Pour ce dernier samedi du mois de mars , Case Départ vous conseille les albums suivants. Parmi eux, il y a quelques belles bandes dessinées. Un petit livre oublié sur un banc ou l’histoire d’un livre qui peut bouleverser l’existence d’une jeune femme, un sublime album muet sur la Turquie qui s’éveille à l’Occident : Orientalisme, le sixième tome des aventures farfelues de Captain Biceps, Une affaire de caractères : un nouvel album inclassable de François Ayrolles, la suite de la très bonne série jeunesse Les profondeurs d’Omnihilo, le second livre du Dernier voyage d’Alexandre de Humboldt, la préquelle de l’excellent polar Ken Games : Louviers, Apprenti Seigneur des Ténèbres : un album décalé sur les affres d’un trio de losers, le deuxième opus de Ce livre devrait me permettre de résoudre le conflit au Proche-Orient d’avoir mon diplôme et de trouver une femme, le sixième tome du manga historique Bride Stories et l’ultime volume du manga violent Gewalt. Bonnes lectures !
Voyage au bout d’un livre
Sur le banc vert d’un square, un livre attend son prochain propriétaire. Camélia passe, s’arrête et récupère l’objet. A partir de ce moment-là, sa vie va être bouleversée. C’est dans l’album Un petit livre oublié sur un banc que Jim va dérouler la suite de cette histoire contemporaine très originale. Pour mettre en images, le scénariste a choisi Mig, le dessinateur du Messager (Grand Angle, 2002).
Le long d’une allée d’un parc, une rangée de bancs verts ; sur l’un d’entre-eux est posé un livre à la couverture crème, intitulé A l’ombre des grands saules pleureurs. Alors qu’une jeune maman accompagné de son bébé ouvre la première page, elle peut y lire : « Ce livre est pour la personne qui le trouvera. Gardez le. J’ai pris un grand plaisir à le lire, je tiens à ce que ce plaisir ne reste pas emprisonné sur une étagère de ma bibliothèque. Il est spécialement pour vous. Signé : un inconnu. » Pourtant la femme ne le prend pas et décide de partir. Arrive alors Camélia, jeune femme dynamique d’une vingtaine d’années et un homme âgé qui nourrit des pigeons. Pensant que le livre lui appartient, elle l’emporte lorsque celui-ci lui répond par la négative. Le soir, chez elle, dans son lit, elle commence la lecture. Son compagnon, Eric, geek de première classe n’a que faire de la lecture et de l’histoire abracadabrantesque de sa fiancée, plus prompt à regarder la notice de son nouveau smartphone. Elle tombe vite en amour pour ce récit, pourtant si classique et à l’auteur inconnu, découvrant même un message codé par les mots entourés dans le livre. Sa collègue de travail trouve, elle, aussi qu’elle se fait trop de film. Elle décide de découvrir qui est le mystérieux premier possesseur. Pour cela, elle le rapporte à l’endroit où elle l’a trouvé. Sans succès. Elle l’abandonne alors sur le banc d’un arrêt de bus. Le lendemain, le livre est à sa place mais un inconnu y a ajouté un message…
Sorte de comédie dramatique contemporaine, le récit très sensible de Jim mêle habilement les passions amoureuses (le couple Eric-Camélia en pleine déliquescence, l’amour platonique Camélia-auteur des messages) et le suspens, courant sur l’ensemble du livre. L’auteur de Une nuit à Rome et Où sont passés les grands jours ? décrit parfaitement l’époque actuelle. La thématique de départ, très originale, permet de comprendre que l’écrit est très important dans notre société ; que les livres peuvent voyager de main en main et que parfois, ils peuvent bouleverser des vies. Ce bel hommage met en lumière les lecteurs, les livres et les écrivains d’une très belle manière et tient le lecteur en haleine. Pour le côté graphisme, Mig apporte une belle énergie au récit, comme celle que met en marche Camélia, l’héroïne, pour retrouver cet être mystérieux. Son dessin semi-réaliste est très élégant et délicat. Le talentueux auteur de Sam Lawry (Grand Angle, 2001) propose de planches avec de grandes cases où les personnages sont bien mis en lumière ; les portraits serrés ou en bustes sont souvent très justes. On attend avec impatience le second tome de cette série tant l’inconnu et la future rencontre nous interrogent.
