Tom à la ferme est le quatrième long métrage de Xavier Dolan et prendra l’affiche le 28 mars au Québec. Adaptation de la pièce de théâtre du même nom écrite par Michel-Marc Bouchard, le film s’ouvre sur Tom (Xavier Dolan) qui se rend en campagne pour assister aux funérailles de Guillaume, son amant décédé dans un accident de voiture. Il est hébergé chez la mère de celle-ci, Agathe (Lise Roy), qui ignore tout de l’orientation sexuelle du défunt. Son autre fils, Francis (Pierre-Yves Cardinal), menace Tom s’il lui venait à mentionner ce détail et au cours des semaines suivantes se crée une relation pour le moins malsaine entre ces deux hommes qui n’arrivent pas à faire leur deuil. Récipiendaire du prix de la critique à la Mostra de Venise en 2013, Tom à la ferme est ce genre de film qui ravira à la fois les cinéphiles et le grand public. Ce thriller est envoûtant non seulement pour le jeu des comédiens (Cardinal est tout simplement hypnotisant) et son scénario, mais aussi grâce à une mise en scène soignée qui reflète la maturité qu’atteint Dolan au fil de ses œuvres. À ne pas manquer.
Syndrome de Stockholm
C’est un Tom affligé qui se rend à la ferme où a vécu son petit ami durant son enfance, d’autant plus qu’il ignore tout de la famille du défunt, y compris qu’il a un frère. La première rencontre avec Francis est percutante et donne le ton. Ce dernier se jette sur lui pendant qu’il dort et l’oblige à raconter tout un tas de mensonges à Agathe, notamment que Guillaume était en couple avec une femme, Sara. Tom s’exécute sous la pression et voyant à quel point ses paroles apaisent la mère éplorée, se prend au jeu. En parallèle se développe une relation trouble entre lui et Francis. Ce dernier, clairement homophobe, le brutalise et traque ses moindres mouvements, mais en même temps ne veut se passer de lui et l’empêche de regagner la ville, quitte à démonter et cacher les pneus de sa voiture. Quant à Tom, il est rapidement atteint du syndrome de Stockholm et se complait dans son rôle de victime, jusqu’à oublier qu’il a une vie à l’extérieur de la ferme où il est prisonnier de son plein gré. Mais l’histoire prend un tout autre tournant alors qu’il enjoint Sara (Évelyne Brochu) à se joindre au clan, lui-même prenant ses mensonges pour des réalités.
Lors de l’avant-première le 24 mars au cinéma Impérial de Montréal, Dolan a mentionné qu’il s’agissait d’un film sur l’intolérance, évoquant au passage la récente loi russe pénalisant la « promotion » de l’homosexualité. Le parallèle que l’on peut faire avec Tom à la ferme, est une phrase sortie des écrits de Michel-Marc Bouchard : « Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir». Dans cette optique, la faute est à imputer aux deux jeunes hommes. Francis est un homophobe qui fait subir à Tom les pires traitements qu’il n’a sûrement jamais infligés à son frère. Pour lui, un gai c’est un sous-homme qui mérite d’être traité de la même façon que les animaux de sa ferme. Mais voilà que Tom accepte de participer à cette dégradation, d’abord avec Agathe qu’il cherche à réconforter, puis avec Francis qui l’assaille de coups, comme si d’une certaine manière, le lavage de cerveau subi avait été effectif.
Mais Tom à la ferme, c’est d’abord et avant tout un film sur le deuil géré au plus mal par les protagonistes. Inconsciemment, Agathe a besoin qu’on l’abreuve de fiction sur son fils. Recluse dans une maison d’où elle ne sort presque pas, elle reste attachée à un passé depuis longtemps révolu. L’homosexualité Guillaume répugnait à Francis, mais ça ne veut pas dire qu’il ne l’aimait pas pour autant et en Tom, il retrouve un petit frère de substitution. Ce rôle sied au héros au point où on se demande qui contrôle qui et là est la dynamique qui fait la force du film.
Technique en puissance
Qui dit adapter une pièce de théâtre à l’écran, dit trouver de nouveaux codes, autres que la parole pour transmettre l’essence de l’œuvre. Dolan réussit ce pari haut la main dans Tom à la ferme, en partie grâce à la mise en scène. D’entrée de jeu, Francis et Agathe sont introduits de dos ou carrément hors champ, attirant par là toute l’attention sur Tom lorsqu’il leur parle, ce qui crée un sentiment de proximité avec le spectateur. De plus, les gros plans des personnages sont légion et reflètent très bien le sentiment de claustrophobie que l’on éprouve durant le visionnement. Ceux-ci nous permettent aussi d’entrer dans la bulle de chacun des protagonistes, desquels émane une certaine folie.
L’ambiance du huis clos fonctionne tout autant, et ce, bien que l’on soit au grand air. La ferme est loin de toute civilisation et pour ajouter une touche de suspens, notons entre autres quelques plans de carcasses d’animaux, les mains tachées de sang de Tom et de Francis après qu’ils eussent donné naissance à un veau et un champ de maïs qui sous un ciel constamment ombrageux paraît moisi et dont les feuilles se révèlent de véritables lames de rasoir lors d’une poursuite entre les deux jeunes hommes. Enfin, on ne peut passer sous silence la stressante bande sonore signée Gabriel Yared (Royal Affair (2012), The talented Mr. Ripley (1999), The english patient (1996), etc.) qui n’est pas sans rappeler les compositions de Bernard Herrmann, lequel a collaboré avec Hitchcock sur plusieurs films.
On souhaite à Tom à la ferme un bon succès en salles pour pallier à l’année pour le moins décevante du cinéma québécois. Le cinquième opus de Dolan, Mommy, est en postproduction et les rumeurs vont bon train concernant sa sélection au Festival de Cannes ce printemps. L’on y retrouvera des comédiennes qui l’on bien servi par le passé : Anne Dorval (J’ai tué ma mère (2009)) et Suzanne Clément (Laurence Anyways (2012)). Voici d’ailleurs la première image :