Désigné à la tête de la Chine populaire il y a une quinzaine de mois, le
Président chinois Xi Jinping termine sa visite d’État en France. Après avoir atterri à Lyon le 25 mars 2014, il était au château de Versailles dans la soirée du jeudi 27 mars 2014 pour un dîner
avec François Hollande qui s’était rendu à Pékin les 25 et 26 avril 2013.
Ah… je sens que l’antisinisme va bientôt devenir à la mode. Ou la sinophobie ? Malheureusement. La germanophobie est un peu dépassée depuis De
Gaulle et Adenauer. La polonophobie aussi : en France, on prend tous les plombiers qui se présentent chez soi, polonais ou pas (c’est si rare !). L’islamophobie qui est à prendre pour de l’arabophobie, on va vite voir que ça va être dépassé : l’Iran, l’Arabie saoudite… ? Mais c’est la même culture que l’Europe judéo-chrétienne : une culture monothéiste, berceau
des civilisations.
Car maintenant, le nouveau bouc émissaire, cela va être "le" Chinois. Pas le paysan ni le travailleur chinois
exploité. Mais le manager chinois, le nouveau riche chinois (on n’ose pas dire le gouvernement chinois car on a aussi des produits à lui vendre, pas seulement à lui acheter, pour 18 milliards
d’euros de contrats le 26 mars 2014).
Et dans les propos de comptoir, on peut déjà entendre certains parler (sans les connaître) des Chinois, des
"méchants" qui délocalisent les emplois et retirent le beurre des épinards. Chômage, pauvreté, crise financière etc. sont les conséquences de ces
"méchants" capitalistes communistes dont il serait bien difficile de définir exactement l’idéologie.
En clair, ce sont des capitalistes économiques et industriels (Deng Xiaoping avait conseillé à ses
compatriotes de s’enrichir, quand même) mais aussi des collectivistes sur le plan intérieur, on va dire, sur le plan politique, c’est-à-dire que l’argent qu’ils gagnent, ils ne le redistribuent
pas, ils le réinvestissent. Le marché chinois reste encore inexistant et la classe moyenne tarde à émerger.
Cette peur de la Chine va aller grandissante. La Chine est si loin que cela évitera les polémiques un peu
contreproductives (électoralement) sur l’islamophilie/islamophobie et cela évitera tout problème ou toute référence avec l’Occupation et les
camps.
Pourtant, il suffit de regarder l’étiquette d’un vêtement (ou sous-vêtement) que l’on porte ou d’un jouet que
l’on offre à Noël pour être d’une grande mauvaise foi à la limite de la schizophrénie : si on veut "combattre" (économiquement) la Chine, la première chose à faire, c’est déjà de ne pas
acheter chinois.
Car la Chine produit à bas prix. Faible coût de main d’œuvre, et finalement, elle permet d’exporter de chez
elle beaucoup de produits dont ne disposeraient pas les consommateurs (que j’ajouterais "occidentaux" sans savoir ce que cela signifie vraiment) en raison de leur niveau de vie : le bas
prix, c’est la gloire à la classe moyenne. C’est renforcer la classe moyenne. Justement ce que les Chinois se refusent encore chez eux.
Certes, les salaires en Chine augmentent de 30% chaque année et les entreprises chinoises commencent à
délocaliser leur main d’œuvre au Vietnam, au Laos ou encore en Afrique.
Reprenons le cursus depuis une vingtaine d’années. Les Chinois produisent à bon marché. Donc, les usines
s’installent en Chine. En Europe (entre autres), les usines ferment pour réapparaître en Chine. C’est moins cher. On délocalise à tout va. C’était le thème de la campagne présidentielle de 2012,
initié par François Bayrou et repris par ses deux principaux concurrents au point que le vainqueur a créé
tout spécialement un "Ministère du Redressement productif".
Pourtant, l’économie allemande se porte bien. Pourtant, certaines entreprises françaises qui ont délocalisé
reviennent en France car les contrôles qualité sont médiocres et la délocalisation leur coûte finalement plus cher.
Parenthèse : attention cependant aux mauvaises conclusions, très populistes, de certains démagogues. Un rapport de 2006 concluait qu’avec la mondialisation, la France a plus gagné en emplois que perdu. Mais ce
ne sont pas les mêmes emplois. Reste à savoir si en 2014, le bénéfice est dans le même sens.
Je reviens au processus : la Chine récupère toute la production mondiale, ou quasiment (les statistiques
sont éloquentes…). La balance du commerce extérieur est endiablée (même si la crise s’est fait sentir au début des années 2010). Par conséquent, elle s’enrichit. Et elle investit.
Parallèlement, donc, des États comme la France s’appauvrissent ; chômage, précarité sociale, etc. si
bien que les déficits publics croissent (et continuent de croître malgré les promesses gouvernementales) par un effet doublement mécanique : plus de prestations sociales à financer
(indemnisation du chômage), moins de recettes fiscales et moins de cotisations sociales à encaisser.
Qui dit déficits publics dit dette publique. En France, on doit en être à environ 30 000 euros par
personne, y compris les bébés. Proche des 2 000 milliards d’euros ! Et qui dit dettes dit intérêts à payer. Chaque année, c’est l’équivalent de l’impôt sur le revenu. Le premier poste
budgétaire ! En gros (très gros),200 milliards d’euros par an. Je n’insisterais jamais trop en rappelant que c’était le candidat François Bayrou qui, dès la campagne présidentielle de 2002,
avait mis en garde sur l’enjeu prioritaire de la dette publique.
Et encore, la France a été beaucoup aidée par l’euro fort. Elle n’a jamais eu des taux aussi bas pour
emprunter que maintenant (certains taux sont même négatifs !), malgré la baisse de la note de solvabilité par les agences de notation.
