Bâté comme un âne, je me pose un instant en salle de presse. Dieu que c’est joli ici. Bon, allez, inspiration profonde, étirements, méditation et action ! A l’aveuglette ? Oh que non, mes amis… Car tout journaliste, dans les mois précédant le festival et jusqu’à la veille du lancement, voit sa boîte mail bombardé par les éditeurs, organisateurs et par tous ceux qui ont un événement à Angoulême ou même une simple présence. Pour moi, ça a représenté soixante-dix mails ! Ca a l'air de rien, mais soixante-dix mails à lire et à décortiquer... Et je suis sûr qu’il y a pire encore. Donc, la veille du départ, à la lueur de ma lampe de bureau, je me suis préprogrammé les points importants à ne pas rater. Et c’est pour cela que tout s’enchaîne très vite. De toute façon, le festival n’attend pas. Le premier choc sera à onze heures avec l’inauguration de l’expo « Fleurs qui ne se fanent pas » sur les femmes de réconfort vu par les manhwakas coréens. Ce n'est pas comme cela qu'on nomme les auteurs de Manhwa ? Tant pis !
En attendant, je pars en reconnaissance dans la tente du nouveau monde, regroupant les petits éditeurs (et il y en a un sacré paquet).
Je tombe sur le forum qui se prépare à recevoir le professeur Cyclope !
Usant de mes talents de ninja, je me cache et épie l’arrivée d’un cyclope en fauteuil roulant… mais c’est Fabien Vehlmann qui apparaît et prend place à la table.Après un temps, la conférence démarre. Je me décide à y assister en attendant onze heures.
Pour ceux qui l'ignorent encore, le Professeur Cyclope est un magazine numérique, qui, grâce à Casterman, va se doter d'une édition papier, destiné à tous ceux qui veulent s'abonner. L'idée est de mettre en avant des BD numériques, utilisant les techniques du nuémtique, slide, scrolling, turbomédia, gifs et tout ce qui fait que Professeur Cyclope N'EST PAS le magazine de la BD numérisée, même s'il comporte quelques prépublications, mais bien celui de la BD Numérique. Le projet est soutenu par ARTE et arrive à garder la tête hors de l'eau grâce aux abonnements payants (compter une trentaine d'euros par an). Le point important, c'est que ce modèle économique, qui vaut ce qu'il vaut, permet au magazine de payer ses auteurs. Il n'y a donc pas de bénévolat dans ce projet numérique ! De plus, ce webzine est porté par des auteurs uniquement et ils sont plusieurs. Aux côtés de Fabien Vehlmann, n'oublions pas Gwen de Bonneval, Cyril Pedrosa, Hervé Tanquerelle, Brüno et Marc Lataste. Je suis tellement absorbé par cette présentation que j’y reste jusqu’au bout (vite , un abonnement). Et même plus, car Fabien Vehlmann a la gentillesse de rester partager longuement avec les derniers auditeurs. Mais du coup, adieu fleurs et inauguration… Même si à mes yeux, un festival, c’est aussi laisser une part à l’imprévu, quand ce dernier tombe dès le premier jour, ça surprend ! Cet imprévu qui, dans la foulée, me fait chambouler mon milieu de journée et rater les performances graphiques de dessinateurs Taïwanais au pavillon Little Asia ainsi que la conférence du SNAC au pavillon jeune talents.
Rien n’est perdu, car j'explore l'église Saint-Martial, et son exposition dédié à la BD chrétienne Campus Stellae.
Notons que le lieu accueille aussi d'autres oeuvres, tournant autour de la bible, et reste ouverte à tous, même aux touts petits.
Le monde de Mafalda, dans tous les sens du terme !
Une expo où j’ai appris beaucoup de choses, contrairement à celle située un étage au-dessus et appelée « Du transperceneige à snowpiercer ». Dieu seul sait combien j'ai craqué pour le film. A part le plaisir de retrouver les oeuvres de Manchette réalisées pour Bong Joon Ho et des extraits de la BD originelle, rien de bien instructif. Et c'est dommage. Beau, mais sans véritable fond.
Si j’ai raté l’inauguration, ce n’est pas une raison pour ne pas aller découvrir ces fleurs qui ne fanent pas dans les caves du théâtre.
