Magazine Beaux Arts
L'arbre du veilleurJean RoyerLe Noroît2013
Le recueil d'essais de Jean Royer se lit comme un livre d'histoire de la poésie. Sa voix de conteur révèle les liens qui unissent la poésie et les autres arts : la peinture, le jazz, le blues, etc. Son écoute s’étend à tout un éventail de poètes et de poétesses marquant notre époque, à travers les siècles. C’est un arbre généalogique de poètes et de poétesses avec ses ramifications, influences et ses influences et ses dialogues.
En historien, il trace l'évolution du poème, l’enracine dans son époque et sa géographie. De l'origine latine de la langue française, de Dante à Pétrarque, à Nelligan, à la révolution d'Octobre 70 au Québec. Son rôle est de « consolider » l'héritage qu'on transmet à la nouvelle génération de poètes et de lecteurs. Il révèle les liens qui unissent, par exemple, les poètes québécois avec les rythmes et les formes des poésies de langues diverses, tel Michel Garneau qui s’inspire des rythmes des autres langues : l'Edda islandais ou des poésies arabes.
Jean Royer a été chroniqueur au quotidien Le Devoir. Il a été l'intervieweur de Marie Uguay dans le film de Jean-Claude Labrecque en 1982.
Jean Royer perçoit les ponts qui s'étendent de Perec à Lapointe. Entre Char et Leiris. Entre surréalisme et poésie, Max Jacob et Leiris. La poésie tisse les liens avec la peinture (Robert Mélançon) mais aussi avec l'essai (Hélène Dorion). On découvre combien la poésie est un champ vaste ; elle englobe toutes les sciences humaines.
La poésie est aussi douleur: « Quelle beauté peut répondre de ma douleur ? » (Geneviève Amyot) , comme elle est travail de deuil: « Le poète est le deuilleur des mots perdus » (Jacques Roubaud), l'orant du proche et du lointain. De l'érotisme, car « les poètes sont les amoureux de la présence » . La poésie c'est les mille et une nuits, écrit-il. Jean Royer fait appel à Roland Barthes pour parler du haïku.
Mais surtout, il questionne le poème: pourquoi un poète nous bouleverse ? Comment il touche à l' « intranquillité » en nous: « La littérature, comme l’art tout entier, écrit Pessoa, est la preuve que la vie ne suffit pas. » ;ou à la mort: « Nous portons la Mortalité / Aussi légèrement qu’une Robe Prêtée / Jusqu’au jour où il faut l’enlever. » (Dickinson) (Poème 1481) ;ou encore à l'amour et ses figures idéalisées : Beatrice chez Dante et Laure chez Pétrarque.
Son amour de la poésie le fait voyager à travers le monde et les langues. Pas de frontières pour les amoureux des mots. Chine, Mexique, poésie amérindienne, afro-américaine.
Jean Royer est une oreille à l'écoute du féminin dans le langage et chez les poètes femmes : « Il faut que je crée toute une cosmogonie parce q'il n'en existe pas chez les femmes. Les figures mythiques sont mâles ou, quand elles sont femelles, sont péjoratives, et concernent la relation avec le mâle. » (Louky Bersianik). Il attire notre regard vers les femmes de la francophonie, qu’on n’a pas lu attentivement, la Suisse Pierette Michelond et son mythe de la « Grande Gynandre » ou la Française, Marie-Claire Bancquart.Pour lui, la résistance vient par la voix des femmes. De Sapho à Kiki Dimoula en passant par Christine de Pisan, Tsvetaeva, ou Anne Hébert, entre autres. La prise de parole des femmes donne lieu à la nouvelle écriture des femmes, quand « poétique devient politique».
Les veilleurs. N'est-ce pas ainsi qu'on désigne les anges ?
Le recueil est parsemé des encres originales de Paule Royer. Arbres , insectes, papillons, fleurs. Jean Royer écoute, veille, comme le titre du recueil l'indique.