J'avais envie de vous en remettre une couche sur ce film, tant ce premier long métrage m'a séduit par son ton et son regard plein de modestie et de sensibilité. Et comme Samuel Rondiere, en plus d'être un prometteur metteur en scène, est est aussi un type sympathique et chaleureux, il a pris un peu de son temps pour répondre aux 10 questions sur son film que j'ai eu envie de lui soumettre :
Blog Baz'art : 1. Votre premier court métrage de cinéma, "Tandis qu'en bas des hommes en armes" se passait au XVIème siècle. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé , pour votre premier long métrage, à raconter une histoire totalement différente autour du domaine de la-petite- délinquance.Voyez vous toutefois des liens entre ces deux fictions?
Samuel Rondiere :
Il y a un point commun fort, c'est le questionnement sur la violence et le rapport à la prise de conscience. Dans mon court, un homme violent, un guerrier, prend conscience qu'il n'a peut-être pas tant envie de tuer le type tout tranquille qu'il a en face de lui.
Dans la Braconne, un jeune voleur, brutal et fermé, découvre, en suivant l'exemple de son aîné, qu'il n'a peut-être pas très bien compris dans quelle existence il est en train de s'engager, et se pose la question des limites.
2. Est ce que le domaine des arnaques vous parlait particulièrement ou était ce plus une toile de fond qui servait à y situer vos deux personnages principaux?
Les arnaques, les vols, font partie des personnages. C'est quelque chose qui construit leur rapport au monde, leur histoires personnelles, leur relation, leurs points communs comme leurs différences. C'est donc central. Mais je ne voulais pas faire un film qui détaille des combines et des vols comme un catalogue technique, je voulais parler de la perception de la vie que cela crée chez les deux personnages : les ambiances, les rythmes, les questionnements, les situations qu'ils expérimentent. Donc il y a un moment où le film s'affranchit de la simple description pour approfondir d'autres sujets, plus intérieurs.
3. Concernant ces deux personnages principaux, on voit dans le film que votre volonté dans l'écriture était de vous affranchir des codes du "buddy movie"classique. Etait ce un désir qui vous a guidé pendant tout le film et comment avez vous procédé pour cela?
Le but n'était pas vraiment de "casser les codes", disons que ça m'amusait plutôt de prendre un modèle de film de ma jeunesse, très daté années 80 en fait, et d'aller complètement ailleurs, de le subvertir complètement pour raconter une histoire qui finit par dire le contraire de ce que les buddy movie classiques racontent. Il y a un plan séquence, dans le premier tiers du film, qui pourrait vraiment être la scène finale d'un buddy movie canonique (les personnages qui s'éloignent sur une dernière blague), mais en fait, cette séquence est la seule où les deux personnages fonctionnent vraiment ensemble. Pendant tout le reste du film, ça ne cesse de ripper, pour différentes raisons, et c'est dans le fait que ça rippe et comment, que se construit le véritable sens du film.
4. Vous êtes crédité tout seul à la mise en scène, au scénario et aux dialogues ...Avez réussi à assumer toutes ces parties tout seul ou avez eu besoin de plusieurs regards extérieurs pour vous enlever un peu le nez du guidon?
A mon sens, le rôle de l'auteur, du réalisateur, c'est de tenir la barre du début à la fin. Il est l'unique garant de la rigueur, du sens, et de la cohérence totale du film, y compris dans les plus petits détails. C'est nécessairement quelque chose qui implique une certaine solitude.
Mais du coup, il faut aussi savoir ne pas trop s'enfermer : écouter ses interlocuteurs, rester ouvert aux suggestions, aux retours, créer des collaborations. Il faut que la vie et les autres puissent entrer dans le film, l'enrichir, lui donner, parce qu'un film reste toujours une forme de création collective.
5. Est ce que le scénario initial ressemblait beaucoup au résultat final après tournage et montage ou bien y a t-il eu pas mal de modifications au cours des différentes étapes de conception du film?
Entre les rushes d'après tournage et le montage final, il y a 20 minutes de moins.
Mais je ne crois pas qu'on fasse un scénario pour le tourner tel quel : un scénario, c'est le programme du voyage. Quand on fait le voyage en vrai, on s'aperçoit que ça ne se passe pas du tout comme sur le papier. Mais à la fin, quand on est revenu, on comprend que si ce qu'on a vécu n'a rien à voir avec ce qu'on pensait vivre, ça correspond totalement à ce pourquoi on a voulu faire le voyage.
