Magazine Côté Femmes

Culture du viol et disposition du corps des femmes

Publié le 01 avril 2014 par Juval @valerieCG

Imaginons que vous vouliez analyser un fait culturel, n'importe lequel. Imaginons que vous voulez étudier l'alimentation occidentale en 2014. On sera tenté de dire "qu'on mange car sinon on meurt" et penser qu'il s'agit d'un fait naturel (inné) et puis on constatera qu'on mange certains aliments plutôt que d'autres, on mange avec une fourchette et un couteau, on mange à heures plus ou moins fixes et l'entrée avant le dessert. Depuis 30 ans on voit de moins en moins de poulets avec leur tête dans les supermarchés, d'abats ou de viande de cheval. Et si nous sommes aussi nombreux à manger avec des fourchettes, cela n'est pas parce que c'est pratique (d'autres trouveront leurs doigts ou des baguettes ou une cuillère etc très pratiques) mais parce qu'il s'agit d'un processus d'apprentissage.
Ainsi rapidement, on constate que l'alimentation n'a plus rien d'inné mais qu'elle est un processus culturel, acquis. Bien peu d'ailleurs sont les scientifiques à chercher ce qui relève encore de la nature OU de la culture dans un acte humain quelconque.

Et il en est de même pour tout acte de la vie humaine, viol compris (donc non là je n'ai pas comparé le viol à l'alimentation, je vous ai montré qu'un acte qu'on juge naturel car indispensable pour vivre ne l'est pas tant que cela). On sait qu'il y a énormément de viols en France ; les estimations sont autour de 50 000 viols par an.
S'il y avait quelques dizaines de viols, on pourrait en effet penser à des actes individuels, non corrélés à la société. Ainsi il y a de très rares cas de cannibalisme en France et l'on peut sans doute dire que rien dans la société ne pousse à cet acte là (cela serait sans doute différent ailleurs). Mais il y a beaucoup de viols, vraiment beaucoup.

Est-ce que, comme beaucoup l'affirment le viol serait un acte pulsionnel car on ne peut se passer de sexe ?
Cette phrase ne veut pas dire grand chose. Si le viol était un acte pulsionnel alors tout le monde, hommes comme femmes, violeraient ou tenteraient de le faire. Il parait également important de relire ce que  Freud (par exemple) appelle "pulsion" ; cela n'a rien à voir avec le terme employé familièrement quiu vise l'acte incontrôlé. Si vraiment le viol était un acte pulsionnel, alors les violeurs sauteraient sur leur victime en pleine rue, en plein jour, incapables de résister à leur pulsion.
Si le viol était la conséquence d'un manque de sexe (sur lequel on reviendra) alors les violeurs seraient tous des gens qui n'ont pas de vie sexuelle ; des études aux USA montrent que le violeur a plutôt le profil type d'un homme jeune, plutôt séduisant, qui a une vie sexuelle épanouie.

Comme je le disais plus haut, on ne peut pas étudier un acte, pratiqué par une portion non négligeable de la population, présent dans tous les arts de manière claire ou symbolique sans étudier la société dans laquelle il naît.

S'il y a autant de viols, alors est-ce que peut-être la société ne pousse pas au viol ?
La phrase peut paraître curieuse puisque le viol est puni par la loi.
Pourtant le meurtre est puni également mais il y a des circonstances où il est permis, par exemple en temps de guerre. On ne l’appellera pas meurtre, on ne l’appellera pas homicide mais dans certaines conditions, il parait soudain acceptable d'ôter la vie d'un être humain. La guerre est mal sous certaines conditions, surtout selon l'opinion de ceux qui l'ont lancé en clair.
Prenons un autre cas, la violence. je vous ai montré; à de nombreuses reprises, qu'on pousse les garçons dés leur plus jeune âge à adopter des comportements violents ; on sait également que les garçons seront les plus punis pour ces mêmes comportements dans le système scolaire, en seront exclus et seront bien davantage emprisonnés que les femmes, se suicideront davantage. Vous constatez encore une fois que d'un côté on valorise un comportement (la violence) pour ensuite le réprimer.

Dans ce contexte, on commence à comprendre que le viol peut à la fois être réprimé (dans certaines circonstances) et encouragé. Oui c'est bien ce qu'on appelle la culture du viol c'est à dire qu'il y a des liens entre le viol et la culture de la société dans laquelle il naît.

