Échos du monde musulman N° 217
31 mars 2014
Les élections municipales turques
Il n’y a pas qu’en France que des élections « locales » sont importantes politiquement.
Le premier ministre Erdogan, « patron » actuel du pays les a présentées comme un référendum
pour ou contre sa personne. Avec environ 45 % des suffrages contre 28 % au principal parti
d'opposition, il semble avoir gagné son pari. Par ailleurs, comme c'est une élection à un seul
tour, cela signifie qu'il a gardé la majorité des municipalités.
Vous vous souvenez que dans les 10 dernières années, le parti au pouvoir, l’AKP
dirigé par l'actuel premier ministre, se présentait comme « islamo-démocrate, comparable
aux démocrates-chrétiens allemands ». En s'appuyant sur les exigences européennes
d'approfondissement de la démocratie, il s'est débarrassé de l'armée, laïque, mais
économiquement étatiste et peu efficace.
Ce contre-pouvoir militaire ayant disparu, le côté « démocratique » de l’AKP s'est
beaucoup atténué et le référendum de 2011 puis les lois récentes, ont donné au gouvernement
des pouvoirs importants sur la justice et les médias. Le premier ministre vient de s'en servir
pour licencier des juges et des policiers qui le menaçaient, puis de s'attaquer à Twitter et
YouTube.
Ces 10 dernières années ont été également un succès économique, avec une croissance
annuelle de 7 % jusqu'en 2011 grâce au libéralisme économique symbolisé par le succès des
entreprises anatoliennes (terme géographique, mais aussi synonyme de « pays profond »).
C'est ce succès économique, combiné à l'islam conservateur de ce « pays profond » qui est à
l'origine du succès électoral de l’AKP, face à l'autre moitié de la population, divisée entre,
ultranationalistes, Kurdes et « laïques » (souvent Alévis et/ou du centre des grandes villes : la
victoire est courte à Istamboul, et on recompte à Ankara).
L'évolution économique récente est moins favorable : les trois dernières années ont vu
un net ralentissement, un déficit extérieur très important et une fuite de capitaux, avec baisse
corrélative de la monnaie nationale, notamment en réaction à l'autoritarisme du
gouvernement. À cela s'ajoute que le développement bute sur un « plafond de verre »
structurel : les femmes participent insuffisamment à l'activité et la qualification de la masse de
la population n'est pas suffisante pour dépasser le stade de la production bon marché, alors
que les salaires et le niveau de vie ne sont plus ceux d'un pays pauvre. Et les industriels
regrettent l'éloignement d'un accord avec l'Europe. Mais tout cela est loin de la perception du
« pays profond », méfiant face aux « modernistes ».
Que va maintenant faire Erdogan ? Il pensait se présenter aux présidentielles du mois
d'août, après avoir proposé une augmentation des pouvoirs du président, mais il n’a pas eu la
majorité des deux tiers à la Chambre pour la faire passer. Se présentera-t-il quand même ou se
préférera-t-il être reconduit comme premier ministre lors des législatives de 2015 et donc
laisser l'actuel président Gül, du même parti, mais plus consensuel, se représenter cette
année ?
Les gulénistes (mouvement « musulman », mais culturel et non politique : voir nos
lettres antérieures) avaient appuyé des candidats anti-Erdogan en réaction aux purges lancées
contre leurs troupes par le premier ministre et à ses pressions contre les patrons finançant
leurs innombrables écoles et leurs 17 universités privées. Mais ça n'a pas suffi, peut-être parce
que leurs électeurs pieux n’ont pas voulu voter « laïque ».
Le problème de la Turquie est que le premier ministre pense que la démocratie se
réduit aux élections. Elles donnent dans son esprit les pleins pouvoirs au vainqueur, au
détriment de la liberté de la presse, de l'Etat de droit et de l'indépendance de la justice. L’AKP
se conduit en l'occurrence comme Ennadha en Tunisie et surtout comme les Frères
musulmans égyptiens ... et comme certains militaires cherchant à être élus. Loin de lancer un
message de réconciliation après les résultats comme il est d'usage, surtout lorsque c'est la
désunion des 55 % d'opposants qui a permis la victoire, Erdogan a menacé les gulénistes «
d'élimination ». Le « modèle turc » s’éloigne pour les Arabes.
