« Je vois maintenant qu'en choisissant la carrière de musicien, je ne me suis pas trompé de route. »
Théodore Gouvy
La forêt de Coubron, 1872
Huile sur toile, 96 x 77,8 cm, Washington, National Gallery of Art
Le premier à être mis à l'honneur est Théodore Gouvy, dont j'ai déjà eu l'opportunité de vous entretenir en tout début d'année, à l'occasion de la recension du disque proposant trois de ses Trios avec piano par Voces Intimæ. Je renvoie donc le lecteur curieux d'en apprendre un peu plus sur la trajectoire de ce musicien souvent partagé entre France et Allemagne aux éléments que je donnais alors et à ceux qu'ils pourront glaner sur le site de l'Institut Théodore Gouvy qui, depuis la villa de Hombourg-Haut où il vécut à partir de 1868, veille à favoriser une meilleure connaissance et une plus large diffusion de l'œuvre du compositeur.
Grand contempteur du goût parisien pour l'opéra – il en composera néanmoins deux, Le Cid et Fortunato,
achevés respectivement en 1863 et 1897, qu'il n'entendra jamais – et la frivolité, Gouvy se voua essentiellement à ce qu'il nommait lui-même la « musique sérieuse. » Son legs fait
ainsi une large place aux compositions instrumentales (de chambre et symphoniques), mais aussi vocales, avec des cantates et des scènes dramatiques aux sujets marqués par son goût de la culture
classique, sans oublier des mélodies, avec un net penchant pour les textes des poètes de la Renaissance,
Le volet orchestral a été confié à deux phalanges à la personnalité assez différente dont les propositions, loin de s'exclure,
se complètent parfaitement en donnant à entendre toutes les couleurs de Gouvy. À l'Orchestre philharmonique royal de Liège qui, sous la direction de son chef, Christian Arming, effectue un
travail tout à fait intéressant sur la musique française, a été confiée la magnifique Sinfonietta op.80 (1885). Il s'agit d'une œuvre concentrée, aux proportions extrêmement
équilibrées, qui opère une synthèse tout à fait séduisante entre classicisme et romantisme, comme un tour d'horizon qui irait de Beethoven à Brahms en passant par Schubert, Mendelssohn et
Schumann, tout ceci dans une atmosphère aux teintes de pastorale (Allegro liminaire) empreinte, en dépit de l'humeur assombrie du mouvement lent, de joie sereine. La phalange belge y
livre une version de grande classe en y déployant une pâte orchestrale qui associe une rondeur et une sensualité
Trois ouvertures de concert, Jeanne d'Arc d'après Schiller (1851), Le Festival (1852) et Le Giaour d'après Byron (1878) qui toutes illustrent, par leur absence totale de dessein programmatique, la précellence accordée par le compositeur au climat sur l'anecdote et à la musique « pure », sont interprétées avec finesse et brio par l'Orchestre national de Lorraine placé sous la direction de Jacques Mercier, une équipe qui connaît parfaitement la musique de Gouvy pour avoir signé, pour le label allemand CPO, la première et très aboutie intégrale de ses symphonies. On retrouve ici ce qui faisait le prix de cette dernière, avec une préférence marquée et, pour le coup, très « française », pour une ligne claire, une certaine légèreté de touche, la recherche permanente du rebond et de la netteté d'articulation. Sans manquer, pour autant, de chair ou de sentiment, l'esthétique défendue me semble regarder vers le classicisme, ce qui est loin d'être un contresens ici.
Finissons cette rapide revue par le volet chambriste, globalement très convaincant lui aussi et qui donne à entendre, avec la
même intelligence que l'orchestral, deux ensembles au style bien différencié. D'un côté, le jeune Quatuor Cambini-Paris, dont le travail sur Hyacinthe
Jadin et Félicien
David a été salué dans ces pages, propose, sur instruments anciens, une lecture pleine de contrastes, menée avec une verve spirituelle et une vigueur roboratives, du Quatuor en
la mineur op.56 n°2 (1872),
Voici donc, malgré quelques minimes réserves, un projet tout à fait passionnant qui permet de faire connaissance, dans d'excellentes conditions, avec une large palette de l'art de Théodore Gouvy et que je recommande donc sans hésiter à tous ceux qui souhaiteraient découvrir ce compositeur ou parfaire la connaissance qu'ils en ont, puisque cette anthologie offre pas moins de sept inédits au disque. Par la qualité globale des interprétations musicales qu'il regroupe comme par celle de ses textes de présentation qui, avec une pédagogie bien comprise, conjuguent précision et accessibilité, ce premier volume, dont il faut une nouvelle fois saluer le soin éditorial qui y préside, est une nouvelle très belle réussite à mettre à l'actif du Palazzetto Bru Zane et l'on espère maintenant que cette série va adopter un rythme de publication régulier afin de mettre à la portée du plus grand nombre d'autres pépites du patrimoine musical romantique français.
Disque I [durée totale : 71'52"] : Sinfonietta en ré majeur op.80, Fantaisie pastorale pour violon et orchestre en fa majeur*, La Religieuse, scène dramatique pour mezzo-soprano et orchestre**, Sérénades pour piano+
Orchestre philharmonique royal de Liège
*Tedi Papavrami, violon
**Clémentine Margaine, mezzo-soprano
Christian Arming, direction
+ Emmanuelle Swiercz, piano
Extraits proposés :
1. Sinfonietta op.80 : [I] Adagio – Allegro
2. Sérénade pour piano n°11 : Larghetto
Disque II [durée totale : 65'23"] : Le Giaour, ouverture en la mineur, Jeanne d'Arc, ouverture en ré mineur op.13, Le Festival, ouverture de concert en mi mineur op.14, Quatuor à cordes en la mineur op.56 n°2*
Orchestre national de Lorraine
Jacques Mercier, direction
*Quatuor Cambini-Paris
Extraits proposés :
3. Jeanne d'Arc op.13
4. Quatuor op.56 n°2 : [III] Tempo di minuetto. Allegro moderato
Disque III [durée totale : 55'45"] : Trio avec piano n°4 en sol majeur op.22, Quatuor à cordes n°5 en ut mineur op.68*
Trio Arcadis
*Quatuor Parisii
Extrait proposé :
5. Quatuor n°5 op.68 : [IV] Allegretto agitato
3 disques et un livre de 112 pages, Ediciones Singulares/Palazzetto Bru Zane ES 1014. Ce livre-disque peut être acheté en suivant ce lien.
Un extrait de chaque plage des trois disques peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Illustrations complémentaires :
Pierre Gouvy, Goffontaine et la maison natale de Théodore Gouvy (aujourd'hui disparue), 1956. Aquarelle sur papier, collection particulière (fonds Gouvy-Durteste, cliché © A. Simon)
Théodore Gouvy en 1890. Photographie © Institut Théodore Gouvy, que je remercie pour son aide précieuse
Paul Flandrin (Lyon, 1811-Paris, 1902), La solitude, c.1861. Huile sur toile, 62 x 52 cm, Paris Musée du Louvre (cliché © RMN-GP/T. Querrec)