Essayons donc d'étudier ce qu'il se passe ; gardez à l'esprit qu'on parle de 50 000 viols par an. Vous allez avoir vraiment du mal à expliquer que ces viols (et on ne compte pas les agressions sexuelles) sont toutes le fait de "fous".

Notre société fonctionne sur l'idée que les hommes ont des besoins sexuels à assouvir à tout prix. c'est quasi lié à la nature masculine et d'ailleurs, l'homme qui dirait ne pas avoir d'envies sexuelles serait moqué et vu comme un être peu viril. Pensez par exemple que l'explication la plus courante face à la pédocriminalité dans l'église est que les prêtres sont célibataires. Qu'est ce que cela nous dit ? Qu'un homme a tellement besoin de sexe que s'il n'a pas de femme à disposition, il est prêt à sauter sur n'importe qui, y compris un gosse de 8 ans.
On parle alors de frustration sexuelle et l'on vend aux hommes que ne pas avoir de sexe fait souffrir. A côté de cela, le sexe est vu comme un acte violent (en témoigne tout le vocabulaire autour de l'acte sexuel, et non l'on ne peut faire comme si ce vocabulaire était un pur hasard) et qui se rapproche du langage de la guerre par exemple.
De là, découle l'idée que le viol est inévitable puisque les hommes ont ces fameux besoins à assouvir. De le plus jeune âge, on apprend donc, non pas aux garçons à ne pas violer, mais aux filles à ne pas l'être. Du petit chaperon rouge aux "tu vas vraiment sortir habillée comme ca", la société entière explique aux filles et aux femmes que le violeur est partout, qu'il attend de leur sauter dessus.
Mais on n'apprend absolument pas aux filles en fait à se prémunir contre le viol. Déjà dés leur plus jeune âge, leur capacité à se défendre a été inhibée ; une fille ne se bat pas, ne se défend pas, les hommes sont là pour cela. (d'où l'intérêt que les femmes ne soient jamais seules). Ensuite on leur fait peur avec des situations fausses ; on le sait le viol est surtout commis au domicile de la victime ou du violeur, par quelqu'un qu'elle connait.
Pensez donc qu'on vous dit que quelque chose d'atroce va vous arriver, de si atroce qu'en gros, vous feriez mieux de vous suicider après. On ne vous donne aucun moyen pour empêcher que cela arrive sinon des moyens inutiles qui limitent juste, sans raison, votre liberté de mouvements. Et après vous vous étonnez que les femmes vivent dans la peur ?
Et enfin forcément le corps des femmes ne leur appartient pas vraiment, il est comme en location de l'homme qui les accompagne. Je repense à cet homme, qui dernièrement, a écrit un texte sur l'accouchement de sa compagne. Sa compagne va accoucher et là surgit un assistant sage-femme qui demande s'il peut l'examiner. On rappelle qu'on est face à une femme qui accouche, mais cet homme va d'abord penser qu'il faut lui demander à lui la permission de toucher sa femme et de deux il va voir ce sage-femme comme un mec qui s'excite à mettre des doigts dans la vagin de sa femme. Inconsciemment, il reproduit l'idée que partout, même dans une salle d'accouchement, un type est prêt à tout pour toucher une femme et que tant qu'il a la main dans un vagin, même si c'est pour toucher le crâne du foetus ca va lui convenir.
Le corps des femmes est donc vu comme ne leur appartenant pas vraiment ; on peut nous toucher par exemple sans que cela suscite beaucoup d'émotions. Leur corps ou des bouts de leur corps sont utilisés à des fins publicitaires. Dernièrement j'ai vu passer le jeu 2048 avec des seins ; qu'est ce qui peut nous faire penser qu'un jeu où l'on voit des paires de seins présente un quelconque intérêt ? J'ai toujours en tête cette phrase faite à toutes femmes qu'elles soient deux, quatre ou dix "vous êtes seules" comme si leur propre corps, leur propre présence ne comptait pas. Des femmes ensembles sont seules. Je me souviens de cette blogueuse qui disait avoir été apostrophée de façon sexuelle par un homme, qui lorsqu'il a vu que son mec était là, s'est.. excusé auprès de l'homme. Son corps ne lui appartenait pas, il était à son compagnon qui en avait apparemment libre disposition. Seule, son corps aurait appartenu à tous les hommes de la rue par une sorte de règle tacite.
L'expression "potiche" n'est pas anodine et n'est pas employée au masculin ; il y aurait des moments où les femmes sont des purs et simples objets. Comme d'ailleurs les hôtesses dans les différents salons masculins où les femmes sont des espèces d'embellissements, une option de plus de la voiture vendue.
Par ailleurs, évidemment, le consentement des femmes n'a pas beaucoup de valeur. "Souvent femme varie, bien fol est qui s'y fie".  Beaucoup de viols sont vus comme l'acte revanchard d'une femme qui regrette sa nuit d'amour (mais admettons 5 mn ; pourquoi aurait-elle besoin de regretter ? qu'est ce qui fait qu'une femme ne doit pas dire qu'elle a eu des rapports sexuels ?). La société entière explique que les femmes ne doivent dire ni oui, ni non, mais que les hommes doivent les pousser jusqu'à ce qu'elle disent oui ; le jeu de séduction à l'occidentale devient une nouvelle fois une sorte de rapport de force étrange où l'on ne sait plus si oui veut dire oui ou non.
A ce compte-là c'est une donnée claire qu'il n'y a pas à demander le consentement des femmes. De toutes façons elles ne savent pas ce qu'elles veulent. Vous aurez évidemment compris que dans le contexte très précis du viol cette donnée là prend tout son sens. On apprend aux femmes que l'avis d'un homme vaut plus que le sien, que lui est toujours consentant au sexe, qu'elle n'a pas à donner son avis ou son consentement sur quelque sujet que ce soit, que les hommes sont des bêtes curieuses à qui il faut bien passer certains caprices sinon on n'aura pas la paix.