6. Le décor du film, cette ZAC à la fois urbaine et assez déshumanisée semble très importante dans la Braconne.Comment avez vous procédé pour l'intégrer presque comme un troisième personnage du film?
C'est assez difficile de filmer la ZAC : c'est plat, avec de grands espaces vides, ou des façades qui apparaissent démesurées dès qu'on met un être humain à côté. Mais je ne voulais pas la filmer frontalement, je voulais filmer les à-côtés, les chemins de traverses de la ZAC : les sentiers entre les aires de chargement, les arrières-cours des entrepôts, les friches qui séparent une concession d'une autre, etc. J'ai filmé la ZAC telle qu'elle apparaît quand on sort des sentiers battus, c'est-à-dire des circuits prévus pour la clientèle, quand on l'aborde comme un espace libre, défonctionnalisé, un espace à conquérir, un espace de western.
7. Est ce que Patrick Chesnais a été difficile à convaincre pour tourner dans votre premier long métrage ou bien le fait qu'il jouait un personnage assez différent de ses rôles habituels l'a convaincu de suite?
Non, Patrick avait très envie de faire le film, très envie notamment d'expérimenter ce personnage dans lequel on ne l'a jamais vu. Il s'est donné sans compter.
7. Comment s'est passé la rencontre entre Chesnais et le jeune Rachid Youcef, dont c'était le premier rôle? Est que, une fois les caméras éteintes, les deux hommes avaient tendance à rester dans leurs positions respectives, celles de mentor et de jeune chien fou?
Patrick a la même générosité cachée que le personnage de Danny, et il a été très ouvert, très attentif à Rachid, il l'a mis à l'aise, lui a transmis des choses de comédien. Rachid était très curieux, très désireux d'apprendre, de progresser, donc effectivement il y a une relation entre comédiens qui s'est installée un peu en parallèle de celle des personnages du film. Même si, dans la réalité, Patrick est très blagueur, très déconneur avec son côté pince-sans-rire, et Rachid très sérieux pour un jeune chien fou...
8. Concernant le reste du casting, comment avez vous fait pour trouver ces acteurs pratiquement tous inconnus et tous très juste ( je pense notamment aux excellents Moise Santamaria ou Djedje Apali)?,
Je voulais un casting que je n'avais jamais vu, je voulais découvrir des comédiens, ou en voir certains sous un jour que je n'avais jamais vu, comme Jean-Michel Fête, que je suis allé chercher spécialement. Moise Santamaria a été une très grande découverte, c'est Nicolas Lublin, le directeur de casting qui me l'a fait rencontrer. Pour Djedje, il est arrivé sur le projet à la dernière minute, pour remplacer un comédien qui se désistait : il a une voix au timbre très particulier et une présence très forte, avec une grande décontraction, c'était très intéressant de le mettre face au Danny de Patrick.
9..Avez vous eu des difficultés à trouver un financement pour tourner ce film ou bien dans l'ensemble on vous a fait confiance pour tourner ce premier long?
Oui, il y a eu des difficultés, comme pour tout premier film je pense, ça a surtout été long, mais le film a eu de la chance : on a eu l'avance sur recette et l'aide de la région Centre, qui est peut-être la région la plus importante aujourd'hui pour les premiers films. C'est qui nous a permis de faire le film.
10. Qu'esperez vous au fond de vous le plus pour la carrière en salles de "la Braconne"? Qu'il soit vu par le plus de public possible ou bien qu'il vous permette d'être une carte de visite pour vous permettre de réaliser plus facilement vos prochains projets?
Eh bien, s'il est vu par beaucoup de public, c'est une plutôt bonne carte de visite... Blague à part, je pense que quand on fait un film, la seule chose qu'on veut c'est qu'il soit vu, qu'il vive sa vie et qu'il apporte quelque chose à des gens dont on ne saura jamais rien. Et puis on avance.
D'avancer toujours aussi droit, c'est ce qu'on souhaite de plus à Samuel Rondiere...et pour cela si le plus de monde possible va voir son film la semaine prochaine, son avancée sera d'autant plus flagrante...en tout cas, un grand merci à vous, Samuel et une très bonne route à La Braconne dans les salles mercredi prochain..