- Un petit livre oublié sur un banc, tome 1/2
- Auteur : Jim et Mig
- Editeur: Grand Angle, Bamboo
- Prix: 13,90€
- Sortie: 12 mars 2014
Au carrefour des cultures
En pleine campagne turque, des personnes se croisent, se parlent, rêvent d’un monde meilleur. C’est le propos très juste et si sensible qu’a voulu raconter Nicolas Presl dans un album merveilleux, original et sans paroles, Orientalisme.Quelque part dans un petit village reculé de Turquie, de l’autre côté du Bosphore. Accompagné de son fidèle chien, un jeune berger garde ses moutons. Sur la route qui longe son pâturage, une voiture s’arrête à sa hauteur. A l’intérieur, une touriste hilare le photographie à tout va. A la fin de la journée, enfourchant sa moto, il rassemble son troupeau et rentre chez lui.
L’heure de la prière à sonner. Un vieil homme se réveille et découvre des taches de sang sur son oreiller. Après ses ablutions, il prie puis retrouve sa femme dans la cuisine pour le petit-déjeuner. Gêné, il n’ose pas sortir son mouchoir ensanglanté pour le faire laver. Sa fille le rassure et lui fait croire qu’elle l’a nettoyé.
De son côté, le berger, épris de musique rock, rêve d’une vie meilleure à la capitale. Parti remplir des bidons de lait, il est de nouveau surpris par la même touriste le photographiant. Pourtant, il ne s’en offusque pas. Il préfère la compagnie de la fille du vieil homme malade. Mais ce dernier ne l’entend pas ainsi : il ne veut pas de cette idylle naissante.
Dans la même journée, on retrouve de nouveau le couple de touristes, il veulent tout essayer : acheter de la pastèque, faire un tour d’âne attelé, tout cela en échange de pièces sonnantes et trébuchantes.
Le vieil homme part prier à la mosquée. A ses pieds, une nouvelle paire de chaussures dont il est très fier. Mais à la sortie du temps de méditation, malheur ! Ces dernières ont disparu, volées. Obligé de marcher pieds nus pour rentrer chez lui sous une chaleur accablante, son nez recommence à saigner, il titube et s’effondre, foudroyé par une crise cardiaque. La nouvelle fait vite le tour du petit village : le vieil homme est mort…
De prime abord, vous n’auriez pas été tenté de lire cet album (pas de dialogues, album muet et un dessin très singulier) et vous auriez eu tord, passant à côté d’une magnifique histoire. Le récit sensible de Nicolas Presl est tout en pudeur, effleurant les sentiments différents suscités chez ses personnages. Le schéma narratif accentuant les relations entre eux. Dans ce village reculé de Turquie, la tradition est représenté par la figure du vieil homme tandis que la modernité l’est par le jeune berger avide d’émancipation rêvant d’Ankara. De leur côté, le couple de touristes représentent l’accident, toujours à l’affût avec leur appareil photos ; sans gêne, ils se croient tout permis grâce à l’argent. Sortant les pièces pour faire ce dont ils ont envie comme un visiteur de zoo jetterait des cacahuètes aux singes. Ils ont payé leur voyage, ils « doivent » voir du pays. Les planches en noir et blanc sont soulignées par des couleurs porteuses de sens : rouge pour l’objet important (chaussures, les photographies) et le bleu pour adoucir (la mort du vieil homme, les décorations de la mosquée…).
Orientalisme : un magnifique album invitant à s’ouvrir à la complexité du monde.
- Orientalisme
- Auteur : Nicolas Presl
- Editeur: Atrabile
- Prix: 22€
- Sortie: 20 mars 2014
Captain Biceps :
le retour de la revanche n°2
Les super-vilains n’ont qu’a bien se tenir : Captain Biceps est de retour ! Son acolyte Genius à ses côtés, il arpente les rues pour redresser les injustices. Grâce à son poing surpuissant, il met à mal tous les méchants de la ville. Le retour du poing de la justice est le sixième tome de ses aventures loufoques, scénarisées par Zep et dessinées par Tébo. Parmi les mini-récits, il y a :- Gare aux vampires ! Brad est différent mais ne laisse pas les femmes indifférentes. Au détour d’une ruelle sombre, l’homme embrasse fougueusement une jolie rousse. Effrayée par ses dents acérées, elle crie. Comme par un drôle de hasard, Captain et Génius passent dans le coin, entendent les hurlements et tentent de la sauver. Trop tard, elle est retrouvée inanimée avec deux trous dans le cou. Les vampires se multiplient dans la ville à une vitesse éclair. Le président missionne les deux super-héros pour enrayer la propagation.
