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“Aimer, boire et chanter” d’Alain Resnais

Publié le 30 mars 2014 par Boustoune

Un soir de printemps, Colin (Hippolyte Girardot) et sa femme Kathryn (Sabine Azéma) apprennent que leur vieil ami George Riley n’a plus que quelques mois à vivre. Ils sont tous deux sous le choc, surtout Kathryn qui le connaît depuis l’enfance et a même été son premier amour – un point que Colin ignore totalement. Leurs amis Jack (Michel Vuillermoz) et Tamara (Caroline Silhol) sont tout aussi dévastés par la nouvelle.
Pour éviter à George de se morfondre en attendant cette mort programmée, ils le convainquent de jouer dans la pièce qu’ils sont en train de monter, avec la troupe de théâtre locale.
Dans la pièce, George doit incarner l’amant de Tamara. Au fil des répétitions, celle-ci se laisse peu à peu séduire par le charme de George qui, malgré sa maladie, reste plein de vitalité et de gaité. Cela lui permet aussi de se venger des infidélités de Jack, de moins en moins discrètes.
Quand il n’est pas en train de tromper son épouse, ce dernier tente aussi de persuader l’ex-épouse de George, Monica (Sandrine Kiberlain) de revenir vivre avec lui les derniers mois de sa vie. Or Monica vient juste de se mettre en couple avec Simeon (André Dussollier), un fermier plus âgé qu’elle…
Au fil des semaines, le pouvoir de séduction qu’exerce George sur Kathryn, Tamara et Monica plonge Colin, Jack et Simeon dans le désarroi, et sème le trouble dans les relations qu’entretiennent ces couples. Il occasionne aussi quelques chamailleries entre les trois femmes, à qui il propose en même temps de l’accompagner à Ténérife pour ses ultimes vacances…

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Alain Resnais se savait-il malade et condamné à brève échéance quand il s’est attelé à cette adaptation de la pièce d’Alan Ayckbourn,  “The Life of Riley”? 
Toujours est-il que son ultime film, Aimer, boire et chanter, a pris une résonnance toute particulière avec l’annonce de son décès, le 1er mars dernier. On ne peut qu’être frappés par les similitudes entre la philosophie de vie du cinéaste et celle de son personnage, George Riley.
On ne voit jamais ce dernier dans le film – comme dans la pièce – mais il est au centre de toutes les attentions, de toutes les discussions. Ses amis le décrivent comme un homme charismatique et séduisant, un amoureux des femmes et de la vie, un épicurien constamment optimiste et joyeux, en toute circonstance. Soit l’exact portrait de Resnais, si l’on en croit la troupe d’acteurs et de techniciens qui l’a suivi fidèlement, de film en film, pendant une bonne partie de sa carrière. L’homme était passionné par le théâtre, le cinéma et les arts en général et s’intéressait à l’actualité et aux évolutions du monde. Il aimait le travail avec les acteurs. Il fourmillait toujours d’idées et de projets, prêt à repartir pour une nouvelle aventure, malgré les blessures du temps, malgré les difficultés à trouver des financements pour monter ses oeuvres. A plus de 90 ans, faisant fi de l’âge et de la maladie, il a trouvé l’énergie pour réaliser ce film et avait même le projet d’un autre long-métrage, toujours adapté d’une pièce d’Ayckbourn.

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Et, comme Riley, Resnais a toujours été en phase avec son temps, à l’écoute du monde, à l’écoute de la jeunesse la jeunesse. Il a traversé les époques, apportant sa contribution à différents mouvements, de la Nouvelle Vague au cinéma engagé et contestataire des années post 1968, et proposant un cinéma à la fois classique et avant-gardiste.
C’est encore le cas dans  Aimer, boire et chanter. Sur une trame vaudevillesque assez classique, il bâtit un dispositif théâtral des plus épurés, lui permettant de mettre en valeur le jeu des comédiens, et le dynamise grâce à sa science des plans et du découpage filmique.

