genre: drame, érotique (interdit aux - 16 ans)
année: 1970
durée: 1h40
l'histoire: Anne et Lora sont deux jeunes adolescentes, élevées dans un pensionnat religieux . Filles de nobles, elles s'adonnent à diverses lectures perverses, contraires à la bienséance. En vouant un véritable culte à Satan, elles répandent le mal autour d'elles.
la critique d'Alice In Oliver:
Le nom de Joël Séria ne vous évoque probablement pas grand chose. Pourtant, le cinéaste a acquis une certaine notoriété avec son tout premier film, donc Ne Nous délivrez pas du Mal, sorti en 1970. Au niveau de la distribution, le long-métrage réunit Jeann Goupil, Catherine Wagener, Bernard Dhéran, Michel Robin, Gérard Darrieux et Marc Dudicourt.
Au moment de sa sortie, Ne nous délivrez pas du mal provoquera un petit scandale et sera même interdit aux moins de 16 ans. Le film provoquera également la polémique. En résumé, il y a ceux qui s'acharnent à massacrer le film.
D'autres, au contraire, évoquent le ou l'un des meilleurs films français des années 1970. C'est par exemple le cas de Sylvain Perret: "La frontière entre le vulgaire et l’intelligence est parfois ténue, mais ici, au-delà de son parfum provocant et sulfureux, nous tenons en fait un des plus grands films français des années 70, voire un grand film tout court, toujours aussi grandiose, intelligent et unique quatre décennies plus tard". Plus que jamais, Ne Nous délivrez pas du mal est un film précurseur qui s'inscrit dans un contexte particulier, à savoir la libération sexuelle après 1968.
Il s'agit d'une drame à forte consonnance érotique et sexuelle.
Toutefois, attention à ne pas réduire le long-métrage à une oeuvre érotique dans la tonalité d'Emmanuelle qui sortira quatre ans plus tard, donc en 1974. D'ailleurs, avec Ne nous délivrez pas du mal, Joël Séria aura des problèmes avec la censure puisqu'il est question ici de la perversité de deux adolescentes et d'un jeu sadique sur fond de satanisme ambiant, qui aura des conséquences graves. Aussi est-il nécessaire de rappeler les grandes lignes du scénario.
Attention, SPOILERS ! Anne et Lora sont deux jeunes adolescentes, élevées dans un pensionnat religieux . Filles de nobles, elles s'adonnent à diverses lectures perverses, contraires à la bienséance.
En vouant un véritable culte à Satan, elles répandent le mal autour d'elles. Par la suite, Joël Séria signera d'autres oeuvres provocatrices, notamment Les Galettes de Pont-Aven, Marie-Poupée, Charlie et ses deux nénettes ou encore Comme la Lune.
Néanmoins, c'est bien Ne nous délivrez pas du mal qui reste le film le plus transgressif, provocateur et sulfureux de Joël Séria. Ses fans le considérent comme le chef d'oeuvre absolu du cinéaste. Ce film met fin à une croyance populaire, qui veut que l'enfance ou plutôt l'adolescence rime avec l'innocence.
Faux nous répond Joël Séria sur fond d'éducation stricte et religieuse. Ici, la bourgeoisie et la noblesse en prennent pour leur grade. Pour Joël Séria, la dynamique maléfique est la face cachée et taboue de l'humanité et qui va venir empoisonner l'existence paisible d'une petite communauté.
Le film a donc un vrai côté voyeuriste dont les deux gamines, donc Anne et Lora, s'amusent mais sans en mesurer les conséquences. C'est ainsi qu'elles jouent la carte de la provocation. Toutefois, Joël Séria ne cherche pas à excuser le comportement de deux fillettes, loin de là.
Derrière leurs boutades et leurs provocations, Anne et Lora sont reliées par un pacte à la fois d'amitié, de culte satanique et de crucifixion.
On peut donc y voir ici une sorte de pacte faustien qui prendra tout son sens lors de la séquence finale. Nul doute que cette séquence a probablement influencé Brian De Palma pour Carrie au Bal du Diable tant les ressemblances sont frappantes, sauf que le film de Joël Séria a été réalisé six ans auparavant. Par conséquent, Anne et Lora apparaissent elles aussi comme des sorcières abusant de leur pouvoir de séduction. Bref, Joël Séria brosse déjà le portrait de nos futurs rejetons, d'une société appelée à décliner malgré elle vers le côté obscur sur fond de crucifixion.
Personne n'en sortira indemne... Ne Nous Délivrez pas du Mal est donc un film assez curieux, mais toujours passionnant et à découvrir de toute urgence.
note: 16.5/20
La critique d'Inthemoodforgore:
Non, Joël Séria n'est pas l'homme d'un seul film. Certes, ses Galettes de Pont Aven appartiennent désormais aux classiques du cinéma français. Cependant, il ne s'est pas, uniquement, contenté de nous faire participer aux exploits salaces de l'inénarrable Jean Pierre Marielle. Quatre ans avant cette farce bretonne, Séria mit en scène Mais ne nous délivrez pas du mal, un drame sulfureux. Une oeuvre maudite que le réalisateur aura bien des difficultés à faire connaître du grand public tant ce film traite de sujets sensibles. Dans le France de Pompidou, encore sclérosée de moralité puritaine, le film fit scandale et fût interdit pendant neuf mois. A la même époque, de l'autre côté de la Manche, un certain Orange Mécanique s'attirait lui aussi les foudres de la censure.