- Perdus dans la jungle. Un avion rempli de scientifiques s’est écrasé dans la jungle. Le président demande à Biceps et Génius de les retrouver. Alors qu’ils s’enfoncent dans la forêt, ils tombent dans un piège tendu par un crocodile mutant. Ce dernier ayant des sérieux grieffes contre les hommes de sciences, ils les a tués et mangés. Que vont devenir les super-héros ?
- Les Biceps-vacances. Le capitaine et son coéquipier sont en vacances à la plage. Alors que Biceps est déçu par le manque de vagues, ils aperçoivent deux hommes déguisés, sortir de l’eau. Les méchants mis sous l’éteignoir, les deux super-héros partent chercher le chef des deux malfrats, en plongée sous-marine. En chemin, ils croisent une pieuvre géante et arrivent enfin dans le repère de Squale-man…
Lecteur, prends garde : Captain Biceps est de retour et ça va faire mal ! Découpé en mini-récits courant sur quelques planches, les scénarios absurdes et décalés de Zep sont souvent hilarants. Les deux héros plus idiots que la moyenne s’en sortent toujours grâce à une belle et grand stratégie : le poing de Biceps. Pas besoin de plans très élaborés, ni de réflexion, il suffit juste de baffer les méchants. Créée en 1999 dans le magazine Tchô, la série imaginée par le papa de Titeuf est mise en images par Tébo. Le trait comique de l’auteur de Samson et Néon se marie parfaitement avec les histoires loufoques de Zep. Déclinée en dessin animé (visible sur France 3), la série et ce tome raviront les jeunes lecteurs fan des aventures des deux super-héros.
Captain Biceps : une série jeunesse amusante et décalée d’un super-héros complètement idiot dont la devise est : on frappe et on discute après.
- Captain Biceps, tome 6 : Le retour du poing de la justice
- Auteur : Zep et Tébo
- Editeur: Glénat
- Prix: 9,99€
- Sortie: 12 mars 2014
Enquête dans la cité du livre
Bibelosse, cité du livre, est victime d’un tueur en série. L’inspecteur Sandé est dépêché sur place pour enquêter. La tâche va s’avérer délicate parce que la ville est habitée par des personnes plus étranges les unes que les autres. Une affaire de caractères est un album singulier mais tellement admirable de François Ayrolles.Ramon Hache, fabricant d’enseignes, perd le contrôle de son camion et toute sa cargaison de lettres s’éparpille sur la chaussée. Proche de Bibelosse où il devait les poser, il est obligé de continuer son chemin à pied, transportant à bout de bras son A. Cherchant Monsieur Tézorus chez qui il doit livrer les lettres géantes, il tombe sur un homme muet puis sur un agent de la propreté de la ville, assiste à une battle d’hommes cultivés et croise Doc qui répond à toutes les questions grâce aux ouvrages qu’il transporte sur son dos.
Arrivé à la villa Tézorus, il doit continuer ses incessants aller-retour pour transporter les lettres. Epuisé par ces derniers, il découvre un fauteuil d’handicapé abandonné avec lequel il transporte son D. Mais voilà l’engin appartient à Donald Fraser que l’on retrouve pendu au fond d’un puits. Edgar Sandé, inspecteur, est missionné pour enquêter sur cet étrange décès.
Une affaire de caractères est une très belle comédie policière ayant pour décor une ville dédiée aux livres (écrivains, imprimeurs, typographes…) Le formidable récit de François Ayrolles est basé sur le burlesque, le non-sense entremêlé de mots d’esprit et d’une grande qualité dans les dialogues. Adepte des exercices de styles, l’auteur bordelais est un membre actif de l’OUBAPO (Ouvroir de BAnde dessinée Potentielle), digne petit-fils de l’Oulipo de Raymond Queneau. L’intrigue policière est ici un prétexte à la découverte des gens du livre. Album inclassable, il est drôle et plein d’esprit. Pourtant, il a fallu dix ans de maturation à l’auteur de Notes Mésopotamiennes (L’Association) pour créer cette œuvre qui rend hommage à la littérature et à la bande dessinée : Doc qui ressemble physiquement à Séraphin Lampion, l’écrivain muet qui communique en écrivant sur les murs comme Haddock dans le Secret de la Licorne, Fraser semble sorti d’un album de Nicolas de Crécy ou le majordome d’un livre de Mary Shelley… Le trait élégant de François Ayrolles lui permet de composer de très belles planches magnifiées par une série de teintes de couleurs vertes ou bleues créant une belle harmonie.
