Après un formidable passage par la fiction télé et le thriller avecShokuzai, sorti au cinéma cette année, Kiyoshi Kurosawa revient au cinéma et au fantastique avec Real, adaptation d’un roman de Rokuro Inui, “A perfect day for plesiosaur”. Une oeuvre constamment surprenante, qui joue avec plusieurs des codes du film de genre (SF, film de fantômes, film de monstres, onirisme…) pour désorienter le spectateur et mieux le perdre dans un récit foisonnant, riche en rebondissements et en virages narratifs spectaculaires.
Cela commence comme un film d’anticipation : la science a progressé au point de permettre à une personne de pénétrer dans le cerveau d’une autre, via une console médicalisée. Le personnage principal, Koichi, peut ainsi entrer en contact avec la femme qu’il aime, Atsumi, une jeune dessinatrice de mangas plongée dans un profond coma suite à une tentative de suicide, un an auparavant. Le jeune homme espère comprendre les raisons de son geste désespéré. A-t-elle tenté de mettre fin à ses jours à cause de lui? A cause d’un soudain manque d’inspiration? Il espère également pouvoir l’aider à sortir de ce long sommeil, afin qu’ils puissent reprendre une vie ordinaire.
Le premier contact se passe bien. Koichi trouve Atsumi attablée à sa planche à dessin, dans une copie conforme de leur appartement. Ils peuvent discuter normalement, comme si de rien n’était. Mais la jeune femme semble obnubilée par deux choses. D’une part un dessin de plésiosaure qu’elle lui avait offert, l’année de leur rencontre, alors qu’ils étaient encore enfants tous les deux. D’autre part, le manga sur lequel elle travaillait juste avant sa tentative de suicide, “Roomi”, une histoire de tueur en série particulièrement sombre et violente.
Pendant le contact, Koichi voit se matérialiser les images macabres issues du recueil, ce qui ne manque pas de lui filer une frousse bleue.
Le problème, c’est que ça continue une fois qu’il revient dans le monde réel. Il a des hallucinations inquiétantes. Des effets secondaires de la rencontre, négligeables, selon les médecins. Mais une des visions persiste : celle d’un petit garçon fantomatique, constamment trempé…
On pense alors que le récit va bifurquer vers l’histoire de fantômes japonais classique, comme Kiyoshi Kurosawa a pu en tourner par le passé. Mais ce n’est qu’une fausse-piste de plus. Ou plutôt, une pièce du puzzle.
Koichi doit continuer à explorer la psyché de sa bien-aimée pour comprendre le blocage qui l’empêche de se réveiller. La clé de tout cela se situe au delà des murs de l’appartement, au-delà de la partie consciente du cerveau d’Atsumi, dans les limbes de sa mémoire et de son inconscient. C’est le dessin du plésiosaure et ce qui y est rattaché…
On s’attend à un périple de plus en plus fou, comme pouvait l’être un film comme Re-cycle des frères Pang, autre plongée fantasmatique dans un univers mental tourmenté. Mais Kiyoshi Kurosawa prend encore un autre chemin. Le scénario s’emballe, change de perspective. D’autres thèmes apparaissent, autour des schismes de la société japonaise, partagée entre tradition et modernisme, monde rural et métropoles urbaines. Et, surtout, les cartes sont complètement redistribuées à mi-parcours. Tout ce qu’on vient de voir est remis en question, tout en continuant de former un ensemble cohérent, un mélodrame axé autour du thème de la culpabilité.
Mais Real est avant tout une histoire d’amour très forte et poignante. Celle qui unit, depuis l’enfance, Koichi et Atsumi. C’est cela qui permet au récit de progresser, contre vents et marées. Et c’est sur ce squelette scénaristique (de plésiosaure) que viennent se greffer les nombreux autres éléments du récit, les autres thématiques, avec la grâce poétique et le foisonnement d’un roman d’Haruki Murakami.
Kiyoshi Kurosawa signe là un très beau film, qui confirme, si besoin était, qu’il est l’un des meilleurs conteurs du cinéma nippon contemporain, doublé d’un cinéaste particulièrement doué pour mêler récits intimistes et fables sociales plus amples.
On regrettera juste que la fin du film traîne un peu en longueur et soit plombée par un énième rebondissement, assez dispensable. Ce qui n’empêche évidemment pas Real d’être une des belles pépites asiatiques de ce premier semestre 2014.
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Real
Riaru: Kanzen naru kubinagaryû no hi
Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Takeru Sato, Haruka Ayase, Jô OdagiriLee Yi-Chie, Shi Chen
Origine : Japon
Genre : fable psychanalytique et romantique
Durée : 2h07
Date de sortie France : 26/03/2014
Note pour ce film :●●●●●○
Contrepoint critique : TF1 news
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