Les deux films n'ont pourtant vraiment rien en commun. Autant, par son ultra violence, l'oeuvre de Kubrick suscite encore la polémique, autant il est bien difficile de comprendre, de nos jours, l'interdiction dont fût l'objet le film de Séria. Si on caricaturait un peu, nous pourrions dire que nous avons à faire à un croisement entre L'exorciste et Diabolo Menthe. En effet, Mais ne nous délivrez pas du mal paraît aujourd'hui, bien inoffensif, ce qui ne l'empêche pas d'être un grand film. Toutefois, il traîne encore et toujours avec lui une réputation qui sent le soufre. Le titre de l'oeuvre, résolument blasphématoire, n'y est certainement pas pour rien...
Au niveau de la distribution, on retrouve Jeanne Goupil, Catherine Wagener, Bernard Dhéran, Michel Robin et Gérard Darrieu. Attention spoilers: Anne de Boissy et Lore Fournier, deux jeunes filles de grandes familles, sont pensionnaires dans une école religieuse en province. Par jeu et par désoeuvrement, elles se fixent comme unique objectif de faire le mal autour d'elles.
Cela commence par quelques méfaits comme de faire punir des camarades de classe à leur place ou bien de tuer de petits animaux. Fascinées par Satan, elles pratiquent des messes diaboliques et se nourrissent de lectures au diapason. Elles profitent des vacances pour pousser, chaque jour, le vice un peu plus loin. Ainsi, après avoir commis plusieurs vols, elles incendient une récolte de foin. Conscientes à présent de leur pouvoir de séduction juvénile, elles entreprennent de troubler et provoquer sexuellement des hommes plus âgés comme Émile, l'innocent du village où Léon, un vieux garçon arriéré.
Prises dans ce tourbillon de malveillance, elles commettont l'irréparable en assassinant un inconnu rencontré au bord d'une route. Le jour de la rentrée scolaire, lors d'une représentation théâtrale donnée devant parents et élèves, elles se s'immoleront sur scène tout en récitant des vers d'un poème de Beaudelaire...
Avec Mais ne nous délivrez pas du mal, Joël Séria règle ses comptes avec la religion catholique et ses principes rigides et rétrogrades. Comme il le confiera plus tard, le réalisateur a été sinon traumatisé du moins terriblement marqué par la rigueur morale intransigeante qui lui a été imposée durant son adolescence. Une chape de plomb sur une éducation où tout était prétexte à ressortir la faute du péché et à brandir la menace de l'enfer, comme c'était encore souvent le cas dans les écoles chrétiennes durant les années soixante. A travers les pensées secrètes de Lore, le réalisateur ne se prive pas de ridiculiser les prêtres. C'est ainsi qu'au détour d'un discours dominical, on verra un curé finir son prêche nu en s'agitant comme un forcené. D'autres scènes auraient pu finir dans le scabreux mais Séria les contourna très habilement. Pour ce film, le réalisateur s'inspira également d'un fait divers survenu quelques années auparavant qui vit une jeune fille néo-Zelandaise au visage d'ange (dixit Séria), massacrer toute sa famille.
Et surtout dans ce film, l'accent est mis sur le thème inépuisable de l'incommunicabilité entre les parents et les enfants, Séria prenant clairement le parti de ces derniers. D'ailleurs, les adultes se situent nettement en retrait. Ils ne sont jamais présentés à leur avantage et ne servent, le plus souvent, qu'à de faire valoir grotesques aux deux héroïnes. Le réalisateur dénonce également l'hypocrisie du milieu bourgeois et de ses conventions. Milieu dans lequel tout est protocole et simagrées, ce qui n'empêchera pas les parents de Lore et d'Anne d'avoir des criminelles pour filles.
Je préfère prévenir ceux qui s'attendraient à un spectacle graveleux, du genre hémoglobine et petites culottes, qu'ils peuvent passer leur chemin. Le film de Séria, malgré un sujet assez casse gueule, ne verse jamais dans l'indécence et évite tous les pièges de la vulgarité facile.
La mise en scène est certes de facture classique, un peu lente même, mais tout en retenue et en élégance. Comme je le signalais en introduction, rien aujourd'hui ne justifie l'interdiction dont le film fût l'objet au début de sa carrière.
Autres temps, autres moeurs, Mais ne nous délivrez pas du mal a depuis été largement réhabilité au point d'être considéré comme l'un des plus beaux films français des années 70. Pour ceux qui aiment ce genre de cinéma et qui seraient donc intéressés, sachez que le film est disponible dans son intégralité sur le net. En conclusion, on peut dire que Joël Séria signe ici une oeuvre remarquable qui allie la pudeur et la provocation sans qu'on puisse le taxer une seule seconde d'un quelconque voyeurisme.
Vraiment, il est dommage que par la faute d'une réputation délétère, ce film ne jouisse pas de la reconnaissance qu'il mérite. A la fois troublant, poétique et scandaleux, Mais ne nous délivrez pas du mal est un film rare que je vous invite à découvrir d'urgence.
Note: 16/20