Varsovie. 19 septembre 1940. Un officier de réserve polonais, Witold Pilecki, se fait volontairement rafler par les Allemands et interner à Auschwitz pour y tisser un réseau de résistance: «Le Rapport Pilecki», à paraître en avril, livre le témoignage exceptionnel de ce héros hors du commun.
C’est la première fois que ce rapport sur l’usine de la mort d’Auschwitz, devenue symbole de l’Holocauste, est publié en français, aux Editions Champ Vallon. Patrick Godfard, agrégé d’histoire, et l’ancienne directrice du bureau de l’AFP à Varsovie, Ursula Hyzy, l’ont traduit du polonais. Deux historiennes, Isabelle Davion et Annette Wieviorka ont été associées à l’ouvrage.
«Dire ce que nous ressentions permettra de mieux comprendre ce qui s’est passé», écrit Witold Pilecki. Témoin d’une des pages les plus sombres de l’Histoire pendant près de mille jours, ce capitaine de cavalerie polonais et résistant est la première personne à informer les Alliés des conditions effroyables de détention et des atrocités commises à Auschwitz.
«Le Rapport Pilecki» constitue la mémoire d’un homme au courage exceptionnel qui fut l’un des plus grands résistants de la Seconde Guerre mondiale. Arrêté, torturé et condamné pour espionnage par les communistes, il sera exécuté dans une prison de Varsovie le 25 mai 1948 à l’âge de 47 ans. Il n’a été réhabilité qu’après la chute du communisme en 1989.
C’est dans la nuit du 21 au 22 septembre 1940 que Pilecki arrive à Auschwitz, où se trouvent alors surtout des prisonniers polonais non juifs. Atterré, il décrit «une autre planète». A son arrivée, les SS ordonnent à un prisonnier de courir et l’abattent. Dix hommes sont exécutés pour «responsabilité collective» de cette «évasion». Les chiens sont lâchés sur les corps, les SS éclatent de rire.
- Chambres à gaz -
En novembre, Pilecki commence à envoyer aux autorités polonaises clandestines, par divers stratagèmes, des comptes-rendus qui parviendront aux Britanniques dès mars 1941. Il obtient du camp d’Auschwitz II (Birkenau), des informations précises sur l’extermination des Juifs dans les chambres à gaz et la construction de quatre fours crématoires. «Des têtes, des mains, des seins coupés, des cadavres mutilés étaient charriés vers le four crématoire», écrit-il.
Pilecki organise aussi dans le camp un vaste réseau de résistance et d’entraide, crée une radio émettrice, fait acheminer des médicaments, inocule le typhus à des SS en les infectant avec des poux. Dans cet enfer, sa mission lui donne une raison de vivre.
En 1942, il est convaincu que son réseau peut prendre le contrôle du camp pendant quelques heures, en vue d’une évasion générale, appuyée par l’armée clandestine polonaise et l’aviation alliée. Aucune intervention n’étant menée, il s’évade au printemps 1943 pour raconter lui-même l’abomination concentrationnaire.
Comme Jan Karski, grand résistant catholique polonais qui tenta de mobiliser l’Occident sur le sort des Juifs, Pilecki ne sera pas vraiment cru...
Witold Pilecki est le seul homme connu pour s’être fait enfermer de son propre gré dans ce camp de concentration, ouvert en 1940 par les nazis dans le sud de la Pologne et devenu au printemps 1942 un lieu d’extermination des Juifs de toute l’Europe.
Longtemps occulté, le «Rapport Pilecki» a été traduit en anglais, aux Etats-Unis, en allemand, en Suisse, et en janvier 2014 en chinois.
Un million de Juifs européens ont été tués à Auschwitz-Birkenau, ainsi que 70.000 à 75.000 non juifs, 21.000 Tziganes, 15.000 prisonniers de guerre soviétiques et 10.000 à 15.000 autres prisonniers, selon les données du musée du camp.
(«Le Rapport Pilecki» - Witold Pilecki - traduit du polonais par Ursula Hyzy et Patrick Godfard - Editions Champ Vallon - 336 p. - 25 euros - Parution le 3 avril)