Les occidentaux qui compatissent avec les ukrainiens pourraient être surpris d’apprendre que le gouvernement américain soutient des autocrates soutenus par la Russie, contre l’opposition, dans d’autres pays qui faisaient autrefois partie de l’Union soviétique.
Un bon exemple est le Tadjikistan, fief du dictateur de longue date Emomali Rahmon. L’aide économique américaine au Tadjikistan totalise plus de 1 milliard de dollars depuis que le président Rahmon a pris le pouvoir en 1992. L’aide de tous les donateurs occidentaux représente près de 10 % de l’économie du Tadjikistan et couvre la plupart des dépenses du gouvernement de M. Rahmon - dont la répression brutale de l’opposition a été condamnée par le Département d’Etat américain, et pas pour la première fois, dans son rapport annuel sur les droits publié plus tôt ce mois-ci.
Le Tadjikistan illustre un phénomène plus large dans lequel l’aide étrangère occidentale se situe souvent du mauvais côté dans la lutte pour la liberté et la démocratie. Certains philanthropes et organisations humanitaires agissent comme s’ils estimaient que des « autocrates bienveillants » conduisent le développement économique. Bien qu’ils soient bien intentionnés, ces humanitaires ferment les yeux sur les abus et créditent ces mêmes dirigeants de tous les éléments positifs qui se produisent alors qu’ils sont au pouvoir.
Considérons maintenant l’Éthiopie, qui se classe au bas de l’échelle des mesures de liberté et des droits. Human Rights Watch a documenté en 2010 comment le dirigeant de l’Éthiopie de l’époque, Meles Zenawi, refusait systématiquement à toute personne n’appartenant pas au parti au pouvoir l’aide contre la famine financée par les bailleurs internationaux. Ces derniers, telles que l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et la Banque mondiale, ont promis d’enquêter, mais ces promesses n’ont pas été tenues.
Meles, décédé de maladie en 2012, était un bafoueur de droits en série : meurtre de manifestants après les élections truquées de 2005, saisie, à la pointe du fusil, de terres appartenant à des paysans afin de les revendre à des investisseurs étrangers au profit de l’État à partir de 2010, ou encore condamnation d’un bloggeur pacifique, Eskinder Nega, à 18 ans de prison en 2012.
Les donateurs et les philanthropes trouvaient pourtant toujours des raisons pour soutenir et faire l’éloge de Meles. Un rapport de l’USAID en 2012 félicitait le souverain éthiopien pour les « énormes progrès » dans la transformation de « l’économie et de la société vers le statut de pays à revenu moyen » (tout en reconnaissant que le cadre de la récente croissance économique de l’Éthiopie correspondait tout simplement à la reprise après une sécheresse). Le président de la Banque mondiale Jim Kim rejoignait le chœur des louanges dans un discours de 2012 célébrant le « changement transformationnel » de l’Éthiopie qu’il attribuait à un gouvernement « stable » poursuivant « des politiques économiques prudentes » et ayant « une perspective de long terme ».
Bill Gates, dont la fondation a dépensé plus de 265 millions de dollars pour la santé et le développement agricole en Éthiopie au cours de la dernière décennie, a déclaré qu’il « avait une excellente relation de travail » avec Meles, dont les politiques « ont réalisé de réels progrès dans l’aide des populations d’Éthiopie ». Il déclara cela après la mort de Meles, alors que M. Gates adoptait déjà son successeur tout aussi autocrate, Hailemariam Desalegn, salué pour « son engagement à poursuivre les politiques du Premier ministre Zenawi. »
Un autre exemple de cécité des donateurs concerne la Chine. Le rapport le plus récent sur les droits de l’homme du Département d’État américain notait des violations flagrantes des droits en Chine en 2013, notamment « des exécutions extrajudiciaires (...) des disparitions forcées et des détentions au secret, y compris des détentions illégales prolongées dans des centres de détention non officiels connus sous le nom de ‘prisons noires’, des tortures et des aveux sous la contrainte des prisonniers, (...) une politique coercitive de limitation des naissances qui dans certains cas conduit à l’avortement forcé. »
Pourtant, la Banque mondiale de M. Kim a suivi la tendance habituelle des bailleurs de fonds en fermant les yeux sur ces abus. Lors d’une visite en Chine en Novembre 2012, M. Kim saluait l’aptitude des dirigeants de la Chine à réussir « le défi d’objectifs véritablement ambitieux. » Le gouvernement chinois avait été « clair en les posant et en regardant ce qui nécessitait davantage de sa part, tout en contemplant ses grandes réalisations. »
Attribuer le succès du développement à des autocrates interprète faussement le lien entre autocratie et développement. Les chercheurs universitaires qui font de tests statistiques sur les données historiques trouvent que la prospérité de l’occident est en grande partie due aux individus ayant leurs droits politiques et économiques.
Pourtant, de nombreux philanthropes et agences d’aide préfèrent embrasser le fantasme qu’il y a un raccourci technocratique du développement, imposé par un autocrate bienveillant qui mettra en œuvre les solutions proposées par les philanthropes et les agences d’aide, comme par exemple l’utilisation d’antipaludiques et de moustiquaires, de capsules de vitamine A pour atténuer la malnutrition, ou d’engrais pour l’agriculture. Une partie de la séduction qu’exerce cette vision vient de ce qu’elle exalte le rôle central des donateurs.
On donne à ces des donateurs une voix importante concernant l’avenir de l’Afrique, tandis que les dissidents locaux comme le bloggeur éthiopien emprisonné, n’attirent que peu d’attention. Ces humanitaires n’ont pas appris ce que militants démocratiques persécutés vivent au quotidien : les autocrates ne sont jamais naturellement bienveillants. Les États sont bienveillants quand ils sont forcés d’être redevables démocratiquement et que les citoyens ont le droit de remplacer les dirigeants malveillants par de meilleurs.
Que devraient donc faire les donateurs ? La démocratie ne peut être imposée de l’extérieur par la force, ni induite ou micro-managée par des experts occidentaux. L’aide des États occidentaux et des organisations internationales devrait soutenir les transitions « conçues de l’intérieur » vers la liberté comme en Ukraine et non pas alimenter des États qui répriment et maltraitent leurs citoyens.
La bonne nouvelle est que la tendance à long terme va en direction de la propagation de la liberté et que les gens affirment leurs droits. Les humanitaires occidentaux devraient les soutenir dans la bataille des idées, et non pas les combattre en donnant une justification intellectuelle fallacieuse et un soutien financier à leurs dirigeants oppresseurs.
William Easterly, professeur d’économie à l’Université de New York, est l’auteur de « The Tyranny of Experts: Economists, Dictators, and the Forgotten Rights of the Poor » (Basic Books, 2014). Cet article a été publié initialement dans le Wall Street Journal, republié avec autorisation par le réseau AtlasOne - Le 31 mars 2014