Une affaire de caractères : un OVNI dans le monde du 9e art pour les passionnés de littérature et de bandes dessinées
- Une affaire de caractères
- Auteur : François Ayrolles
- Editeur: Delcourt, Hors collection
- Prix: 14,95€
- Sortie: 19 mars 2014
Omnihilo : un monde parallèle fantastique
Le Malgris est le deuxième tome de la série fantastique pour jeunes lecteurs Les profondeurs d’Omnihilo, scénarisé par Thomas Cadène et dessiné par Christophe Gaultier. Omnihilo est un monde parallèle formé par l’imagination de tous les enfants. Pourtant cet univers est menacé par le Malgris.
Achille, Julie et Victoire terminent leur année scolaire. A la rentrée, ils seront grands, ils passent en sixième. Afin de passer de bonnes vacances, Achille demande à sa mère d’aller chez Marguerite Maselet, la grand-mère d’Hugo et de Victoire. Cette dernière reçoit une lettre en provenance d’Inde de la part de Arun. Comme la femme âgée est aveugle, c’est sa bonne qui la lui lit. Au courant pour l’Omnihilo, elle ne souhaite pas laisser le enfants partir dans ce monde parallèle pourtant menacé de destruction par le Malgris.
De son côté, Victoire est de plus en plus attirée par Louis, le bellâtre du quartier. Mais ce dernier, ainsi que ses deux amis, n’ont d’yeux que pour le nouveau groupe de rock Les Black Bat.
En rentrant, la jeune fille relit la lettre de Arun à Marguerite. Dans celle-ci, il lui parle de son petit-fils Raj resté volontairement dans un des espaces de l’Omnihilo, parce qu’il apprécie ce monde. N’ayant plus de nouvelles depuis une semaine, il demande de l’aide à sa vieille amie. Elle missionne alors Victoire et Achille pour rendre visite à l’indien et récupérer ainsi un objet fétiche appartenant à Raj. Entrés dans l’Omnihilo, ils arrivent en Inde, le grand-père leur confiant une balle de base-ball mais ils décident d’enfreindre les recommandations et d’aller chercher le jeune indien…
Les profondeurs d’Omnihilo est une série fantastique pour jeunes lecteurs et une fois n’est pas coutume, une histoire solide, très maîtrisée et d’une grande efficacité. En effet, souvent les récits fantastiques pour enfants sont très superficiels. Pas ici ! Tout d’abord l’univers parallèle (issu de l’imagination des enfants) est extrêmement intéressant, le suspens lié au Malgris et les personnages très bien campés, y compris les secondaires. L’histoire à tiroirs fonctionne à merveille et le tension est presque palpable. Thomas Cadène, auteur de Romain et Augustin un mariage pour tous, réussit l’exploit de rendre un récit à la trame classique (un monde parallèle) en une histoire prenante. Le trait tout en rondeur de Christophe Gaultier met parfaitement en lumière le scénario de son complice. L’auteur d’une belle version de Robinson Crusoë compose aussi très bien ses planches matinées de belles couleurs.
Les profondeurs d’Omnihilo : une excellente série fantastique pour jeunes lecteurs, au scénario dense et intelligent et au graphisme très élaboré.
