Il y a un récit, une histoire si ancienne que vous n’en avez surement jamais entendu parler. Un récit qui s’est perdu au fil du temps. Que seul l’artiste entend. Ce conte débute dans mon jardin, chez moi, là où le malheur aime frapper en secret. Je ne suis pas là pour vous raconter mon infortune, mais plutôt pour vous peindre un tableau comme celui-ci.
Un long hiver froid se termine en même temps que mon dernier chef-d’œuvre. Je peins depuis que je suis toute petite. Je peins des portes. Toutes sortes de portes. De bois, de fer ou de pierre. Des entrées ou des sorties sur le Paradis ou vers l’enfer ? Cela m’importe peu. L’important pour moi est de dessiner une belle issue qui me mène quelque part…
Un matin, mon salon s’éteint sous une ombre étrange. J’ouvre les rideaux et je vois quelque chose qui flotte sur la neige. Étonnamment, c’est une splendide porte ! Elle scintille d’un blanc franc et elle se laisse caresser par les flocons de neige incandescents. Elle se fond au paysage comme si elle avait toujours été là, sans que je m’en doute. Un portail vraisemblablement fait de bois, mais je n’en suis pas certaine. Elle est lustrée comme le verre et bordée de moulures idylliques, sorties tout droit d’une époque que je ne connais pas, en fait, pas encore.
Ma première idée est de peindre un nouveau tableau pour la rendre telle que je la vois sous le soleil matinal. Mais quelque chose me dit que cette ouverture mène plus loin que mon imagination. Qu’elle ouvre sur quelque chose d’extraordinaire, j’en suis profondément convaincue. Je prends mes moufles de laines ainsi que mon manteau. J’oublie que je suis toujours en pantoufles et je pars découvrir cette mystérieuse frontière. Contrairement aux autres, celle-ci me parait différente. Le froid me rappelle que je ne rêve pas et l’arbre devant moi aussi lorsque je m’y cogne et m’y appuie. Devant l’immanquable monument, je m’arrête. Je pose mon oreille contre le bois, il est bizarrement tiède et je n’entends rien. Je tourne finalement la poignée. Soudain, je sens un courant électrique qui irradie le long de mon bras droit, je le secoue, il me fait mal.
Je suis de retour chez moi ! Qu’est-ce qui a changé ? C’est impossible ! Je regarde par la fenêtre, mon quartier semble le même, mais plus beau, plus calme et beaucoup plus serein. Pourtant, mon chat me lance le même miaulement interrogateur qu’hier matin. Il a quelque chose de différent ? Quelque chose s’opère en moi, dans mon cœur ! C’est inhabituel, je souris et je regarde de nouveau dehors. La porte est toujours là, survolant tout doucement mon jardin au gré du vent. Je ne comprends rien ! Je sors de nouveau et je tourne une nouvelle fois la poignée de la majestueuse fente avec hâte. Je vois enfin de l’autre côté, c’est un petit village cajolé par les fleurs printanières, c’est très charmant ! Je referme derrière moi, sans savoir si je vais revenir, tout en jetant la dernière couleur sur cette enjôleuse toile.
Un blanc brillant et bleuté imbibe mon pinceau de nouveau. Je fignole les flocons de soie et ensuite les rayons dorés, délicatement, comme si j’y étalais de l’or. Je parfais le petit diablotin noir dans l’entrebâillement de cette entrée peu ordinaire. Je termine avec joie ce seuil magique qui ouvre enfin sur quelque chose ! Ce fût le plus beau de mes tableaux, mélangeant la peur et la joie, mais ce sera malheureusement le dernier. Car j’ai enfin trouvé ce que je cherchais, car je me peins maintenant du bonheur !
D’une peintre inconnue
Notice biographique :
Karine St-Gelais est une écrivante qui promet. Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantines