Marvin Gaye (2 avril 1939 - 1 avril 1984)
Je n’aime pas les anniversaires. Surtout posthumes. Le 1er avril 1984, Marvin Pentz Gay(e) Jr. est abattu de deux balles par son pasteur de père à la veille de ses 45 ans. J’ai six ans et je ne sais pas encore que le monde de la musique vient d’être amputé d’un de ses plus grands génies.
L’album What’s Going On est aux yeux de beaucoup (et à raison) son chef-d’œuvre indépassable. Mais pour les gens de ma génération, Marvin Gaye c’est d’abord la rengaine la plus moite de l’année 82, Sexual Healing, devenue le symbole cul(tissime) de la chanson qui sent la braguette, le soufre et le champagne. Usée jusqu’à la corde pour des illustrations sonores de séquences érotico-kitsch dignes de l’esthétique Miami Vice, la ritournelle porno chic arrivait trop tôt pour mes hormones juvéniles. Je préférais alors regarder la télé, où une pub Levi’s détournait le message initial d’I Heard It Through The Grapevine. Pas sûr qu’à l’époque j’avais fait le lien entre ce standard Blue Jeans et l’hymne de nos compagnes.
Et puis un jour, ne me demandez pas pourquoi, je suis tombé sur l’une de ces diverses compils revendues chez un disquaire d’occasion.
Je devais être dans une dynamique de curiosité culturelle. Quand je suis rentré chez moi, j’ai compris que le monde de la musique avait été amputé d’un de ses plus grands génies. Pire : je comprenais tout juste qu’entre I Heard… et Sexual Healing résidait un trésor inestimable, inépuisable. J’ai épuisé ce cd comme jamais : Abraham, Martin & John, You are everything, I want You… Une vingtaine d’années au service des hanches, de l’émotion, de l’érection de l’âme.
Je suis devenu Marviniste, comme disaient mes copains disquaires. J’ai éclusé les boutiques parisiennes, tout racheté, hier en cd, aujourd’hui en vinyle. Face à tous ceux qui ne voyaient en Marvin qu’un pair de Barry White, j’ai fait mon coming-out. J’ai découvert des perles granuleuses, des duos aériens, des richesses sous estimées. Je suis resté à vie marqué par la pureté nonchalante de cette voix qui ne force jamais, qui fait descendre le divin sur le divan. J’ai apprécié un savoir faire inégalé et même demandé que l’on passe une de ses chansons à mon enterrement. Et j’ai connu l’ataraxie dès les première mesures de Let’s Get It On dans High Fidelity. Quand votre film culte rend hommage à la plus belle des déclarations sexuelles.
Mais je suis aussi devenu Marviniste parce que j’ai découvert à force de passion que le glamour Tamla-Motown, le statut d’icône soul cachaient des combats, des convictions, des failles. Marvin Gaye fut l’un des premiers à mettre du vin dans son eau Doo-Wap avec le légendaire et inépuisable What’s Going On. Jamais une expression comme « la messe est dite » n’avait aussi bien été incarnée en musique. Le Vietnam (on est en 71...), l’écologie, la pauvreté, autant de thèmes perçus par un vétéran et susceptibles d’éprouver le petit cœur mielleux de Berry Gordy alors père maquerelle de la firme de Detroit. Mais le miracle eut finalement lieu et le monde de la musique put accueillir l’un de ses plus grands génies. What's Going On est encore aujourd'hui un des albums piliers du 20ème siècle. L'oeuvre d'un artiste de plus en plus affecté, d’abord par la mort de Tammi Terrell qui lui inspira peut-être, selon l’adage de Musset, ce fameux chef d’œuvre :
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Marvin Gaye - What's Going On par foxysoul
Puis l’alcool, la drogue, un divorce et une rupture avec le giron Motown. On retrouve alors Marvin Gaye en 82 pour son chant du cygne. Il s'exile à Ostende, période sobrement illustrée dans un documentaire avec ses moments d’anthologie (voir le chanteur de renommée mondiale banalisé par des pêcheurs alcoolisés vaut son pesant de cacahouètes pathétiques et touchantes). Et c’est toute la superbe, l’humilité, l’humanité du bonhomme qui transparait ici et qui m’a appris au moins une chose certaine : une voix ne ment pas. Et celle de Marvin Gaye fait même mieux : elle n’a eu de cesse de dire la vérité de l’amour, de la colère, du désespoir.
Je n’aime pas les anniversaires. Et à 36 ans, je sais que le monde de la musique est amputé d’un de ses plus grands génies.
Petite introduction au Marvinisme :
France ô a programmé une soirée soul / Marvin Gaye vendredi 28 mars pour l'anniversaire. Chaudement recommandée, elle est encore en ligne pour quelques jours.