- Les profondeurs d’Omnihilo, tome 2 : Le Malgris
- Auteur : Thomas Cadène et Christophe Gaultier
- Editeur: BD Kids, Bayard
- Prix: 9,95€
- Sortie: 03 mars 2014
Explorateurs et rêveurs
En février 2010 était publié le premier tome de la série Le dernier voyage d’Alexandre Humboldt. Prévu en deux volumes, le second album, scénarisé par Etienne Le Roux et dessiné par Vincent Froissard, est paru au début de ce mois aux éditions Futuropolis. Humboldt, naturaliste à la retraite, décidait de partir à l’aventure après avoir observé le carnet de Bonplan, qui lui était remis par Louisa.Repas de fête de l’Académie des sciences. Alexandre de Humboldt qui en est le président, doit faire bonne figure face à ses pairs, pourtant l’ennui le guette. Mais un événement va le stimuler au-delà du possible. Le nouveau retraité est abordé par Louisa Amadilla, jeune fille venant d’un pensionnat belge. Elle lui montre un paquet confié par feu son père. A l’intérieur, se trouve un carnet ayant appartenu à Aymé Bonplan, un ancien ami du naturaliste, disparu en Colombie depuis quelques années.
Excités par le challenge, tous deux décident de partie pour l’Amérique du Sud, à bord du Nostromo. Si la traversée semble changer le comportement du Humboldt, la jeune femme est elle de plus en plus motivée. Après avoir heurté une vague géante, le bateau sombre. Si Luisa est secourue par un autre navire, elle se questionne sur la possible survie du vieil homme. De son côté Alexandre s’échoue sur une plage et quelques temps plus tard, les deux personnes sont de nouveau réunies.
Second tome : le 9 septembre 1848. Quatre mois que Humboldt et Luisa attendent en pleine jungle, au pied d’une ancienne mine désaffectée. Cette dernière doit pouvoir le mener au cœur de la Terre. Ils souhaitent ardemment découvrir l’organisme originel de notre planète que les scientifiques appellent l’Huphrahomen, source de la diversité des formes de vie sur terre.
Accompagnés par le vilain chevalier Von Ritter et arrivés au bout des mines creusées par l’homme, ils découvrent des contrées inconnues. Après une chute, Luisa se retrouve dans un lieu où des algues gigantesques vivent à l’air libre. Humboldt croise un homme aveugle taillant des arbres ; n’ayant plus vu la lumière depuis longtemps ce dernier avait perdu le seul sens qui ne lui été plus utile, la vue…
Le récit de Etienne Le Roux, basé sur la vie de Alexandre de Humboldt, se transforme au fil des pages, en histoire fantastique. Fantasmagorique, l’album mêle habilement l’aventure, l’action et une belle poésie à la limite du rêve. Le scénario très dense de l’auteur de L’éducation des assassins dont Case Départ avait réalisé un portrait en vidéo, peut paraître difficile d’accès, rayonnant grâce à un beau phrasé et des dialogues richement travaillés. Pourtant, après quelques pages tournées, le lecteur se laisse entraîner dans un monde merveilleux, hommage aux récits de Jules Verne. Plus connu pour la partie graphique d’albums, Le Roux se distingue ici par une excellente histoire, où il distille par-ci par-là des petites trouvailles, des surprises ou des révélations souvent inattendues. Grandiose, le trait de Vincent Froissard attire l’œil et ce agréablement. Soignées et méticuleuses, ses planches délivrent des décors d’une très grande qualité, proches des gravures du 19e et du 20e siècle comme celles de Gustave Doré ou d’artistes plus contemporains comme Chris Ware. Le bestiaire multiforme et en grand nombre est sensationnel. Le tout est agrémenté par de sublimes couleurs où la lumière joue un rôle essentiel. Visuellement c’est époustouflant ! On se plaît à suivre les pas de ces explorateurs hors du commun.
- Le dernier voyage d’Alexandre de Humboldt, seconde partie
- Auteurs : Etienne Le Roux et Vicent Froissard
- Editeur: Futuropolis
- Prix: 17,25€
- Sortie: 6 mars 2014
Ciseaux et Louviers :
naissance d’un couple de tueurs
Trois ans après la fin de la série policière Ken Games, José Manuel Robledo et Marcial Toledano reviennent vers la genèse du couple de tueurs Ciseaux et Louviers. Alors qu’ils avaient développés une histoires très originale et d’une excellente qualité où les trois albums représentaient la vision des trois personnages principaux, dans cet opus Louviers, ils déclinent le passé de ce duo à sang froid dans une préquelle menée tambour-battant.Anne, dite Ciseaux et Bruno, dit Louviers, exercent le job inhabituel de tueur. Alors que ce couple multiplie les missions dangereuses où le sang est érigé en dogme, la jeune femme n’en peut plus de ce travail si particulier ; elle veut retrouver une vie normale, s’asseoir dans un canapé et mater des films tranquillement. De son côté, l’homme se tait. Ce mutisme excède Anne qui claque la porte. Lui, accepte alors un contrat dans une ville en guerre de l’Europe de l’Est.
