne doit comprendre pourquoi, mais je suis vraiment fascinée par le fait que deux villes aussi proches et aussi importantes respectivement dans leurs pays, se fassent face.
Tout au long de mon séjour, je n’ai pas arrêté d’entendre des piques envoyées par les brazzavillois à l’égard des Kinois et vice-versa. Que ce soit sur le plan vestimentaire, amoureux, politique, ethnique ou culturel, les rapports entre les deux Congos sont plus complexes que ce que l’on peut croire. Ils ne se détestent pas les uns, les autres. Je pense qu’ils savent qu’ils ont beaucoup en commun, et que finalement, ces deux peuples essaient (même s’ils ne l’avoueront jamais) de “reconnecter” ce cordon ombilical qui a été coupé par des entités extérieures.. Ce n’est que ma perception d’étrangère, mais il y a une espèce d’amour-vache entre le Congo et la RDC, un “je t’aime moi non plus” constant. Il y a beaucoup d’incompréhensions assez banales mais ceci dit, je n’ai pas senti de haine pour le voisin d’en face. Du moins, pas de ce côté de la rive. Faudrait-il encore que je traverse de l’autre côté pour voir ce qu’il en est là-bas.
Bon, les réflexions sur les relations de bon voisinage c’est bien beau, mais on était d’abord au “Mami Wata” pour manger à la base. Après avoir dégusté deux jours de suite un succulent agneau braisé à l’hôtel (non mais vraiment, la viande était divinement bonne), j’ai opté pour un plat plus traditionnel: le poulet “à la Bwame“. Quand le serveur m’a dit qu’il s’agissait d’un poulet aux noix de palme, j’ai tout de suite imaginé de la viande blanche nageant dans une mare d’huile rouge… Et je crois que le dégoût s’est lu tellement rapidement sur mon visage, que le serveur a redoublé d’arguments pour me convaincre de goûter le plat. Ma foi, il a eu raison d’insister, c’était très bon et surtout.. très copieux. J’ai remarqué que les congolais ont la main lourde quand ils servent, les proportions sont très souvent importantes même quand vous leur demandez de mettre “un bout” ou “un peu”
Après le déjeuner, alors qu’on se rendait vers le quartier de Mpila (où ont eu lieu les explosions), nous sommes passées devant un somptueux monument dans le centre-ville. Une fois le chauffeur garé, nous sommes descendues afin d’entrer dans le mémorial consacré à Savorgnan de Brazza, celui qui a découvert Brazzaville….
Le lieu est aussi beau à l’extérieur qu’il ne l’est à l’intérieur. Mais je dois dire que j’ai particulièrement été choquée que l’on consacre un tel endroit (et le budget qui va avec) à un colon. L’on sait bien qu’il n’a pas été exactement dénué d’intérêt purement mercantile en découvrant/exploitant sa trouvaille congolaise, je trouve donc quasiment insultant voire humiliant de lui consacrer un endroit de cette envergure, comme si plus d’un siècle plus tard, on en était encore à remercier le “bon maître” qui a fait sortir des sauvages de leur état bestial..
Et je crois que le plus incroyable soit qu’au Congo, il n’y ait pas de musée de cette beauté consacrée à l’histoire pré ou post coloniale du pays. Ca en dit long sur ce sacré complexe de civilisation qui persiste à l’égard de l’Europe, mais enfin bref, passons.
Un peu plus haut, je vous ai dit qu’on avait fini la soirée de dimanche à la Détente. En fait, pas vraiment. Après ce bar-dancing à ciel à ouvert, nous sommes partis à la recherche des sapeurs du quartier populaire Bacongo. Et au détour d’une rue, j’ai aperçu un élégant homme dans un look tricolore qui achetait de la viande grillée…
Il se fait appeler “Levis Strauss”… Je vous parlerai de lui dans mon prochain et dernier post sur ce voyage, Made in Brazzaville Part III.