Retour de balancier très violent contre le PS à ces municipales. L’UMP et le
centre droit ont conquis de nombreuses ville. Le FN gagne quelques miettes. La politique du gouvernement subit un sérieux désaveu.
Il est toujours difficile de décoder des élections municipales en France, tant les situations locales, les configurations particulières peuvent être complexes
et subtiles.
Cependant, parmi les quelques enseignements qu’on peut tirer de ces élections municipales, il y a évidemment
l’exceptionnel désaveu des listes soutenues par le PS, même dans des villes qui sont restées à gauche, comme Grenoble, Montpellier, Dunkerque, ou encore Les Ulis, la percée très visible du
FN avec la victoire dans une quinzaine de communes, ce qui est nettement plus qu’en 1995 (précédente vague municipale du FN), et un très discret néanmoins réel succès des listes centristes.
Selon le Ministère de l’Intérieur à 23h00 le 30 mars 2014, 155 villes de plus de 9 000 habitants ont
basculé de la gauche vers la droite et le centre droit, dont 50 de plus de 30 000 habitants et 10 de plus de 100 000 habitants. Les listes de gauche ont réuni 40,57% des
suffrages ; les listes de droite et centre droit 45,91% ; les listes sans étiquette 6,62% et les listes d’extrême droite 6,84%.
Bien sûr, on pourra toujours évoquer l'abstention, qui est cependant très inégalement répartie selon les communes et les enjeux. Mais l'essentiel dans une élection, c'est quand même de savoir qui
est élu, qui n'est pas élu.
Voici donc quelques observations concernant ce second tour des élections municipales.
Soirée électorale à la télévision
Depuis plusieurs élections, les habitués des plateaux de télévision le soir des élections se rendent compte
que les deux principales chaînes nationales, TF1 et France 2, abandonnent rapidement l’antenne à partir de 21h00 ou 21h30, laissant sous-traiter l’analyse des résultats par des chaînes
spécialisées (LCP, BFM-TV, iTélé) ou régionales (France 3). On s’étonnera ensuite que les électeurs sont moins motivés par l’actualité politique.
Autre fait marquant de l’évolution, ceux qui commentent les résultats sont de moins en moins des
éditorialistes politiques et de plus en plus des sondeurs.
Enfin, la soirée du 30 mars 2014 fut particulièrement consacrée aux questions récurrentes sur l’éventuel
remaniement ministériel dont tout le monde se moque, ce qui renforce la distance entre la politique et le
peuple : les journalistes s’en rendront-ils donc un jour ? Du coup, les quelques belles performances du FN peuvent aussi s’expliquer par ce formatage du microcosme très parisien, issu
d’un autre monde que le monde réel des électeurs.
La palme des enfonçages de portes ouvertes, on pourrait l’attribuer à la ministre Cécile Duflot qui, en début de soirée, affirmait de manière très réfléchie : « Une élection locale, c’est aussi une élection locale. ».
Le Front national
Parlons-en puisqu’on insiste tellement pour dire que le FN a beaucoup gagné à ces élections. Il est sûr que
si les résultats sont, dans l’absolu, très modestes par rapport aux 36 000 communes. Il reste qu’ils sont les meilleurs enregistrés depuis la
création du FN pour des élections municipales.
De quatre en 1995, le FN est passé à quinze en 2014 si l’on prend aussi en compte les listes proches du
FN.
Après Hénin-Beaumont avec Steeve Briois (50,3%) et Orange avec Jacques Bompard (59,8%), au premier tour, on
peut citer ainsi le 7e secteur de Marseille (150 000 habitants) avec Stéphane Ravier (35,3%), Fréjus avec David Rachline (45,6%), Béziers avec Robert Ménard (47,0%), Hayange avec
Fabien Engelmann (34,7%), ancien syndicaliste CGT, Le Luc avec Philippe de La Grange (42,0%), Le Pontet avec Joris Hébrard (42,6%), Beaucaire avec Julien Sanchez (39,8%), Mantes-la-Ville avec
Cyril Nauth (30,3%), Cogolin avec Marc-Étienne Lansade (53,1%), Villers-Cotterêts avec Franck Briffaut (41,5%), Camaret-sur-Aigues avec Philippe de Beauregard (36,6%) et Bollène avec Marie-Claude
Bompard (55,4%).