Au cœur de la capitale assiégée, il doit exécuter le responsable de la situation de guerre. Alors qu’il ne sait pas grand chose de lui et qu’il n’a en sa possession qu’une photographie floue, il décide de se faire passer pour un reporter de l’agence Reuters. Logé dans le seul hôtel sécurisé de la cité, il rencontre d’autres journalistes qui lui donnent quelques tuyaux. Pour être au plus près de sa cible et glaner des informations essentielles à sa mission, il paye un enfant. Pourtant, si ses autres confrères choisissent les plus débrouillards, il se tourne vers Samir, un jeune garçon muet. Pour Louviers, pas de souci, il maîtrise à merveille la langue des signes. D’ailleurs, le jeune garçon fera preuve d’une grande détermination dans ses recherches…
La série mère Ken Games avaient surpris agréablement les lecteurs par une grande force narrative et une construction polar très bien ficelée. Nous retrouvons donc avec plaisir les personnages de ce bon thriller dans un album qui peut se lire comme un one-shot. Très bien documenté, le récit dense et subtil de José Manuel Robledo tient le lecteur en haleine du début à la fin. Construit comme un film, il multiplie les fausses pistes et met en lumière des personnages très bien campés. On découvre ainsi, par des flash-back, les premières relations du couple de tueurs et la mission dans cette ville en guerre est plutôt prétexte aux réflexions de Louviers sur sa propre personnalité. Le trait semi-réaliste de Marcial Toledano est d’une très grande force, d’ailleurs son style graphique a encore évolué d’une très belle manière depuis la fin de la série principale. La mise en scène et les cadrages sont dynamiques et il distille des références cinématographiques dans de nombreuses scènes ; comme celle du zoo où le lecteur peut retrouver des ambiances de L’armée des 12 singes ou encore de Je suis légende.
Ken Games, Louviers : un excellent polar très dense à l’intrigue profonde menée par un duo d’auteurs espagnols à suivre. Case Départ vous conseille l’album pour passer un moment de lecture.
- Ken Games, tome 0 : Louviers
- Auteurs : José Manuel Robledo et Marcial Toledano
- Editeur: Dargaud
- Prix: 13,99€
- Sortie: 07 mars 2014
Des losers qui veulent dominer le monde
En terres d’Alkyll, un petit être appelé Seigneur des Ténèbres veut conquérir et dominer le monde. Accompagné de deux monstres crétins, il débute sa longue ascension vers les sommets… Mais voilà, il part de très très loin. Apprenti Seigneur des Ténèbres (AST) est une série comique jeunesse dont le premier tome vient de paraître aux éditions Sarbacane. Scénarisé par Cédric Asna, dit Céd et mis en images par Jean-Philippe Martin, il ravira les amateurs d’univers de fantasy burlesque.Terres d’Alkyll. Il y a 200 ans, Stéaras régnait en maître absolu sur la région. Faisant régner la terreur, il fut chassé du royaume par un héros. Alors que le pays commençait tout juste à se réorganiser, un petit être maléfique entre dans une boutique pour y acheter un masque. Ce petit homme c’est le Seigneur des Ténèbres dont le seul but est de conquérir le monde. Pour débuter sa quête, il commence par cette région si paisible.
Afin de définir les contours de son projet, il doit fréquemment rencontrer une conseillère. La vieille femme s’occupe alors de lui, lit son projet et lui donne des conseils. De son côté, le Seigneur des Ténèbres cherche un local ou plutôt un repère secret et lugubre. Mais faute d’argent, il se retrouve au Local des associations, côtoyant une secrétaire un poil fofolle et étant obligé de participer aux activités (couture…). Enfin pour faire prospérer son affaire, il doit recruter des collaborateurs. Les seuls aptes sont Slurp, une grosse limace géante et peureuse aimant faire le ménage et Gonzague monstre vert débile affublé d’un casque. Si les deux sont partants, ils sont plutôt crétins et ne feraient pas de mal à une mouche. Toujours serviables, ils enchaînent les erreurs et aiment cumuler les bêtises.
