Cette expérience du peu d’être pourrait sembler « imprononçable » (p.31) mais elle passe pourtant à travers la tension créée par l’alternance entre les cinq séquences en vers libres courts d’ « Une suite sans » et les quatre séquences de poèmes en prose non justifiée à droite. Alternance du maigre et de l’épais, comme pour prendre en tenaille « cette chose à distance » qui se dérobe : soi. Cette double écriture complémentaire est une des réussites du livre. Les textes en prose sont plus nourris de détails ; ils sont plus explicites, si on veut, mais sans jamais relater ou tomber dans une mise en scène du deuil ou de la séparation. Ce qui est saisi, c’est une forme d’évidemment par l’absence, une perte de repères et non pas directement sa cause. Ainsi le lecteur reste sur une ligne de crête, face à une sorte de neige du réel qui reste, absurde d’être aussi vide : « Aujourd’hui, debout sur rien. On ajoute des / phrases aux phrases et ce qu’innerve la peine, / on ne sait pas. Il faudrait s’arrêter juste ici, garder / l’influx. On s’obstine. (…) On cherche des détails qui / tiennent l’attente, qui font mur et tiennent assez / pour ne pas sombrer, ne pas revenir non plus. » (p.62)
On attend le prochain livre, mais une voix est clairement posée, dans sa solitude tendue.
[Antoine Emaz]
Armand Dupuy, Par mottes froides, Ed. Le Taillis Pré, 80 pages – 10 €