Mais de quoi ça parle ? Pendant la seconde guerre mondiale, des femmes coréennes furent enlevées à leurs famille par l'envahisseur Japonais. Elle furent offertes pour rien aux soldats des casernes. Leur retrou après la guerre dans leur pays natal ne fut pas des plus faciles, et aujourd'hui encore, elles se battent pour être reconnues comme victimes de guerre. Des auteurs et dessinateurs Coréens se sont emparés des témoignages de ces femmes pour en raconter les histoires et en garder une trace graphique. Dans ces quelques salles, tous les styles se mélangent, au service d'une même belle et noble cause, et donnent des planches magnifiques, oscillant entre le rire et les larmes, entre la comédie et le drame, entre l'amour et la haine, la paix et l'horreur.
Un mur est laissé libre à la fin de l'expo, pour tous ceux qui souhaitent laisser un témoignage, un mot, un message à toutes ces femmes, sous forme de fleurs. Une idée magnifique !
Pour moi, Sans aucun doute la plus belle exposition du festival. A tel point que j’y suis retourné…
Embaumé par le parfum de ces fleurs exotiques, si belles et si tristes, je reprend pied à la cathédrale pour une autre expo touchant la BD chréitenne. Une ambiance différente, dans un lieu de recueillement aménagé pour le neuvième art.
Déco un peu cheap, mais petit personnage fort curieux qui regarde derrière lui, non ?
Et comme je suis encore en manque d'expo, je tente au musée d'Angoulême l'espace Ernest et Rebecca. En fait, autour de quelques illustrations, l'espace est aménagé en atelier pour les plus jeunes, qui ont trouvé de quoi s'amuser avec des animateurs motivés.Une première journée chargée qui nécessite pas mal de repos avant de rempiler pour un second tour, celui du vendredi 31 janvier. Un vendredi placé sous le signe de l’Asie, car, à dix heures pas tapantes du tout, j’ai entamé la journée avec la conférence de presse du dessinateur Li Kun Wu, l’auteur des pieds bandés, venu exprès de Chine.
L'auteur explique sa démarche : faire ce qui lui plaît. Sa chance a été que ce travail de souvenir, et de partage, trouve un public autant chez les citoyens Chinois que dans le pouvoir en place, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons. Li Kun Wu a démarré en dessinant des affiches de propagande pour le parti, avant de trouver sa voie. Si l'auteur ne se livre à aucune critique de son pays, malgré des questions souvent pertinentes sur l'éducation actuelle, la censure, et autres, il tient à manifester son amour pour la France, rappelant que cela fait six fois qu'il vient, et qu'il est heureux d'apprendre que la délégation chinoise de BD a signé un accord avec le FIBD, ce qui va permettre à de plus en plus d'auteurs chinois de venir en France. De son côté, il veut continuer à exploiter la voie qu'il a tracé, entre souvenir et histoire, entre exploration de son passé et de celui de son pays, intimement liés.
Après, je trotte jusqu’à l’Espace Franquin pour la rencontre croisée Suehiro Kaneko et Atsushi Maruo, deux dessinateurs venus du Japon pour nous parler de leur travail, leurs influences, leurs envies.
Ce fut pour moi l'occasion de découvrir et d'écouter ces deux grands artistes, qui jonglent habilement avec le genre et la contre culture japonaise. Bien que de générations différentes, je trouve que les deux hommes se resemblent quelque peu. Pas du tout par leurs graphismes, à l'opposé l'un de l'autre, mais par cette recherche forcenée de la différence et de l'originalité, par ce positionnement underground, ce refus du mainstream et de la consensualité à outrance, par leur travail en solitaire, sans assistant. Et même par certains goûts communs comme Bunuel, l'expressionisme allemand et l'auteur Japonais Rampo.
Entre autres oeuvres, j'apprend que Kaneko est l'auteur de Bambi, paru en France chez IMHO édition, et aussi de Soil, paru chez Ankama tandis que Maruo a dessiné l'île panorama chez Casterman.Maruo s'est déjà confronté à la censure car il pousse parfois ces scènes très loin, et met en image jusqu'au viol de petites filles, ce qui lui a valu des accusations de pédophiles. Certains éditeurs ont même refusé d'imprimer ces mangas. Notons quand même que les deux hommes se trouvent des points de dissension, dont An,dy Warhol, qui soulève encore une fois la polémique. Kaneko adore, et Maruo déteste. Et lors de leur prochaine visite à Paris, si Maruo rêve de visiter les catacombes, Kaneko veut voir les masques du Quai Branly. Souhaitons leur que la capitale leur ouvre les portes de ces univers...Après cela, il est temps de découvrir l’exposition « La BD est dans la rue », intrigante, plus technique qu’il n’y paraissait. L'exposition, originale, montre des artistes au travail, en pleine confection d'affiches qu'ils vont aller ensuite coller sur les murs de la ville.