Souvent, ce sont les divisions internes de la droite ou de la gauche qui ont bénéficié aux listes du FN qui
ont gagné. Dans beaucoup de cas, l’élection a été emportée avec un très faible écart de voix. Enfin, les maires sortants étaient généralement très contestés et n’avaient pas montré qu’ils avaient
fait du bon travail au cours de leur mandat.
En tout, selon Florian Philippot, 1 300 conseillers municipaux FN ont été élus sur toute la France (sous
réserve de confirmation).
Malgré ces victoires, les leaders du FN, malgré leur notoriété, ont tous échoué : Louis Aliot à
Perpignan, Bruno Gollnisch à Hyères (grande défaite), Florian Philippot à Forbach, Gilbert Collard à Saint-Gilles ainsi que, dès le premier tour, Marion Maréchal-Le Pen à Sorgues, battue et même
pas élue au conseil municipal car en dixième position sur la liste FN qui n’a obtenue que cinq élus.
Nul doute que la gestion de ces quinze communes sera observée à la loupe pendant ces six prochaines années.
Et nul doute qu’il sera donc intéressant de voir ce qui dominera : ou l’idéologie de la préférence
nationale, ou le pragmatisme et sa confrontation avec les dures réalités du terrain.
Pendant ce temps, Marine Le Pen s’est maintenant tourné aux élections européennes, en prenant bien
soin, dans ses éléments de langage, de privilégier l’étiquette "Rasemblement bleu marine" à l’appellation officielle du parti qu’elle président "Front national".
Le Parti socialiste
C’est l’élément majeur de ces élections, un désastre électoral pour les socialistes, et lorsque des
socialistes ont gagné, c’est vraiment en restant le plus éloignés possible du PS et de l’action gouvernementale, comme l’ont montré les victoires d’Anne Hidalgo à Paris et de Roland Ries à
Strasbourg qui réussissent à sauver ainsi l’honneur.
Pour rester dans le positif avec le PS, il a même gagné Avignon sur l’UMP à cause de la fièvre FN, et
quelques villes comme Lourdes (un miracle ?) et Dourdan.
Malgré un premier tour très médiocre, Martine Aubry a réussi à se faire réélire à Lille avec plus de 52% malgré une triangulaire, tout comme François Rebsamen à
Dijon.
En revanche, la déroute du PS dans nombre de villes ne s’est pas seulement fait au profit de l’UMP ou de
l’UDI, mais aussi de la gauche radicale, ou de listes DVG difficiles à classer, comme c’est le cas à Grenoble, à Dunkerque et à Montpellier.
Trois défaites symbolisent bien cette déroute du PS : Limoges, socialiste depuis 1912, Dunkerque, dont
le maire sortant, Michel Delebarre, était un ancien espoir du PS poussé par son mentor Pierre
Mauroy, et Quimper, dont le maire sortant (élu en 1989, 1995 et 2008) Bernard Poignant, conseiller du Président François Hollande, a été
largement battu avec plus de 13% de retard sur la liste de Ludovic Jolivet.
Les centristes (UDI et MoDem)
Cet enseignement sera probablement occulté, mais les bonnes performances des listes centristes ont été l’un des points importants de ce scrutin, à l’image de la victoire dès le premier tour d’une liste UDI à Niort, ville des mutuelles classée
longtemps à gauche.
Le symbole est évidemment la victoire éclatante de François
Bayrou à Pau, grâce à l’union sans faille du centre et de la droite, et si le MoDem réussit également à Saint-Brieuc avec Bruno Joncour, c’est surtout l’UDI qui a multiplié les très bons résultats à ce second tour des élections municipales, parfois dans le cadre d’une union avec
l’UMP, mais dans d’autres cas, en concurrence avec l’UMP, comme c’est le cas avec Nouméa où l’UDI a gagné face à l’UMP.
