Une mansarde avec une fenêtre. Comme un œil ouvert sur le ciel. Une fenêtre où elle n’a jamais pu se résoudre à poser un rideau. Refusant de soustraire à sa vue l’infini et le mystère.
Il fait chaud dans la mansarde. Elle a choisi d’y habiter. Le plus souvent alitée sur un matelas posé au sol. Le jour, la nuit. À n’en plus faire la différence. Lumière trop vive, obscurité. En un précaire équilibre entre le vertige et la chute. Entre l’extase et la douleur. Elle vit.
Les autres. Depuis longtemps ils ont déserté sa maison. Pourtant elle se surprend encore parfois à les entendre chuchoter. Et à s’entendre leur répliquer. Qu’il ne lui reste que peu de temps. Que la douleur est un exil. Qu’elle voulait tant leur épargner. Et qu’il lui était devenu oppressant de les voir, chaque jour, s’affairer autour d’elle. Et de lire dans leur regard un peu de sa propre détresse.
Le ciel se mire dans les eaux
ma tête s’invente des voyages
dans l’ombre des oiseaux de passage
viennent parfois effleurer ma peau
Drogues licites ou illicites. Il faut bien apaiser le corps. Et de surcroît, ravir l’esprit. Au risque de devoir, au retour, résister à l’envie. D’ouvrir bien grand toutes les fenêtres. Pour y laisser entrer l’hiver. Ces nuits où il gèle à pierre fendre.
Sur un matelas posé au sol. Le jour, la nuit. Le plus souvent, elle git. La bouche muette, le corps alangui qu’à intervalles réguliers une vive douleur vient ranimer.
La gorge sèche, les comprimés et à nouveau l’engourdissement…
Dans les eaux le ciel s’obscurcit
voilier d’oiseaux au-dessus de ma tête
le jour décline
j’entends leurs cris
Sa tête a beau s’inventer des voyages. Il lui faut chaque fois revenir. À regret reprendre son souffle, retrouver ses rythmes familiers. Dans le noir, une fois encore, elle tend l’oreille. Dehors le vent s’est calmé. La neige tombe, lourde et mouillée. Dans la mansarde, c’est le silence. Ponctué de quelques bruits discrets. Derrière les murs, une présence. Souris sylvestre, souris à pattes blanches ?
En enfilant son chandail de laine, ses bas et son bonnet, stupéfaite, elle se demande ce qui la pousse, bien malgré elle, à s’accrocher, à résister. Quand il lui est chaque jour plus difficile de se lever, de bouger, de poser ses pieds sur le sol, d’avancer jusqu’à l’escalier. Puis une main agrippée à la rampe, descendre une à une les marches et au milieu de la cuisine, pour la centième fois peut-être, hésiter entre allumer le feu dans l’âtre ou risquer quelques pas dans la nuit…
Notice biographique
Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à