On a les crises qu’on peut, et on peut peu.

Publié le 30 mars 2014 par H16

C’est à présent le second tour des élections municipales, et pour certain l’occasion d’opérer un retour magistral sur la première volée de giroflée à cinq pétales administrée au parti socialiste lors du premier tour. Tout le monde sent, à commencer sans doute par les ministres qui ont compris qu’ils étaient dans des fauteuils éjectables, que l’heure est grave et qu’il est urgent de se concentrer sur les priorités essentielles du pays : la cuisine du palais de l’Élysée.

Il y a des choses avec lesquelles on peut rire ; les frasques amoureuses du président en font partie, et si elles occupent bien la ménagère de plus de cinquante ans, elles permettent d’introduire une bonne dose de sexe et de vaudeville dans une vie politique qu’on imagine sans mal guindée et stricte.

Il y a des choses avec lesquelles on peut prendre certaines libertés, où on peut modérément tordre la réalité, bricoler de la périphrase enrobante pour ne pas trop choquer les esprits. Le chômage et la courbe retraçant son évolution dans le temps font partie de ces sujets qui, s’ils déclenchent des passions, autorisent cependant les politiciens à toutes les contorsions pour faire passer leurs idées sans que cela ne déclenche vraiment l’ire des populations concernées.

Mais il y a des choses avec lesquelles aucune tolérance ou aucun compromis ne seront jamais envisageables en France. Et la tradition culinaire semble définitivement en faire partie. C’est ainsi qu’on découvre, tous, atterrés, consternés, horrifiés, qu’une ministre jusqu’à présent en exercice aurait émis des critiques vivesà l’encontre du menu proposé par le cuisinier étoilé de l’Élysée lors de la visite du Chef d’État chinois, qu’elle aurait trouvé, je cite avec des guillemets, des pincettes et moult précautions parce que je suis tout choqué au dedans de moi, « dégueulasse ».

Il y a même une preuve vidéo indéniable des allégations de cette ministre, qui se serait ainsi ouverte franchement auprès du premier ministre et de sa femme, sur le perron de Matignon, alors que les journalistes se trouvaient, micros ouverts, à moins de dix mètres :

Oui, vous avez bien entendu, il semblerait que le menu n’ait pas été apprécié, pour le dire gentiment. Dans un autre pays, ceci n’aurait sans doute pas pris de telles proportions ; par exemple, on peut imaginer qu’en Angleterre, avec une telle critique de la cuisine traditionnelle, les Indiens auraient fort mal pris la chose, mais il est peu probable que la presse se soit emparée du sujet. Cependant en France, pays de plus de 300 fromages dirigé par un dessert lacté, une telle critique dépasse de loin le crime de lèche majesté, et déclenche à l’évidence une mobilisation de tout le corps journalistique, social et politique.

Du reste, vous aurez sans aucun doute reconnu Nicole Bricq, la pourtant indispensable Ministre du Commerce Extérieur que le petit monde d’internet avait déjà repérée lors de ses précédents déplacements en notant avec facétie qu’elle avait, justement, un goût très sûr (notamment en terme d’habillement) ce qui donne d’autant plus de poids à sa critique culinaire d’un menu dont on se doute qu’il avait été bâclé par l’un de ces gâte-sauces hâtivement embauché entre deux couloirs pour préparer une visite impromptue du copain chinois de François. On le sent intuitivement : lorsque Nicole Bricq dit que ce qu’elle a mangé à l’Élysée est dégueulasse, on tient là une information de première importance.

Il était dès lors normal qu’avec la fuite de ce renseignement capital, il fallait clairement revoir la suite des opérations, notamment la campagne électorale en cours, les opérations en Centrafrique, les pourparlers diplomatiques avec la Russie concernant l’Ukraine, la lutte contre le chômage, la croissance en berne et les faillites d’entreprise en hausse. Tout cela s’est donc naturellement retrouvé au second plan pendant qu’une réunion de crise était organisée à l’épicentre de ce séisme gouvernemental sans précédent.

Oui, vous avez bien lu : on a organisé une réunion de crise, un meeting d’urgence entre personnalités de premier plan du gouvernement français qui s’occupe des affaires d’un pays qui a la bombe atomique, un porte-avion nucléaire, son droit de véto à l’ONU, représente la cinquième puissance économique du monde et le premier producteur mondial de textes législatifs, parce qu’une ministre avait dérapé sur le repas de la cantoche de l’Élysée. Pour bien situer la personne, il s’agit tout de même de cette ministricule qui n’a jamais réussi à faire plus que chuchoter d’elle aux machines à café autrement que par ses accoutrements grotesques, sa présence médiatique étant, au delà de ces aspects triviaux, parfaitement nulle.

Pour parfaire cette impression de bouffonnerie monstrueuse, il faudrait peut-être que le président s’exprime publiquement, avec, pourquoi pas, une adresse à la nation, pour expliquer pourquoi il renouvelle toute sa confiance à son chef cuistot, comment il prendra les mesures nécessaires mais justes à l’encontre de la ministre qui a eu la langue trop bien pendue, et enfin ce qu’il compte entreprendre pour qu’une telle abomination ne se reproduise plus.

Vous trouvez que j’exagère ? Je voudrais bien mais ce n’est pas moi qui ai commencé et j’aurais de toute façon du mal à dépasser la précédente performance du président en la matière. On se souviendra fort à propos la façon dont l’ensemble de l’affaire Léonarda, qui n’aurait jamais dû dépasser l’échelon préfectoral, aura réussi à placer le premier personnage de l’Etat français dans une position aussi grotesque que parfaitement inutile. Devant ce fâcheux précédent, et au vu de la façon dont s’est enkysté ce qu’ont peut dorénavant appeler « l’affaire Bricq », force est de constater qu’encore une fois, le pays est autant gouverné que l’est un poulet sans tête.

Bien sûr, ce serait injuste d’oublier ici le rôle parfaitement lamentable des journalistes qui ont cru nécessaire et judicieux de simplement relayer les propos de la pauvrette sur le perron de Matignon. Ce faisant, on comprend que nos scribouillards se sont ainsi fourni un sujet croustillant pour le week-end, période pendant laquelle ils n’ont pas le droit, loi électorale oblige, de colporter les habituels ragots et autres bêtises relatives à l’élection en cours.

Mais on ne peut pas non plus exonérer la ministre d’avoir à ce point manqué de lucidité : exprimer ainsi une telle opinion ailleurs qu’en privé, loin des micros, est un signe parfaitement clair d’incompétence marquée. Qu’elle n’ai pas aimé ce qu’on lui a servi, passe encore ; après tout, elle est maintenant habituée des petits plats tous plus fins les uns que les autres, le tout payé avec les impôts prélevés sur un peuple qui n’a plus guère l’occasion de se taper de pareils gueuletons, et on peut espérer que son palais est maintenant entraîné. Mais qu’elle choisisse un tel moment, et un tel lieu pour s’exprimer montre une parfaite et totale déconnexion avec la réalité qui doit, de temps en temps, se rappeler aux gouvernants quitte à leur fesser rudement l’arrière-train.

Enfin, le simple fait pour le staff de l’Élysée de se fendre d’une réunion de crise pour un fait aussi vulgaire, aussi insignifiant et aussi décalé des problèmes des Français montre l’état général de délabrement de la pensée politique en général et de leur méthode de communication en particulier.

Si on me demande, je dirais que, vu de loin, ce pays est foutu.

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