J’avais adoré ce livre dans les années 70, tellement que je l’ai prêté à quelqu’un, qui ne me l’a pas rendu. Au fil des années, j’en avais oublié le titre … et puis grâce à Babelio, au détour d’une liste, je l’ai retrouvé, vite commandé, dévoré, adoré à nouveau.
Ce n’est pas un monument de qualité stylistique, mais un plaisir de chaque page à déguster. Parce qu’à travers cette histoire rocambolesque d’un agent secret hyperdoué mais qui refuse que ses actions soient productrices de morts, on y découvre aussi des menus et des recettes de cuisine tout à fait bien décrites.
Thomas Lieven est un héros pacifiste qui adore faire la cuisine. Il est beau, mesure 1,75m, mince, élégant. Né en 1910 – comme mon père – il a donc 29 ans lorsque l’Allemagne – sa patrie – déclenche le second conflit mondial. Thomas est alors un jeune et talentueux banquier à Londres. Il parle couramment l’anglais et le français. Venu à Paris pour le compte de son associé, il tombe dans un traquenard et ne se sauvera que sous la condition d’être recruté tour à tour par les services secrets de sa Gracieuse Majesté, par l’Abwehr de l’Amiral Canaris, par le Service de Renseignement français de la résistance, par le FBI et même par les Russes pendant la guerre froide. Bien entendu, il est recherché à la fois par tous ces services qui le considèrent comme un agent ennemi.
Nous suivons ses aventures dangereuses, cocasses, ses conquêtes féminines, les combines financières qu’il met en œuvre à son profit et au profit des camps qui lui conviennent, fait en sorte d’apaiser le maquis de la Creuse, s’acoquine avec le grand banditisme marseillais – avant que les Allemands ne fassent sauter le quartier du Vieux-Port – échappe à plusieurs menaces d’exécution – s’évade de prison à la manière du Comte de Monte-Christo – démantèle un réseau de trafic de bons du Trésor Allemand destiné à piller les pays occupés et initié par le beau-frère de Himmler… Bien avant Les Bienveillantes de Jonathan Littell, c’est la première fois que l’on soulève la question de la corruption généralisée des officiers des troupes d’occupation allemande…
Basé sur l’histoire réelle d’un héros qui reste dans l’anonymat – on comprend aisément pourquoi – ce roman d’espionnage plus vrai que ceux Ian Fleming (James Bond fut inspiré par l’agent triple Dusko Popov), nous offre un personnage qui a plusieurs traits en commun avec Arsène Lupin et Bernie Günther. Le livre a connu un succès planétaire lors de sa sortie en 1966 : 76 millions d’exemplaires vendus dans le monde, 38 traductions, 30 millions vendus en Europe. Son auteur, Johannes Mario Simmel, est un Autrichien d’origine juive dont une partie de la famille a péri dans les camps. Il est mort en 2009 et à cette occasion, on a réédité son livre.
Certains voient en cet ouvrage un roman d’apprentissage (Bildungsroman) et un symbole de la réconciliation Franco-Allemande. Thomas Lieven adore la France, il y possède une petite maison sur le Bois de Boulogne, on le retrouve à Toulouse pendant la débâcle, à Marseille comme un poisson dans l’eau au milieu des caïds de la pègre, du côté d’Eguzon au centre de la France puis à Baden-Baden en secteur français de l’occupation française en Allemagne à la tête d’un service de recherche des criminels nazis. C’est échevelé, drôle, culotté, plein de tendresse et de rebondissements inattendus. Bref, un roman passionnant que j’ai eu le bonheur de redécouvrir … sans compter la lecture de dizaines de recettes puisque le héros – dans les moments les plus tendus – sert à ses convives des repas mémorables qui lui permettent de se tirer des situations les plus dangereuses.
On n’a pas toujours du caviar, roman de Johannes Mario Simmel, traduit de l’Allemand par Paul Lavigne, collection Pavillons poche chez Robert Laffont (2009), 665 p. 12.50€