Hudec

Publié le 29 mars 2014 par Ancre_de_chine

Il n'y a pas si longtemps les Chinois avaient d'autres chats à fouetter que de s'occuper de leur héritage architectural et plus particulièrement de l'architecture héritée de l'ère bourgeoise. On a détruit pour reconstruire et gentiment on réalise que certains bâtiments sont précieux, dont ceux d'un pionnier de la modernité chinoise, un architecte venu d'Europe de l'est en 1918 les mains vides, je veux nommer... László Hudec (clap, clap, clap), reparti 27 ans plus tard auréolé d'une solide réputation de bâtisseur.

"L.E. Hudec: Visionary"
by Anne Hudec, SFCA

"László Ede Hudec ou Ladislav Hudec est né le 8 janvier 1893, à Banská Bystrica est un architecte hongrois et slovaque", nous raconte Wikipedia. Hongrois ou slovaque ? Son lieu de naissance faisait alors partie de l'Empire austro-hongrois. Il a étudié l'architecture à Budapest de 1911 à 1914, créant ainsi des liens forts avec la culture hongroise. Opter pour cette nationalité aurait été logique, mais sa région de naissance venait d'être annexée à la Tchécoslovaquie. Dans une lettre à sa famille restée en Europe, il a écrit : "Suis-je magyar ou tót (slovaque), je n'en ai pas la moindre idée et je ne veux pas le savoir; je ne peux pas me diviser comme mon pays l'a été, je reste qui j'ai toujours été, fils d'une mère hongroise et d'un père slovaque." Il parlait les deux langues, est même devenu Consul honoraire de Hongrie à Shanghai en 1941. Il avouait se sentir tiraillé entre les deux cultures, mais elles ont fait de lui un architecte est-européen. Il a changé son nom une fois arrivé à Shanghai. Ses diplômes sont au nom de Hugyecz (nom hongrois), mais Hudec, qui ressemble davantage à un nom slovaque, est plus facile à épeler et à prononcer. Son prénom a toujours été Laszlo, mais on le trouve parfois appelé Ladislaus, l'équivalent en allemand. 

Il a combattu pendant la Première Guerre mondiale avec l'armée austro-hongroise, s' est fait capturer par l'armée russe en 1916 et envoyer dans un camp en Sibérie pour construire le Transsibérien. Muni d'un faux passeport russe, il s'est échappé d'un train à la frontière chinoise pour atteindre Shanghai, où il a rejoint le bureau d'architecture de Shangai, R.A. Curry. A cette époque, la cinquième plus grande ville du monde attirait toutes sortes d'aventuriers. En 1925, il a ouvert son propre bureau,  construisant bon nombre d'immeubles jusqu'en 1941.

En 1922, il a épousé Gizela Mayer, de nationalité allemande,
née à Shanghai

La bourgeoisie chinoise émergente a immédiatement mandaté Hudec pour la construction de maisons. Son style élégant et inventif plaisait. Les travaux de l'architecte comportaient toujours des innovations techniques, faisant de lui un pionnier dans le domaine, même selon les standards occidentaux. Il ne manquait pas une occasion de voyager pour enrichir ses connaissances. A la fin des années 20, il a déjà démontré toute une palette de sa virtuosité. Il a dessiné un quartier résidentiel de 75 maisons dont les plans étaient identiques, mais modulables selon les besoins de ses clients, même pendant leur construction.

Sa première grande commande, l'Hôpital Margaret Williams,
le premier à avoir la climatisation


Aujourd'hui, Wukang Mansion, jadis Normandie Apartments
(pour commémorer le paquebot Normandie),
est un bâtiment historique protégé situé dans la Concession française.
Terminé en 1924, il a abrité de nombreuses célébrités.

De nos jours


C'est en 1930 qu'il a dessiné la maison qu'il destinait à sa famille qui a pu y emménager en 1933. De nos jours, elle fait plutôt grise mine, vide et entourée de bâtiments hétéroclites et des voitures garées. Mais elle a connu des moments plus radieux, elle qui n'aurait pas décadré dans la campagne anglaise. Elle était alors entourée d'un vaste jardin.