Mafalda sans son papa Quino ! Tout tristou, après avoir cherché si Le fantôme de Philippe Delaby n’était pas quelque part entre l’Espace Franquin et les tentes des grands éditeurs, qu’on appelle sympathiquement là-bas le monde des bulles (comme si les petits éditeurs ne faisaient pas partie du monde des bulles…), je finis à l’espace Cultura pour les rencontres sélections officielles. L’occasion d'entendre les auteurs de Lastman, Bastien Vivès, Michael Sanlaville et Yves Balak, pour ne pas les nommer (lien vers article Lastman). Cet album est produit comme un manga, rappelons que trois tomes de deux cent pages sont sortis en un an et tout ça chez KSTR ! Vivès et Sanlaville travaillent ensemble au dessin, bien malin celui qui pourra voir les différences de styles entre les pages faites par l'un ou l'autre. Balak découpe en planches la trame générale décrite par Vivès. Avant d'arriver en librairie, la BD est prépubliée sur le web chez Delitoon, une approche originale !
Bastien Vivès lance le mot de la fin : "auteurs et dessinateurs de BD, mettez-vous en atelier !" L'engouement de l'atelier pourra peut-être vous aider à trouver une approche originale, comme l'ont fait ces trois compères.
Et comme j’étais en avance, j’ai pu écouter juste avant Richard Guérineau, l’auteur de Charly 9, présenter sa démarche et sa BD Charly 9.Richard Guérineau explique qu'il a adapté le roman de Jean Teulé car il a craqué sur l'histoire, la vie de Charles, le massacre de la Saint-Barthélémy, et la vision qu'en a donné Jean Teulé. Il a aimé le traitement en court chapitres qu'il a repris pour sa BD, voulant garder le rythme du roman. Et il a décidé de garder un fond historique, mais de ne pas hésiter à opter pour des dessins parfois durs, brutaux, pour contrebalancer l'aspect burlesque d'autres scènes. contrairement à ce qu'on pourrait penser, Richard Guérineau n'est pas un grand passionné d'histoire, c'est le sel de Teulé qu'il a aimé, et qu'il a voulu garder dans les dialogues, ainsi que, à sa manière, dans la transcription visuelle des phrases du romancier.
Une rude journée…
Quand vous prenez le bus le samedi matin, vous constatez tout de suite que le week-end est bien là, et que les festivaliers arrivent en masse. Au fin fond de la province, c’est l’occasion de se familiariser avec l’ambiance des heures de pointe parisiennes, des bouchons et tutti quanti. Je reprend mon souffle en allant écouter Benoît Sokal dans une rencontre dessinée digne de ce nom.
Benoît Sokal, devant la table filmée où il présentera son travail
Connaissez-vous le concept des rencontres dessinées ? Moi, je le découvre. Un auteur, dans notre cas, Sokal, vient avec son travail, comprendre des planches, des étapes de travail, des photos, des dessins, enfin tout ce qu'il juge utile, et pendant quarante-cinq minutes, il explique ses méthodes de travail en échangeant avec le public. Sokal précise d'emblée qu'il a un parcours atypique, quinze ans dans la BD, avec Canardo qui a démarré dans le magazine A Suivre, et quinze ans dans le Jeu vidéo. Maintenant, il veut retrouver un travail solitaire et revient à la BD a l'ancienne, avec papier et crayon. A l'ancienne, pas tant que cela, car l'ordinateur lui sert beaucoup pour agencer, recadrer ses cases et constituer ses planches à partir de ses dessins papier. Une planche représente quatre jours de travail, en cas d'erreur, il y a des solutions plus simples que de tout refaire, comme Photoshop. Pour Sokal, l'informatique reste un outil, tout comme la tablette graphique.Mais de toutes ces expériences, Sokal retient une chose, l'important est l'immersion du lecteur. Il y a trente ans, la BD y arrivait très bien, aujourd'hui, avec les nouveaux outils, le jeu vidéo y parvient également. La priorité reste le spectateur, acteur ou non, et il faut que le voyage qu'on lui propose soit réussi.J’aurais bien enchaîné avec Hermann, mais la foule est tellement dense devant la porte qu’ils nous font gentiment évacuer la salle afin de céder la place à ceux qui patientaient depuis une heure. Mon planning tombe à l’eau, mais l’imprévu est là, puisque je découvre la galerie Glénat, avec quelques œuvres d’artistes de la maison, beau mais pas transcendant.