90% des maires UDI sortants avaient été réélus dès le premier tour, comme ce fut le cas à Massy, Drancy,
Agen, Issy-les-Moulineaux, Épaignes, Montereau, Le Bourget, etc.
Et les victoires du second tour complètent la liste : Nancy, Amiens, Nevers, Nouméa, Bourges, Laval,
Voisins-le-Bretonneux, Bobigny, Béthune, Ploemeur, Vendôme, Louviers (la ville de Pierre Mendès France),
Caen, etc.
Porte-parole de l’UDI, le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde a insisté entre les deux tours sur l’importance de laisser une offre électorale pluraliste :
« Nous [l’UDI] sommes le meilleur antidote au FN. On réoccupe l’espace politique du centre. Du coup, l’électeur ne se sent pas prisonnier de la
droite forte, d’un côté, et du PS, de l’autre. On lui fait des propositions fortes, mais sans être excessif. ».
De 2 500 conseillers municipaux sortants, l’UDI devrait presque tripler sa force de frappe locale, ce
qui a fait dire à Rama Yade (vice-présidente de l’UDI) que c’est l’UDI qui est devenue la troisième force
du pays, et pas le FN.
La droite et le centre droit (UMP, DVD, centristes)
Comme je l’indiquais pour la partie concernant les centristes, la plupart des gains sur la gauche se sont
réalisés avec une très grande union entre l’UMP, l’UDI et même, parfois, le MoDem. Cette union est évidemment à la base de la reconquête nationale sur le PS. Nul doute que la très belle victoire
d’Alain Juppé à Bordeaux et sa proximité (pas seulement géographique) avec François Bayrou pourraient donner les clefs de la prochaine élection
présidentielle de 2017, même si les deux maires refusent d’en parler pour l’instant.
Voici donc une petite liste (non exhaustive) des villes (en dehors de celles citées précédemment pour l’UDI
gagnées souvent en union avec l’UMP) qui ont basculé du PS au centre droit : Toulouse, Valence, Limoges, Quimper, La Roche-sur-Yon, Reims, Belfort, Roubaix, Tourcoing, Ajaccio,
Saint-Étienne, Montbéliard, Angers, Saint-Ouen, Narbonne, Roanne, Chambéry, Conflans-Sainte-Honorine, Charleville-Mézières, Salon-de-Provence, Livry-Gargan, Sens, Tonnerre, Montceau-les-Mines, Le
Creusot, Thionville, Chelles, Montauban, Louhans, Cluny, Palaiseau (ville du ministre François Lamy), Viry-Châtillon, Athis-Mons, Saint-Germain-lès-Arpajon, Chilly-Mazarin, Le Blanc-Mesnil,
Villeparisis, Pont-Sainte-Maxence, Colombes, Argenteuil, etc.
Parmi les conséquences, les communautés urbaines ou de communes peuvent basculer au centre droit comme à
Bordeaux, à Lille, à Marseille et au Plateau de Saclay.
Le front républicain et la stratégie de l’UMP
Parmi les leçons à tirer du second tour des municipales, il y a l’efficacité ou pas du "front républicain" décidé par le PS et l’efficacité ou pas du "ni ni" de l’UMP.
Prenons déjà les deux seuls cas où des listes soutenues par l’UMP ont fusionné avec le FN : chaque fois,
c’est la liste de gauche qui a gagné. À Villeneuve-Saint-Georges, la maire communiste sortante a été réélue avec …30 voix d’avance ! À L’Hôpital, dans une triangulaire, la liste DVG a eu
plus de 10% d’avance sur la liste FN.
En clair, non seulement la digue fabriquée par l’UMP pour refuser toute alliance avec le FN (et le PS) a tenu
bon entre les deux tours (les deux cas précédents étant des élus DVD), mais quand, pour ces deux cas, cela s’est produit, cela a abouti à une défaite (certes courte pour l’un d’eux).