La présidentielle algérienne,côté finances
Les riches sont inquiets, les entreprises sont prudentes, les capitaux sortent à toute
vitesse, et l'euro flambe sur le marché parallèle : début mars il était à 50 % au dessus de son
cours officiel.
« La machine administrative » dépenserait sans compter pour la campagne du
président sortant. Les protestataires grognent, mais semblent fatalistes. Quant au « candidat
officiel », il se tait, ce qui renforce les rumeurs selon lesquelles il est physiquement hors d'état
de parler. Certains Algériens soupçonnent son frère de « pousser le fauteuil roulant ».
Par ailleurs le journal El Watan rappelle que si l'armée algérienne a surtout du matériel
russe, la maintenance de ce dernier est ukrainienne (mais de la partie orientale russophone :
un argument de plus pour Poutine ?). Complication supplémentaire : ce matériel intègre des
éléments « intelligents » français susceptibles d'embargo anti-russe :
http://www.elwatan.com//international/crise-russie-ukraine-l-algerie-coincee-entre-deux-partenairesstrategiques-
21-03-2014-249963_112.php )
Irak:c'est de la faute des autres
!
On sait que le premier ministre irakien, Nouri El Maliki, fait sentir aux Kurdes et
surtout aux Arabes sunnites le poids de la majorité chiite. Résultat : les Kurdes se retranchent
leurs montagnes dans une quasi indépendance, et les groupes reliés à Al Qaïda profitent de la
colère des sunnites. D'où un jeu à 3 acteurs (je simplifie beaucoup) : les chefs traditionnels
sunnites et leurs tribus, les mouvements djihadistes qui ignorent la frontière entre l'Irak et
Syrie (où ils se battent contre des chiites alaouites, libanais et iraniens) et la répression par la
police et l'armée … représentant un gouvernement chiite et appuyé par l’Iran.
Plutôt que de chercher à combler le fossé confessionnel, le premier ministre accuse le
Qatar et l'Arabie d'ingérence et de financer l'armement, voire le recrutement des djihadistes.
Problème classique de la poule et de l'oeuf.
Pour le contexte, rappelons que les législatives sont prévues le 30 avril. Mais si les
partis restent sur des bases confessionnelles, la majorité restera aux partis chiites, et cela ne
changera pas le problème. Là non plus, la démocratie ne se résume pas aux élections.
Les présidentielles afghanes
Elles sont prévues pour le 5 avril, le président sortant, Hamid Karzaï, n'est pas
rééligible, mais « se cacherait » derrière Zalmaï Rassoul qui semble avoir l'appui de son clan.
En attendant, le président continue à ne pas vouloir signer l'accord avec les Américains, pour
ne pas paraître « leur homme ». Cela à la grande frayeur d'une partie de la population qui
craint le retour des talibans si les Américains s'en vont complètement.
Les présidentielles approchent aussi en Indonésie
C'est le 9 juin que ces élections doivent avoir lieu dans le plus grand pays musulman
du monde (250 millions d'habitants dont environ 220 sont musulmans, les autres chrétiens,
hindous et bouddhistes). Vous vous souvenez que l'islam n'est pas religion officielle, et que
les partis islamistes sont minoritaires, sauf dans une partie semi autonome de l'île de Sumatra.
Le président Yudhoyono termine assez paisiblement son deuxième mandat, relativement
réussi. Certains lui reprochent toutefois de n'avoir pas agi avec suffisamment de vigueur contre
les islamistes, la bureaucratie et la corruption. Cette dernière serait largement responsable
d'une déforestation dramatique pour satisfaire la demande chinoise, réputée corruptrice, de
bois, ainsi que d'huile de palme venant de plantations remplaçant la forêt.
Le principal parti d'opposition mené par la fille de l'ancien président Sukarno a choisi
un candidat déjà populaire, le gouverneur de Jakarta, Joko Widodo, qui a une image plus
énergique.