Max Winson, est une jeune joueur de tennis à qui tout a réussi. Enfin, tout lui a réussi sur le plan sportif, car pour le reste, on ne peut pas trop en juger. Depuis qu'il a 16 ans, il a tout gagné, remporté tous les tournois auxquels il a participé. Il est numéro 1 mondial et rien ni personne ne semble en mesure d'inverser la tendance. Malgré cette invincibilité, la foule continue de l'admirer, ne semble pas attendre avec fébrilité où le champion baissera la garde. Ce succès Max le doit sans doute à la l'exigence démesurée de son père qui ne jure que par la perfection sportive. Pourtant, cet équilibre que l'on croyait immuable pourrait bien connaître quelques vacillements car ce père tyrannique est victime d'une attaque cardiaque et doit laisser sa place à un nouvel entraîneur pour le moins atypique.
Que ceux qui n'aiment pas le tennis, voire même le sport en général ne tournent pas les talons à l'évocation de cette histoire. Ce serait dommage car l'aventure graphique est foisonnante, riche, originale et... saisissante. Jérémie Moreau fait preuve en tout cas d'une inventivité incroyable tant dans son scénario que dans ses dessins. Pour ma part j'ai été agréablement et profondément surpris au détour des pages, comme cette fois où Max doit renvoyer son quota de balles à une machine qui renferme son lit, ou encore devant la nature terriblement déroutante et géniale des terrains d'entraînement concoctés par son nouvel entraîneur. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse à la surprise de la découverte en ce qui les concerne.
Par petites touches, le monde que dépeint Jérémie Moreau se démarque du nôtre. Par moments on croirait presque avoir basculé dans un univers totalement Carrollien, dans un pays des merveilles sans Alice, mais avec Max Winson lequel doit faire face, passif d'abord, à l'excentricité des uns, la roublardise des autres. Le joug de tous.... ou presque.
L'occasion est là de mesurer l'impact de la tyrannie – tout est dans le titre – de ces parents/entraîneurs qui s'inscrivent dans le culte de la performance, d'un monde qui le cautionne d'une certaine façon en contribuant à un autre culte, celui de la personnalité. Ici, malgré les événements, malgré l'absence imposée, la figure du père reste omniprésente. Elle qui ne s'exprime qu'à travers cris, expectorations et vitupérations se révèle jusque sur l'écran d'un téléphone mobile ou les feuillages du jardin familial. Elle n'emprunte jamais la voix de la compassion ou de l'amour. L'enfant, Max, n'est qu'un objet, la représentation d'une vanité transposée.
Et l'homme-enfant émeut. Il fascine aussi aussi par la force brute qui émane de lui, une force cachant en réalité une grande fragilité, une personnalité qui ne demande qu'à s'éveiller. Ou bien encore à prendre conscience de la condition dans laquelle on l'a placé, pour mieux s'en affranchir. Seulement, le conditionnement paraît de taille.
Tout ceci, et bien d'autres choses encore se dessinent dans les planches de cette BD aux dominantes grises, noires et blanches, dans des cases oscillant entre décomposition, déstructuration et rigueur. A l'image des remous intérieurs de Max Winson, tiraillé entre conscience et devoir, entre ce qu'on a fait de lui et celui qu'il rêve sans doute de devenir.
Max Winson. Tome 1, La Tyrannie, de Jérémie Moreau, éditions Delcourt (encrages), 2014, 160 p.