« Les filles se présentent aux clients plus de douze heures par jour et sortent très peu du salon. La plupart travaillent la nuit. Elles arrivent dans l’après-midi et se préparent lentement. Dès 18 heures, elles sont habillées, coiffées, maquillées, mais beaucoup semblent écrasées de fatigue. Levées depuis quelques heures à peine et pourtant complètement éteintes. Elles attendent, affalées sur les fauteuils en cuir de la salle commune. Les premières sonneries de client vont donner le signal du départ. Le business commence. »
La plupart de ces filles arrivent de France. Elles sont très jeunes, entre 18 et 22 ans. Rares sont celles de plus de 30 ans. Beaucoup sont des maghrébines venant de cités sensibles. Elles sont là 3 ou 4 jours par semaine et rentrent incognito dans leurs familles. Elles peuvent toucher jusqu’à 15 000 euros par mois. « L’impossibilité d’évoquer l’argent gagné et de partager leur réussite matérielle avec leurs proches les pousse à faire disparaître les sommes gagnées. » Bijoux, drogues, fringues, chaussures, sacs à main de luxe, elles claquent tout. Seules quelques unes ont l’intelligence de garder une partie de leur salaire pour des projets concrets comme l’achat d’une voiture ou d’un appartement. Entre elles, c’est au pire une compétition sans pitié, au mieux une cohabitation forcée. Jamais elles ne donnent leur véritable identité et certaines disparaissent du jour au lendemain. Le turnover est important et la « gérante» de la maison clause reçoit chaque jour de nouveaux CV.
Sophie Bonnet, journaliste d’investigation pour l’agence Capa, a enregistré, avec leur accord, les conversations tenues par les filles. Le résultat est effarant, tant les banalités s’enfilent comme des perles. De celle qui se plaint de ne plus avoir de Red bull (une boisson qu’elles ingurgitent à longueur) aux défilés de mode improvisés pour montrer aux copines les derniers achats en date en passant par les chamailleries dignes d’une cour de récré et les réflexions philosophiques à deux balles, on reste au ras des pâquerettes. On a aussi droit à quelques entretiens d’embauche pas piqués des hannetons où les postulantes cochent dans une grille les prestations qu’elles acceptent de faire : « Tu fais la sodomie ? » ; « Tu suces ? » ; « Tu embrasses ? ». « Oui, ils adorent embrasser. Moi ça me dégoûte un peu, mais bon, je le fais quand même parce que aujourd’hui on n’a plus vraiment le choix. En suisse, tu ne peux plus travailler dans un seul salon si t’embrasse pas. De toute façon, tu leurs suces bien la bite, donc embrasser, après tout, c’est moins gênant. » (perso je ne suis pas certain de ça, mais bon…)
Les filles passent aussi leur temps à dire du mal des clients (ce que je peux comprendre) et les gérants en font autant à propos de leurs "employées" (ce qui est déjà beaucoup plus lamentable). Du glauque, du glauque, du glauque… et une petite nausée qui vous monte au fil des pages. Le gros problème c’est qu’il n’y a rien de passionnant là-dedans, tout sonne creux à part les premiers chapitres expliquant le fonctionnement du bordel, l’origine et la motivation des filles (bon en fait, soyons clair, la motivation c’est l’argent et rien d’autre. Aucune, absolument aucune ne fait ça pour le plaisir. Je précise juste au cas où certains en douteraient encore).
Bref, après ma lecture de « Pornstar », ce « Bordel » confirme une évidence : le commerce du sexe est un milieu en tout point sordide.
Bordel de Sophie Bonnet. Belfond, 2014. 212 pages. 18 euros.