Citoyenneté(s): à propos de Le Pen et de la gauche...

Publié le 30 mars 2014 par Jean-Emmanuel Ducoin
Il sera plus que temps, après ce dimanche, d’évoquer un aggiornamento de fond en comble.

Collaboration. Tout le monde en parle, alors parlons-en. Et commençons par une question simple et moins «décalée» qu’il n’y paraît: Fifille-la-voilà est-elle l’imbécile utile du capitalisme moderne, se nourrissant l’un l’autre, comme ces parthénogénèses observées par les anthropologues? 
En somme, le Front nationaliste, qui semble toujours avoir le vent en poupe, a-t-il les voiles gonflées par la crise au point qu’il pourrait dire merci aux producteurs d’exclusions de classes, qu’ils soient au gouvernement, rue de Solferino, à Bruxelles, 
au FMI ou dans les arcanes du CAC 40? L’extrême droite rivalise de démagogie et de «valeurs» nationales adossées 
à la xénophobie et à l’exclusion de la différence, comme c’est habituel, mais se pare désormais d’un langage «social» 
que ne renierait pas, parfois, la gauche radicale. L’indignation morale ne suffit donc plus. Car Fifille-la-voilà entend même, tenez-vous bien, faire «la peau à la mondialisation» 
et à la «finance aveugle». Les éditocrates, complices 
et décérébrés (pléonasme), travestissent l’essentiel. Quand l’héritière du F-haine dit «révolution nationale», eux traduisent «révolution sociale». Ce n’est plus de la banalisation, mais 
de la collaboration.
Car le parti de Papa-nous-voilà, comme 
le prouvent ses revirements de doctrine économique 
de la dernière décennie, n’a évidemment pas d’autre boussole 
que le pire opportunisme. Reconnaissons-le d’ailleurs, les lepénistes semblent jouer le jeu de la démocratie électorale 
par temps de démagogues et de décrépitudes éthiques, mais, 
à Hénin-Beaumont comme partout, ils préparent l’opinion et ses éventuels administrés (nous tremblons) à accepter un processus de solutions qui tournent le dos à la démocratie et visent 
à rompre le pacte républicain – du moins ce qu’il en reste – en s’attaquant aux services publics, aux associations, à la culture 
et aux droits fondamentaux. Prenons l’histoire à témoin. Plutôt «Hitler que le Front populaire», lançaient les grands bourgeois des années trente. Sont-ils si différents ceux d’aujourd’hui, quand il s’agit, en dernier ressort, de choisir entre la liberté 
de valoriser le capital et la liberté tout court? Après, on peut toujours se demander comment et pourquoi des individus modestes et/ou en souffrance votent à ce point contre leurs propres intérêts et ceux de leurs enfants? Comment leur faire comprendre que l’extrême droite ne s’attaquera jamais 
au capital au profit des travailleurs et que la «souveraineté» lepéniste n’est rien d’autre qu’une génuflexion devant les puissants par des moyens détournés, pour masquer un projet ultralibéral? Ne nous laissons plus dépouiller de notre 
histoire et remettons les mots dans le bon ordre: l’idée 
d’un souverainisme de gauche se distingue aisément 
d’un souverainisme de droite, ce dernier se concevant comme souveraineté de la nation alors que le premier revendique uniquement la souveraineté du peuple. La citoyenneté avant tout.

Drapeaux. Quant à la gauche, il sera plus que temps, après ce dimanche, d’évoquer un aggiornamento de fond 
en comble, si possible en réactivant d’urgence les principes fondateurs du républicanisme social et en revisitant, sans écoper quoi que ce soit cette fois, l’énergie motrice que constituent 
la force des idées, le pouvoir des mots et le passage aux actes sans trahison. Nous en avons assez de cette gauche dite 
«de gouvernement», divinisée et pseudo «socialisante», éprise de bons sentiments et moderne jusqu’à en oublier ses combats élémentaires de justice et d’égalité. Celle-ci devra tôt ou tard laisser la place à une gauche de transformation ferme sur ses principes. Car ne le cachons pas: nous vivons maintenant la pire des situations. Avant 2012, la possibilité d’un vrai changement maintenait une partie du peuple du côté de la bonne rive, celle 
de l’espoir et du combat. Depuis l’élection de Normal Ier – tellement «normal» d’ailleurs qu’on pourrait l’échanger avec Merkel 
et tant d’autres –, beaucoup de citoyens, écœurés et désœuvrés, pensent consciemment ou inconsciemment que droite et gauche, tout compte fait, ne se distinguent pas pour lutter contre la globalisation financière et les ravages du libéralisme. De cette forme d’impuissance comme symptôme d’une élite issue d’un même creuset idéologique jaillit déjà une espèce de rejet de 
«la» politique dans son ensemble. Sur qui compter pour relever 
la gauche? Les Sapin? Les Moscovici ? Les Lamy? Les Attali? 
Et pourquoi pas les DSK tant qu’on y est? Qui se retrouvera vraiment face au Front nationaliste de Fifille-la-voilà, quand les vrais responsables de cette situation auront quitté le terrain pour quelque paradis de la gauche perdue? Portés par une longue tradition, nous serons alors bien seuls à faire face, un drapeau bleu-blanc-rouge dans la main droite, un drapeau rouge dans 
la main gauche. Et tant pis pour ceux qui n’y comprennent rien.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 mars 2014.]