Découpé en scénettes courant sur une ou deux planches, le récit de Céd est décalé. Jouant avec le côté absurde, il met en lumière un univers d’héroïc-fantasy où les principaux personnages sont de sombres idiots : entre le Seigneur des Ténèbres et ses deux acolytes, l’honneur des super-héros est mis à mal. Aussi bêtes que méchants, ils n’ont pas inventé la lumière. Si le lecteur passera plutôt un bon moment de lecture, il ne sera pas surpris par l’histoire au ressort classique. Les dialogues sont assez tranchants et savoureux. A mi-chemin entre Trolls de Troy (Arleston et Mourrier) ou Merlin (Sfar et Munuera), l’album, même s’il est drôle, ne parvient pas aux mêmes subtilités que ces prédécesseurs. Le trait plutôt simple de Jean-Philippe Morin fait la part belle aux personnages. Misant sur des décors à minima, il permet d’accentuer le côté comique de la série. Réhaussé de grands aplats de couleurs à l’ordinateur (pas très réussies), il propose des planches efficaces.
- AST, Apprenti Seigneur des Ténèbres, tome 1
- Auteur : Ced et Jean-Philippe Morin
- Editeur: Sarbacane
- Prix: 12,50€
- Sortie: 05 mars 2014
Et pour quelques pages de plus…
Pour compléter notre sélection de la semaine, Case Départ vous conseille aussi les albums suivants :
Ce livre devrait me permettre
de résoudre le conflit au Moyen-Orient,
d’avoir mon diplôme
et de trouver une femme (tome 2)
Neuf ans après avoir écrit la première version du tome 1 Ce livre devrait me permettre de résoudre le conflit au proche-orient, d’avoir mon diplôme et de trouver une femme, publié en 2010, Sylvain Mazas revient avec le tome 2. Avec beaucoup de finesse et d’humour, il réussit à créer de nouveau un très bon opus.Alors que dans le premier volume, il n’avait pas résolu le conflit au Proche-Orient ni trouvé l’amour ; il n’en va pas de même pour ce deuxième album : il a décroché son diplôme et endin trouvé une femme !
Alors qu’il a changé physiquement : moins de cheveux, plus de barbe, il le dit d’entrée : il arrête de faire des blagues ! Pour nous faire comprendre les avancées dans sa vie, il a même créé un power point. Entre les deux livres, il a : fait du bénévolat musical auprès d’enfants dans un camp de Palestiniens, organisé le premier festival de croquis à Stralsund : Le Skizzenfestival, a pris des cours d’arabe libanais ou encore a rendu son mémoire. Mais surtout il a trouvé un allié de poids : les maths !
Mélange décalé et hilarant de textes, de réflexions et de petits dessins, ce mini-album fera de nouveau rire et sourire le lecteur curieux de ce style littéraire. Sylvain Mazas, néo-allemand depuis peu, casse les codes et tord les idées reçues sur le Moyen-Orient. Dans cette petite biographie, un peu améliorée, il réussit le coup de force de faire rire de sujets parfois délicats. L’apport des mathématiques pour appuyer son argumentation est absurde et amusant.
- Ce livre devrait me permettre de résoudre le conflit au Proche-Orient, d’avoir mon diplôme et de trouver une femme, tome 2
- Auteur : Sylvain Mazas
- Editeur: Vraoum
- Prix: 12,20€
- Sortie: 19 mars 2014
Bride stories, tome 6
En parallèle de sa série Emma, dont Case Départ vous a présenté l’ultime tome la semaine dernière, Kaoru Mori a crée un manga à teneur historique Bride stories dont le sixième tome est paru le 20 mars aux éditions Ki oon. Ce seinen manga fut prépublié dans le magazine Fellows à partir de 2008 et publié par l’éditeur Enterbrain.Sur la Route de la Soie, au Sud-Est de la Mer d’Aral au 19e siècle. Amir Hargal, a 20 ans lorsqu’elle se marie avec un jeune garçon de 12 ans ; pour nouer une alliance entre leurs deux familles. Douée pour la chasse, c’est une archère émérite. Lui est le fils héritier de la famille Eyphon. Leur vie va être bouleversée par l’arrivée de l’ethnologue britannique Henry Smith. Cet homme qui travaille sur les coutumes des peuples d’Asie Centrale, il est aussi agent de renseignement pour le gouvernement.
