Je suis bien arrivé à Per-Ramsès Meryamon.
Je l'ai trouvée en excellente condition,
C'est un nome parfait, sans pareil,
Sur le plan de Thèbes.
C'est Rê en personne qui l'a fondée,
La résidence, douce à vivre.
Son terroir regorge de toute sorte de bonnes choses,
Il regorge de victuailles chaque jour.
Ses potagers sont verts de plantes (...)
Le melon a goût de miel.
Dans les terres humides,
Ses greniers regorgent d'orge et de blé (...)
Oignons, poireaux, des potagers,
Laitues des jardins.
Grenades, pommes et olives,
Figues des vergers
(...)
Papyrus Anastasi III, 1, 11-3, 8
dans Chloé RAGAZZOLI
Éloges de la ville en Égypte ancienne.
Histoire et littérature
Paris, PUPS, 2008
p. 58
Il est des ouvrages d'égyptologie qui, à l'instar de recettes de cuisine éculées venant grossir les pages de magazines féminins, répètent ad nauseam ce que tout le monde, ou presque, connaît sur un sujet que d'anciens grands noms de la profession ont déjà brillamment traité.
Encore serions-nous autorisés à penser qu'ils réjouissent l'uomo qualunque qui n'a jamais vraiment cru bon de goûter de l'histoire égyptienne, mais qui n'en apprécie pas moins une belle tournure de phrase comme il le ferait d'un vieux plat dont de nouvelles épices viendraient oportunément en rehausser la saveur.
Quand d'aventure les données historiques s'énoncent dans une langue d'une indigence lexicale confondante et de surcroît rédigées à l'instar d'un travail d'élève des premières années de l'enseignement secondaire pour lesquels la sempiternelle construction "Sujet - Verbe - Complément" constitue l'acmé de l'écriture obligatoire, ne parvenant pas en outre de se départir de "être" ou "faire" qu'ils jugent indissociables de la parfaite compréhension verbale, l'on se sent véritablement grugé : non seulement parce que l'on a perdu son temps mais aussi son argent.
Certes, je suis absolument conscient que tout le monde ne peut s'exprimer comme un Pascal Vernus, l'incontestable "Trois Macarons" de la gastronomie égyptologique française : l'appétence à lire le raffinement de la langue qu'il convoque n'a d'égale que la jouissance éprouvée par nos papilles gustatives découvrant des mets et des bourgognes d'exception.
Fort heureusement, entre ces deux extrêmes, nombre d'études de qualité viennent nous ravir, qui s'ouvrent sur des menus peu cuisinés par le passé. Tel est le cas de l'ouvrage extrêmement intéressant dans lequel je n'ai eu que l'embarras du choix pour débusquer l'exergue que je vous ai offerte ce matin.
Matérialisant à l'intention du grand public un mémoire de maîtrise défendu à l'Université de Paris-Sorbonne où elle enseigne actuellement dans le cadre du Centre de Recherches égyptologiques du CNRS, Chloé Ragazzoli, tout à la fois Chargée de Recherches documentaires au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (BnF) en vue d'y étudier les papyri égyptiens et Professeur à l'Université d'Oxford, nous donne à lire des textes de l'époque ramesside louant d' importantes capitales telles que Thèbes, Memphis et Pi-Ramsès et, à travers elles, - la création d'une ville étant un acte divin et sa fondation un acte régalien -, célébrant, en une sorte de déclaration épidictique, le dieu qui les créa ou le souverain qui les fonda.
Le regard sur ces miscellanées versifiées que porte la jeuneégyptologue, dans le droit fil des travaux de Bernard Mathieu, son mentor, à propos de la poésie amoureuse des rives du Nil, outre qu'il nous renseigne sur les modalités du discours, sur la langue littéraire de l'époque - le néo-égyptien, en l'occurrence -, sur ses éléments morphologiques, lexicaux et stylistiques, sur la structure métrique des vers, tous éléments passionnants pour ceux qui, peu ou prou, s'intéressent à la philologie en général et aux idiomes égyptiens en particulier, nous révèle, stricto sensu, une mentalité, une perception, une vision du monde propres aux lettrés de cet espace et de ce temps donnés au travers de leur rhétorique de l'éloge, que ce soit celui, nostalgique, de la cité quittée - Thèbes, le plus souvent -, ou celui, sous l'aspect de la découverte, de la cité dans laquelle on arrive.
L'extrait du Papyrus Anastasi III que j'ai choisi pour entamer notre présent rendez-vous, amis visiteurs, dans lequel le scribe Paybès, en mission administrative, rend compte à un autre scribe, son maître, Amenémopé, de la richesse des domaines agricoles de Pharaon, à Pi-Ramsès, capitale ramesside à l'est du Delta du Nil, - l'actuelle Qantir arabe -, m'a paru parfaitement approprié avant que nous envisagions ensemble de manière générale l'étagère transparente disposée sur la gauche du panneau central de la vitrine 6, côté Seine, dans la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre,
immédiatement en dessous du long bas-relief en calcaire peint (AF 10243) que je vous ai fait découvrir, rappelez-vous, mardi dernier.
En effet, qu'observez-vous ici, davantage en lisant les cartels, avouons-le franchement, que par reconnaissance véritable des pièces exposées ?
Dans la première partie, avant la coupelle (E 14188), de droite à gauche :
deux modèles de dattes, deux de laitues romaines, tous les quatre en bois, et deux de viande, en pierre ceux-là.
Sur la même étagère vitrée, à la droite du plat circulaire, d'autres simulacres, d'autres modèles de fruits et de légumes en faïence siliceuse, cette fois :
melons ou concombres, différents types de figues, des pois chiches, des fruits de mimusops et, pour terminer, deux noix-doum
N'avez-vous pas comme moi l'impression que cet étal, tout éclectique qu'il soit, doit beaucoup à l'énumération en vers que rédigea sur papyrus en l'an III du pharaon Merenptah, (XIXème dynastie) le scribe Paybès ci-dessus, magnifiant les richesses agricoles de la ville de Pi-Ramsès dans laquelle il venait d'entrer ?
Ne pensez-vous pas que si ces faux fruits et légumes en miniature accompagnent les défunts dans leurs demeures d'éternité et si, arrivant à peine dans une ville qu'il découvre, un fonctionnaire attire immédiatement l'attention de son maître sur leur présence, c'est qu'au-delà du statut de topoï qui est le leur au sein de la littérature égyptienne - et dont nous sommes parfaitement conscients -, ils attestent de l'importance certaine, voire du rôle qu'ils avaient à jouer tant dans la vie sociale ici-bas qu'au niveau du devenir post-mortem de l'Égyptien.
Dans toutes ces denrées, dès le 22 avril prochain, après les vacances pascales donc, - et mon ami François d'encore certainement vilipender ces Enseignants belges qui ne pensent et fonctionnent qu'avec les congés scolaires en point de mire !! -, je vous promets, amis visiteurs, que vous croquerez à belles dents plusieurs semaines encore ...
Excellente chasse aux oeufs à tous ...