L’entrelacement du théâtre et du cinéma, c’est l’une des constantes de l’oeuvre de Resnais, de Mélo à Vous n’avez encore rien vu, en passant par Smokin/No Smoking  ou Pas sur la bouche!. Il est donc logique que ce soit encore le cas dans cet ultime film, qui fait un peu office de film-testament.
Dans cette même logique, on retrouve ici un autre élément cher au cinéaste : la bande-dessinée. Des dessins de Blutch permettent de situer le lieu et l’époque où se déroule l’action. Et pour bien rappeler qu’il s’agit quand même d’un vrai film de cinéma, les séquences sont reliées par des travellings montrant une voiture filant à vive allure sur les routes de la campagne anglaise.

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En fait, chaque scène est construite selon une méthode identique : ces plans en mouvement qui alternent avec les dessins, joliment détaillés, des habitations des personnages, puis nous emmènent dans les jardins de ces mêmes habitations, qui correspondent à des décors de théâtre minimalistes – des toiles peintes, deux ou trois accessoires. La caméra s’approche de plus en plus des personnages, de leurs discussions si théâtrales qu’on ne sait plus – et eux non plus – s’ils répètent leur texte ou s’ils discutent vraiment. Et enfin, par moments, elle isole en gros plan un personnage, sur un décor encore plus épuré, blanc strié de croisillons noirs – pour capter ses sentiments réels, débarrassés des artifices. C’est là que le texte parvient à nous toucher, et que les comédiens peuvent utiliser toute leur palette de jeu pour donner de la densité à leurs personnages.

On peut aussi voir cet enchaînement comme une allégorie de la vie, selon Resnais. Un mouvement rapide, échevelé, qui correspond à la fougue de la jeunesse. Puis des plans fixes, plus posés, qui correspondent à l’âge adulte. Un âge où on joue des rôles, on porte des masques, on connaît des joies et des peines. Et finalement, on arrive au troisième âge, celui où il n’est plus nécessaire de tricher et où on peut prendre le temps de l’introspection, avec toute la sagesse accumulée. Cette idée est appuyée par la construction de l’intrigue sur trois saisons – printemps, été puis automne, avant de se boucler sur la mort du personnage, aux portes de l’hiver.

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La mort, Alain Resnais s’en est joué à plusieurs reprises.
Dans son précédent film, Vous n’avez encore rien vu, un dramaturge simulait sa mort et observait les réactions de ses amis comédiens venus honorer sa mémoire et prendre connaissance de son testament. Ici, Riley la repousse tant qu’il le peut, vivant pleinement chaque minute, chaque seconde. Mais elle finit évidemment par le rattraper. Comme elle a finit par rattraper Resnais…
La fin du film, qui montre les personnages se succéder, un à un, pour déposer une fleur sur la tombe de leur ami, sonne comme l’adieu des comédiens-fétiches de Resnais à leur mentor. Sur les visages de Sabine Azéma et d’André Dussolier, l’émotion n’est pas feinte. Ce qui se joue dépasse le cadre de l’écran. Mais le cinéaste boucle son oeuvre sur une ultime pirouette. Une jeune femme vient se recueillir sur la tombe de George. Elle ne dépose pas une fleur mais une image représentant la mort. Avec ce dernier plan vibrant de poésie, Resnais lui passe symboliquement le témoin. Il appartient désormais au passé, elle incarne le futur. A elle de poursuivre le combat…
 

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Oui, le cinéaste n’est plus. Mais son oeuvre, riche et protéiforme, à la fois délicieusement surannée et d’une modernité étonnante, va perdurer. Tant qu’elle sera diffusée, au cinéma, à la télévision, ou sur de nouveaux supports, elle pourra inspirer des spectateurs ou montrer la voie à de jeunes réalisateurs, prêts à reprendre le flambeau.
Ses films continueront à transmettre sa philosophie, son message : Le secret, c’est de garder intact son enthousiasme, de profiter de chaque parcelle de vie, d’inventer et réinventer son existence, d’explorer de nouveaux terrains de jeux, de s’intéresser aux choses, aux gens, de se nourrir de la jeunesse pour conserver soi-même une soif de vivre juvénile.

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Aimer boire et chanter
Aimer, boire et chanter
Aimer, boire et chanter

Réalisateur : Alain Resnais
Avec : Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Caroline Silhol, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain, André Dussollier, Alba Gaia Bellugi
Origine : France
Genre : film-testament
Durée : 1h48
Date de sortie France : 26/03/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : Metro news

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