Je ne suis pas en train de dire, pour précision, que tous les hommes sont comme cela et toute les femmes ainsi (cela vous évitera de me balancer vos passionnants exemples personnels montrant le gentleman parfait que vous êtes et la guerrière que vous êtes). Je démontre les ravages d'une société sexiste ; dieu merci je ne crois pas aux déterminismes absolus (sinon je ne serais pas féministe) ; on a donc de légères marges de manoeuvre.

Il n'est donc pas anodin comme beaucoup semblent le croire de faire des videos où l'on mime des actes sexuels sur des femmes, où on les embrasse de force. Il n'est pas anodin non plus de raccompagner systématiquement des femmes (et pas des hommes qui pourtant ont un net risque d'être agressés) ou de limiter la liberté des filles et des femmes.

Beaucoup, avec une certaine mauvaise foi, semblent sous-entendre que les féministes pensent que tout le monde va se mettre à violer après avoir visionné une video creepy.
Répétons une nouvelle fois.  Il y a des dizaines de milliers de viols par an en France. Il faut tenter de comprendre pourquoi ce chiffre. Il est donc plus que probable que la culture de la société dans laquelle ont lieu ces viols incite, de manière consciente ou non, à ces viols par des multiples événements, rituels, processus mentaux etc. Et il convient donc d'étudier chaque fait social, chaque production culturelle, chaque coutume "qui va de soi mais enfin pourquoi tu te prends la tête" pour comprendre ce qui se joue.
Beaucoup ont tendance à brandir le bouclier magique quand on leur dit "viol" comme si on les avait traités de violeurs ce qui n'a jamais été le cas.
Aucune féministe ne pense donc qu'une video creepy pousse au viol ou que c'st comparable à un viol. Aucune ne l'a d'ailleurs dit donc le laisser entendre relève de la parfaite mauvaise foi et évite encore une fois de parler du viol.
En revanche ce que nous disons c'est que beaucoup de nos actes participent à la culture du viol ; oui même moi lorsque je demande à des copines de me sms en rentrant alors que je ne le fais pas à des hommes.

Vous ne cessez de dire aux féministes, pour nombre d'entre elles, qu'elles s'attaquent à des conneries au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes. Seul souci, lorsqu'on essaie de parler viol, comme par hasard, cela ne plait pas et n'est pas fait de la bonne façon (étonnant non ?).
Je ne saurais donc que vous inciter à m'expliquer comment lutter contre le viol si vous jugez que ce texte dit n'importe quoi.
(indices ; la prison n'est pas dissuasive, les études sur les violeurs montrent qu'ils avaient oublié la tenue portée par leur victime)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Juval 59548 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossiers Paperblog

Magazine