 
 Dès le début des années 30, Hudec a introduit l'architecture européenne en Chine, influencé par ce qui se faisait au nord de l'Allemagne.

China Baptist Publication Society


China Christian Literature Society


A Shanghai, comme en Amérique et en Europe, dans les années 30 on aimait le cinéma. Hudec a construit le Grand Theatre (1931-33),  le plus grand cinéma de la ville et le plus élégant. On en a parlé autour du monde, dans des revues spécialisées telles que Baumeister et L'Architecture d'Aujourd'hui. Mais ce n'était pas qu'un cinéma de 2400 places. Il comportait également une scène pouvant accueillir un orchestre symphonique au grand complet. Il paraît que le majestueux escalier et le foyer sont encore des modèles d'architecture d'intérieur, mêlant le style art déco au modernisme. 

Pourtant, c'est le Park Hotel (1931-1934) qui est probablement le plus connu de ses bâtiments. Il a été le premier gratte-ciel hors des USA (et jusqu'au début des années 80, le plus haut de Shanghai) : 22 étages, art déco fastueux,  ascenseurs express, salles de banquet, suites luxueuses, toit rétractable au-dessus du night-club. Contrairement aux autres bâtiments, il n'a jamais bougé pendant ou après sa construction, Hudec ayant adopté une technologie allemande pour les fondations. C'est sûr que de nos jours, il n'est ni le plus haut, ni le plus élégant, ni le lus étoilé, mais il est toujours là.

Inutile de se précipiter, l'inauguration du
Park Hotel a eu lieu le 1er décembre 1934

Hudec a construit des écoles, des églises, des bureaux, des complexes industriels (dont le bâtiment du Service des eaux et la brasserie Union Brewery).

Ce qu'il reste de Union Brewery

La résidence conçue pour Dr D.W. Wu (1935-38) est son dernier projet significatif à Shanghai. La presse de l'époque a parlé de l'habitation la plus moderne et luxueuse de tout l'Extrême-Orient, utilisant les idées de Erich Mendelsohn et Le Corbusier. Des salons de réception, une salle de classe, un sanctuaire, rien ne manquait... L'escalade de la guerre sino-japonaise (attaque de l'armée japonaise et occupation par les Japonais de quartiers de Shanghai en 1937) a ensuite limité les activités de Hudec.

En 1947, Hudec, considéré trop proche des cercles bourgeois a dû fuir la Chine. Il avait rêvé de retourner en Hongrie, mais à ce moment-là, ce n'était pas possible, l'Europe était coupée en deux, il craignait une troisième guerre mondiale. Lugano, Rome... Berkeley (Californie) où il a enseigné. Il est décédé d'une attaque cardiaque en 1958 à l'âge de 65 ans. Sa dépouille repose à Banska Bystrica (Slovaquie).


Les sites qui m'ont aidée à concocter cette page sont nombreux :http://www.ladislavhudec.eu/index.php?main_page=index&cPath=67http://shanghaistreetstories.com/?p=4166http://www.eurozine.com/articles/2010-10-18-gerle-en.htmlhttp://www.heatherfieldediting.com/Hudec/index.htmlhttp://en.wikipedia.org/wiki/L%C3%A1szl%C3%B3_Hudec
Il y a aussi de très belles photos sur http://www.flickriver.com/photos/evandagan/sets/72157625607756370/

J'ai trouvé une légende que j'ai envie de méditer : "La plus importante réalisation de Hudec est le pont entre l'Europe et l'Asie. Hudec, qui maîtrisait 9 langues européennes, ne parlait ni ne comprenait le chinois, alors que la majorité de ses clients était chinoise. Il a prouvé que même élevé dans une autre culture et influencé par des traditions différentes on pouvait comprendre les besoins des habitants d'un coin du monde éloigné. Les obstacles et les limites ne se trouvent que dans les têtes, dans les idées fixes."