Alors qu’elle avait été envoyé dans le clan voisin pour être mariée de force et qu’elle commençait à trouver ses marques, le couperet tombe : pour conclure une alliance plus importante avec un autre voisin plus puissant, le clan d’Amir décide de récupérer la jeune femme coûte que coûte.
La belle archère, qui ignore encore que son père a pour projet de la marier à un autre homme, s’habitue peu à peu à sa nouvelle vie aux côtés de Karluk et de sa famille.
Hélas, après avoir vu ses émissaires renvoyés sans ménagement, le clan de la jeune femme n’a pas l’intention d’en rester là : cette fois-ci, c’est toute une troupe de cavaliers qui font irruption dans le village, et ils comptent bien ramener Amir avec eux… quitte à employer la force !
Dans ce volume 6, Smith reprend la route pour découvrir d’autres recoins de l’Asie Centrale. Du côté de Amir et Karluk, la vie poursuit son cours tranquille, au gré des petites tâches du quotidien. Seul événement notable entre deux parties de chasse : la découverte d’un faucon blessé, que les jeunes gens essaient de soigner tant bien que mal. Mais cette existence paisible est sur le point de voler en éclats… Les terres fertiles des villageois ont fait des envieux, et certains semblent déterminés à s’en emparer !
Sublime fresque épique, historique et d’aventures, Bride Stories est une série accrocheuse. Empli d’une belle tendresse, le récit sublime de Kaoru Mori tient le lecteur en haleine, entre traditions et coutumes, actions et belle histoire d’amour. Si l’histoire reste classique, comme dans la série Emma (un amour contrarié par les mœurs et les traditions de l’époque), elle est magnifiquement maîtrisée et efficace. Elle permet à l’auteur de nous montrer les à-côtés de cette civilisation presque disparue aujourd’hui. Les personnages sont extrêmement bien campés, y compris les secondaires. Comme pour Emma, la jeune auteure de 35 ans apporte un grand soin pour les costumes et les décors. Les pages des grandes steppes d’Asie Centrale, les parties de chasse ou les scènes à cheval dépeintes sont magnifiques. Ce souci du réalisme est visible grâce aux nombreux détails des belles planches. A noter que la série à remporter le Fauve Intergénérations du Festival BD d’Angoulême en 2012.
- Bride stories, tome 6
- Auteur : Kaoru Mori
- Editeur: Ki oon
- Prix: 7,65€
- Sortie: 20 mars 2014
Gewalt, tome 3/3
Gewalt, volume 3/3. Suite et fin de la série manga explosive et addictive de Kôno Kôji. Ruito continue la quête de sa personnalité entre doutes et bastons.
Même s’il a fini lynché, Ruito s’est plutôt bien débrouillé contre Akiyama, vice-capitaine club de baseball. Malgré ça, on lui refuse l’entrée dans la Gewalt 5. Et le pompon, c’est que le capitaine adverse s’est pris de sympathie pour lui et le verrait bien intégrer ses rangs. Alors, pour régler le différend, lui et ses anciens « collègues » de la Gewalt décident de s’affronter lors d’un tournoi en 3 contre 3… dont Ruito sera l’enjeu ! Entre combattants improbables, coups de savate et coups bas, l’avenir de Ruito va se jouer sur un ring improvisé. Va-t-il le subir ou en décider ? Une chose est sûre… maintenant, le choix est entre ses mains !
Le deuxième tome avait laissé le lecteur sur les nerfs, attendant avec impatience le dernier volume. Et nous ne sommes pas déçu : l’ambiance très noire est toujours là, les personnages dont Ruito toujours sur le fil, les scènes de baston toujours aussi bien dessinées et le rendu toujours aussi fort. D’ailleurs, le héros est tiraillé entre les deux mondes, ne sachant toujours pas où il se situe. La fin proposée par le japonais est très équilibrée, juste et d’une grande qualité.
Gewalt : une série forte et noire à (re)lire pour les fans de mangas baston.
- Gewalt, volume 3/3
- Auteur : Kôno Kôji
- Editeur: Doki Doki
- Prix: 7,90€
- Sortie: 05 février 2014