Mais en Grèce, en
Irlande, au Portugal, ces taux sont montés car la confiance en ces États s’est effondrée. C’est un peu logique d’ailleurs pour la Grèce. Le gouvernement d’avant 2010 avait fourni de fausses
statistiques, bref, avait menti sur l’état réel de ses finances. Cela a rompu l’équilibre de l’euro,
plongeant la zone euro dans une crise de plusieurs années.
Pour faire le parallèle avec la vie d’un particulier, il suffit d’imaginer que l’on aille mentir à son
banquier en falsifiant son bulletin de paie (un zéro de plus, par exemple) pour obtenir un nouveau prêt. D’imaginer ensuite la réaction dudit banquier lorsqu’il s’apercevrait de la supercherie. À
la différence près qu’il n’y a pas de tribunal international pour régler ce différent : ceux qui ont prêté, ils l’ont fait par confiance. Mais il ne fallait pas faire confiance ! Le
risque se monnaie.
C’est tout le problème actuel, depuis cinq ans, de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne.
L’histoire est grave car c’est un jeu de dominos. Si l’Italie est atteinte, le suivant serait très certainement la France.
Bref, la situation est assez inquiétante.
À tel point que pour la France, le gouvernement français devra rendre des comptes à Bruxelles sur sa
situation budgétaire. L’objectif des 3% du PIB de déficit public ne sera probablement pas atteint à la fin du quinquennat alors que pendant la campagne, il était question de …0% !
Depuis cinq ans, c’est alors qu’il y a cette petite musique d’Henri Salvador :
« Eh eh, Zorro est arrivé !
Sans
s’presser.
Le grand Zorro, le beau Zorro,
Avec son ch’val et son grand chapeau. »
C’est vrai que pour le coup, le Zorro-là a plutôt son chapeau un peu pointu !
Car la Chine a proposé, la première semaine de janvier 2011, d’acheter une partie de la dette espagnole. Elle
a déjà prévu d’acheter de la dette grecque et portugaise. C’est le Vice-Premier Ministre (en 2011) Li
Keqiang (devenu le 15 mars 2013 Premier Ministre) qui l’a déclaré dans une tribune à "El Pais" : « Nous allons acheter davantage
d’obligations espagnoles en fonction des conditions du marché. ».
La Chine est donc arrivée en sauveur des finances publiques européennes. Après tout, ce n’est que justice
puisqu’elle en était jusqu’alors un peu le fossoyeur. La Chine a tout intérêt à garder intact le pouvoir d’achat de ses clients. Moralement, c’est le cercle qui se referme. Qui assume.
En début 2011, elle contrôlerait 7,3% de la dette publique totale des pays de la zone euro. Ce qui fait
qu’elle posséderait selon certains spécialistes autant d’emprunts d’État européens que d’obligations d’État américaines.
Parlant d’indépendance et de souveraineté, l’économiste Antoine Brunet pose alors une bonne question :
« Les Européens feraient bien de se demander quelle est la part de leur train de vie qui est financée par la Chine. ».
Les Chinois sont devenus les plus grands créanciers de la Terre : une réserve de presque 3 000
milliards de dollars en devises dont un quart depuis 2008. Ils achètent des obligations d’État mais aussi des entreprises privées, des hôtels, des cliniques, des monuments historiques, des
tableaux, des châteaux, des infrastructures (aéroports, ports) etc.
Fin octobre 2010, le Trésor américain a évalué à 907 milliards de dollars le stock de dettes publiques
américaines détenues par la Chine. Et en avril 2010, le "Financial Times" a estimé à 630 milliards d’euros le stock chinois des dettes publiques de la zone euro. En tout, les experts évaluent à
40% la part en 2011 des réserves de change mondiales de la banque centrale de Chine.
La Chine représente maintenant 15% de l’économie mondiale et a conquis la deuxième place devant le Japon.
D’ici 2020, il est fort probable que la Chine reprenne la première place. Une place qu’elle occupait il y a deux siècles.
Le Japon commence à s’allier avec sa rivale, la Corée du Sud, pour affronter leur géante voisine.
Le prix des logements s’est enflammé en Chine en 2010 : +37,1% à Pékin, +47,1% à Hangzhou, +37,9% à
Chongqing, des données qui n’ont rien à voir avec les prix publiés par le gouvernement qui préfère minimiser ce phénomène de bulle spéculative (son éclatement ferait autant de dégâts que les
subprimes américaines).
La Chine est déjà beaucoup plus présente en Afrique depuis quelques années que l’Europe en cinquante ans.
"L’Art de la guerre" de Suntzuii enseigne ce que la Chine aujourd’hui pratique efficacement : « L’excellence ultime ne consiste pas à gagner une bataille mais à défaire l’ennemi sans livrer combat. ».
C’est Lénine qui disait : « Les capitalistes sont
tellement bêtes qu’ils finiront par nous vendre la corde pour les pendre. ». Maintenant, la Chine fabrique la corde. Et le pendu bouge encore…
Épilogue : s’il faut être lucide avec la réalité économique mondiale, il ne faut pas non plus paniquer.
La Chine fait partie d’un tout et sans client, il n’y a plus d’avenir pour le producteur. Les affaires devraient faire progresser la paix : c’est ce qui a été fait depuis près d’un siècle
avec le développement économique des États-Unis. Il est fort probable que cela continue sous la houlette désormais de la Chine. Et pourquoi pas ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (28 mars 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bilan du décennat de Hu Jintao (2002-2012).
Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine.
Xi Jinping, chef
du parti.
La Chine me fascine.
La Chine et le
Tibet.
Les J.O. de Pékin.
Qui dirige la Chine populaire ?
La justice chinoise.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/chine-de-l-emergence-a-l-149956