Quant au "front républicain", le maintien de deux listes, une de droite et une de gauche, a très rarement
profité à la liste FN dans les triangulaires. À Forbach, par exemple, les électeurs se sont rassemblés comme ils le souhaitaient, mais en ayant le choix au second tour. Ce maintien de l’offre
électorale même au second tour est un élément déterminant pour éviter des duels FN vs PS ou FN vs UMP dont le principe ne peut que bénéficier au FN en le plaçant en principal (voire unique)
opposant.
Certes, le maintien des listes UMP a sans doute coûté quelques mairies à l’UMP mais cette stratégie de
différenciation est essentiel pour casser le mythe de l’UMPS, un mythe d’autant plus fort que beaucoup d’électeurs du FN au premier tour ont rejoint des listes UMP au second tour.
En effet, à part dans les quelques villes où le FN a gagné, dans beaucoup de communes, même en cas de
triangulaires, la liste FN qui avait pu se maintenir au second tour s’est effondrée, perdant parfois la moitié de ses électeurs, en faveur d’autres listes en lice.
Remaniement ou pas ?
Nouveau serpent de mer qui fait oublier les très mauvaises statistiques du chômage de février 2014, les médias n’ont fait que de parler de ce
sujet entre les deux tours des municipales alors que ce n’était pas l’enjeu majeur.
Si le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault avait été très
médiocre dans son allocution le soir du premier tour, il a été nettement plus performant le soir du second tour, n’essayant pas d’embellir la situation malgré le succès à Paris, Strasbourg,
Avignon, Nantes, Dijon, Rouen, Metz, Auxerre, Rennes, Alençon, Poitiers, etc. et présentant déjà son plan d’action pour les prochains mois.
Ce qui est assez étonnant, c’est qu’on explique que l’arrivée d’anciens ministres qui étaient aux affaires à
l’époque du foudroyant 21 avril 2002 rendrait la situation plus facile : Ségolène Royal, Martine Aubry, peut-être Bertrand Delanoë. Manuel Valls, quant à lui, serait toujours en piste pour
Matignon et aurait cherché une alliance avec des nouveaux "vallsistes de gauche" avec Arnaud Montebourg
(qui souhaiterait occuper l’Intérieur) et Benoît Hamon…
Les plus audacieux commentateurs qui osent privilégier le fond sur la forme semblent être attirés par la
nouvelle mode de la relance comme le propose Matteo Renzi en Italie, en oubliant que pendant deux ans, grâce à Mario Monti et Enrico Letta, l’Italie a su faire les sacrifices pour assainir ses finances publiques, ce qui n’est pas du tout le cas de la France de François Hollande (le déficit
2013 est à encore 4,3% du PIB au lieu de 3%, objectif émis par le gouvernement en fin 2012 !).
Un profond renouvellement des élus locaux
Toujours est-il que la solution adoptée par l’Élysée aura du mal à convaincre les gens s’il n’y a aucun
infléchissement de la politique gouvernementale actuelle.
En revanche, dans la France très diversifiée des communes, il y a donc eu, cette année, un net renouvellement
des élus, non seulement en raison des basculements de majorité dans de nombreuses municipalités, mais aussi parce que souvent, les listes "challengers" ont été composées de personnes jeunes ou
nouvelles.
Félicitations donc, à l’ensemble des nouveaux élus municipaux, et bon courage à eux pour exercer leurs
fonctions dans une optique de gestion saine et visionnaire de leurs communes.
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (31 mars 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Lire les résultats officiels dans chaque commune de France.
Le vote électronique, pour ou contre ?
Se désister au second tour ?
Premier tour des élections municipales du 23 mars 2014.
Enjeux des élections municipales de 2014.
Scrutins locaux : ce qui va changer.
Front républicain ?
La ligne buisson écartée définitivement ?
Syndrome bleu marine.
Le FN et son idéologie.
Les élections législatives partielles de 2013.
Historique de cette réforme des scrutins
locaux.
Texte intégral
de la loi votée définitivement le 17 avril 2013.
Analyse du scrutin du 17 avril 2013 : qui a voté quoi ?
Les dernières
régionales (2010).
L’occasion perdue des Alsaciens.