Mais l'imprévu, malin complice, me mène à l’excellente exposition Etienne Davodeau dans la maison des peuples (lien vers expo Davodeau). Un lieu et une expo qui valait le détour (même s’il manquait de dessin plus grands, en plus des extraits de la BD).
Ce qui me permet de retourner serein à l’espace Franquin (encore et toujours, je sais) pour écouter la conférence sur « Tintin, une suite ? » Une conférence de une heure quarante-cinq avec des invités de marque pour parler de Tintin, d’un nouvel album de Tintin, des droits de Tintin. Malheureusement, rien de nouveau, et je n’ai pas trouvé grand intérêt à ce débat, tenant plus de l’échange d’idées de gens assez d’accord sur le fond (lien vers article Tintin, la suite).Alourdi de ces deux heures perdues, je me traîne vers le Pavillon des jeunes talents, et j’ai bien fait, car j’y retrouve l’équipe d’EspritBD, toujours vaillante et à la pointe de la BD numérique, toujours dynamique et enjouée. Edouard me présente le concours Digital Challenge (lien vers article digital challenge), les jeunes talents exposés, qui profitent pour dédicacer le catalogue de l’exposition mis en vente. Je peux m’asseoir et écouter la conférence sur la BD numérique faisant intervenir Thomas Cadène, ainsi que Joffo, Sarlis, un monsieur de Comixology entre autres (lien article BD numérique).Et la journée se finit sur une pointe d’énergie, car Je rencontre avec plaisir Malec à la fin d’une présentation difficile sur le turbomédia. Le pauvre en avait fait plusieurs et sa voix était atteinte, cela ne l’empêche pas d’être sur la brèche, ouvert à toutes les questions, palette graphique à la main pour expliquer par l’exemple le fonctionnement de cette nouvelle technique de la BD numérique. Un passionné pour une discussion passionnée (article Malec et turbomédia), instructive et intéressante.A côté de ce petit tour dans la BD numérique, il y a une exposition papier classique mettant en avant le travail de Marion Fayolle sur la tendresse des Pierres (lien tendresse pierres). Une expo touchante sur un thème difficile. Fin d'une longue journée avant de rempiler dès le dimanche matin pour la rencontre dessinée avec Cosey. L'auteur de Jonathan a accepté de venir partager avec son public ses techniques de travail, ses voyages qui l'inspirent jusqu'au dessin final, en passant par l'écriture de l'histoire (lien vers article Cosey). Et j'enchaîne avec une autre exposition en plein air, celle du journal de Mickey avant de visiter le palais de Justice pour découvrir l'expo « En chemin, elle rencontre » du collectif contre les violences faites aux femmes. Je finis la journée en assistant à une dernière rencontre sur les modèles économiques dans la BD numériques. Beaucoup d'intervenants pour une question de fonds qui soulève elle-même beaucoup d'autres questions. J'ai la chance de voir Xavier Guilbert, de Du9 dans la foule, et la malchance de le rater à la fin de la rencontre. Dommage. Histoire de ne pas être en reste, je saute au pavillon jeunes talents, car juste à côté, se trouve la maison des auteurs d'Angoulême où s'est posée l'expo «Ancrages », présentant le travail des auteurs en résidence dans la ville. Et à travers de nombreuses planches, je découvre des talents américain, argentins, chinois, iraniens... des inspirations de tout pays, des mélanges, des idées originales. Une pluie de recherches et de créations. Etonnant (lien vers expo ancrages) !Alors que la cérémonie de clôture commence, je vais me poser dans une des salles de lecture (oui, je n'ai pas été invité à y assister, et l'accréditation presse ne suffit pas pour y rentrer) et dévore, pour finir le Festival International de BD en... BD, les albums de Gauguin et Thoreau. Et sur les coups de dix-huit heures, je quitte le centre ville pour assister à un beau coucher de soleil. Belle fin de journée sur Angoulême, son festival, et malgré touts ces déceptions, la folle envie d'y retourner l'année prochaine.
David