Si un jour vous allez à Istanbul, vous pourrez voir à quel point les Turcs musulmans ont été respectueux des lieux de prière chrétiens en les convertissant en mosquées lorsqu’en 1453 ils conquirent la Rome d’Orient, en répandant sur le sol de l’eau de rose et en badigeonnant d’une simple épaisseur de chaux blanche les représentations non conformes à l’esprit de la religion. Mohammed Aïssaoui, dans L‘étoile jaune et le croissant, nous parle de l’Algérie qui accueillait des Juifs et en particulier d’Oran où se trouve une des plus grandes synagogues d’Afrique du Nord ; si elle fut confisquée en 1972, elle fut simplement convertie en mosquée, dans le respect des confessions, ce qui laisse l’auteur songeur sur ces lieux qui n’ont pas de mémoire et qui auraient vocation à rapprocher les Hommes.
Synagogue d’Oran
Ainsi, cette grande synagogue d’Oran a été transformée en mosquée sans aucune retouche. Ça ne remonte pas à si longtemps — c’était en 1975. Je croyais que les lieux avaient une âme, un esprit. Qu’ils pouvaient être purs, ou impurs. Je suis étonné de voir le vendredi une foule de musulmans entrer dans cette synagogue… pardon, dans cette mosquée. Ainsi, les lieux n’auraient pas de mémoire. Une synagogue peut devenir une mosquée, et ça n’a l’air de gêner personne — alors que vous n’arrivez pas à faire manger un musulman dans une assiette déjà utilisée par un Juif. Et vice versa.
Intérieur de la synagogue d’Oran
La légende dit que l’on aurait amené dans cette synagogue des pierres de Jérusalem. On y met les pieds, on prie, on espère. Des Juifs y ont prié, espéré… Puis, des musulmans y ont prié, espéré. Et pourquoi pas alors un lieu où pourraient se retrouver des Juifs et des musulmans ? Parfois les hommes me sidèrent.
A Alger aussi, des synagogues ont été transformées en mosquées.
Dans les documents retrouvés aux archives d’Oran, je lis des phrases qui surprendraient aujourd’hui, et je souris. Un exemple, déniché dans une sorte d’atlas de l’époque : « En 1938, la France compte 25 millions de sujets musulmans. » Ça me fait sourire, parce que les nostalgiques de l’ancien empire colonial n’y avaient pas pensé. « La France compte 25 millions de musulmans », la phrase effraieraient certains aujourd’hui…
Mohammed Aïssaoui, L’étoile jaune et le croissant
Gallimard, 2012