L’AVENTURE DE WALTER SCHNAFFS (d'après Maupassant)
Une compagnie de soldats allemands
Progressait en pays normand.
Schnaffs fut envoyé en reconnaissance.
Il n’avait trouvé aucune résistance
Quand une fusillade le surprit.
Le désir de détaler le saisit.
Il sauta dans un caniveau pour se cacher
Et se recouvrit de feuilles séchées.
Mais il ne pouvait rester dans ce fossé
Jusqu’à la fin des hostilités.
Il se mit à penser :
Si seulement j’étais prisonnier,
Prisonnier des Français,
Je serais nourri et logé !
Mais où me constituer prisonnier ?
Comment ? De quel côté ?
La situation lui paraissait sans issue.
La nuit venue,
Schnaffs tressaillait à tous bruits inconnus.
Il finit cependant à s’endormir et ne bougea plus
Jusqu’au lendemain midi.
Ayant le ventre creux,
Il guetta le passage d’un paysan
Qui ne porterait pas d’outil
De travail trop dangereux.
Il lui dirait qu’il se rend.
En sortant du caniveau,
Il vit au loin un château.
Il y courut. D’une fenêtre s’échappait
Un délicat fumet.
Il sauta dans la cuisine.
Pour effectuer sa vitale rapine.
La table était couverte de mets raffinés.
Quand les six domestiques qui dinaient
Virent l’Allemand,
Ils s’écrièrent vivement :
-« Les Prussiens attaquent la maison ! »
Et tous se sauvèrent par la porte du fond.
Schnaffs bût, mangea,
Écouta.
Au début, des portes s’ouvraient, se fermaient,
Des pas rapides couraient.
Des gens s’enfuyaient.
Mais bientôt l’agitation cessait.
Le château devenait silencieux !
Peu à peu,
Les idées de Schnaffs s’engourdissaient.
Il perdait la notion des choses et des faits,
Il distingua cependant des ombres bouger
Tout alentour dans les fourrés
Et des pointes d’acier
Qui, aux rayons de lune, brillaient.
Soudain une voix tonnante hurla :
-« En avant ! À l’assaut, soldats ! »
Vingt hommes armés bondirent dans la cuisine.
Vingt fusils furent braqués sur sa poitrine,
Schnaffs fut saisi, menotté,
Jeté à terre et bâillonné.
Un gros militaire chamarré d’or
Lui planta son pied sur le ventre et vociféra :
-« Vous êtes mon prisonnier, sale porc ! »
-« Ya, ya, ya. »
Le Prussien riait,
Sûr enfin d’être fait prisonnier !
Entra un jeune officier qui dit :
-« Mon colonel, les ennemis se sont enfuis ;
Plusieurs ont été blessés.
La situation est maintenant normalisée. »
Le colonel hurla :
-« Victoire ! » Et il écrivit sur son agenda :
Après une lutte acharnée, insensée,
Les Prussiens ont dû battre en retraite
Sans tambour ni trompette.
Ils ont emporté leurs morts et leurs blessés.
Cent ennemis ont été mis hors de combat.
Nous avons arrêté deux officiers,
Huit sous-officiers
Et soixante-trois soldats.
Le jeune officier français reprit :
-« Quelles dispositions dois-je prendre ? »
-« Nous allons organiser un repli.
Nous devons éviter de nous faire surprendre
S’ils revenaient avec des moyens supérieurs. »
Et le colonel donna à ses sbires
L’ordre de partir.
En moins d’un quart d’heure,
La colonne était en mouvement.
Schnaffs, prisonnier,
Était maintenu par huit guerriers.
On avança prudemment
Car les lieux n’étaient pas sûrs.
Le groupe atteignit la sous-préfecture
Sans trop de difficultés.
La population était surexcitée.
De formidables clameurs éclataient,
Les enfants exultaient.
Les vieilles pleuraient.
Un aïeul lança sa béquille au Prussien.
Elle heurta le nez d’un de ses gardiens.
Le colonel a crié :
-« Veillez à sa sûreté ! »
La prison fut ouverte. Schnaffs y fut jeté.
Malgré des symptômes d’indigestion
Qui le tourmentait depuis quelque temps
Le Prussien, débordant de jubilation,
Se mit à danser éperdument.
Il était prisonnier ! Il était sauvé !
Pour avoir réussi à reprendre à l’ennemi
Le château de Jarvet,
On décora le colonel de Saint-Rémy.